Выбрать главу

Le Truc agita un détecteur. Il n’avait pas été conçu comme instrument d’écriture, et les formes qu’il traçait étaient anguleuses et difficiles à lire.

Il dessina quatre signes dans la poussière.

Le résultat fut instantané.

Queue-de-Cheval recommença à glapir. Certains Floridiens se remirent debout d’un bond. Masklinn empoigna les deux autres voyageurs.

— Dans une minute, je vais coller une bonne beigne à ce vieux gnome, décida Gurder. Comment peut-on avoir un esprit aussi étriqué ?

Buisson restait assise, en silence, tandis que le tohu-bohu régnait autour d’elle. Puis elle parla, d’une voix très forte mais calme.

— Elle leur dit, traduisit le Truc, qu’il n’est pas interdit d’écrire le nom du Faiseur-de-Nuées. Le Faiseur-de-Nuées le fait souvent lui-même. Que le Faiseur-de-Nuées doit être très célèbre pour que même ces étrangers connaissent son nom, ajoute-t-elle.

Ce discours sembla satisfaire la plupart des gnomes. Queue-de-Cheval entreprit de maugréer dans sa barbe.

Masklinn commença à se détendre un peu et regarda les signes tracés dans le sable.

— N… A… 8… A ? lut-il.

— C’est un S, corrigea le Truc. Pas un 8.

— Mais tu ne parles pas avec eux depuis longtemps, s’étonna Angalo. Comment peux-tu savoir ça ?

— Parce que je connais la tournure d’esprit des gnomes, répondit le Truc. Vous croyez tout ce que vous lisez, et vous avez une mentalité très littérale. Vraiment très très littérale.

6

Oies sauvages : Une espèce d’oiseau qui vole moins vite que Concorde (par exemple), et on n’y mange rien. D’après des gnomes qui les connaissent bien, il n’y a pas d’oiseau plus bête que les oies, sauf les canards. Les oies passent beaucoup de temps à voler d’un endroit à un autre. Comme moyen de transport, les oies laissent beaucoup à désirer.

Encyclopédie scientifique pour l’édification des jeunes gnomes curieux,
par Angalo de Konfection

Au commencement, débuta Buisson, il n’y avait que le sol. NASA vit le néant au-dessus du sol et décida de le combler par du ciel. Il éleva un lieu au centre du monde et lança en l’air des tours emplies de nuées. Parfois, elles transportaient aussi des étoiles parce que la nuit, après qu’une des tours de nuées fut montée, les gnomes voyaient souvent de nouvelles étoiles traverser le ciel.

Le pays autour des tours de nuées était le plus cher au cœur de NASA. Là, les animaux étaient plus nombreux et les humains plus rares. C’était un endroit plutôt agréable pour des gnomes. Certains pensaient que c’était pour cette raison que NASA avait conçu les choses.

Buisson se redressa.

— Et elle croit vraiment à ce qu’elle raconte ? s’étonna Masklinn.

Il regarda vers l’autre côté de la clairière, où Queue-de-Cheval et Gurder se chamaillaient. Aucun d’eux ne comprenait le moindre mot de ce que disait l’autre, mais ils se chamaillaient encore.

Le Truc traduisit la question.

Buisson éclata de rire.

— Elle dit : les jours vont et viennent, à quoi bon croire quoi que ce soit ? Elle voit de ses propres yeux certaines choses se passer, et celles-là, elle est sûre qu’elles sont réelles. La foi est une chose merveilleuse pour ceux qui en ont besoin, dit-elle. Mais elle sait que ce territoire appartient à NASA, parce que son nom figure sur les panneaux.

Angalo sourit. Il ressentait une telle exaltation qu’il en était au bord des larmes.

— Ils vivent juste à côté de l’endroit d’où partent les jets verticaux, et ils croient que c’est un endroit magique ! dit-il.

— Il l’est peut-être, marmonna Masklinn presque pour lui-même. Mais, bon, ce n’est pas plus bizarre que de croire que le Grand Magasin est le monde entier. Truc, comment voient-ils les jets verticaux ? Ils sont très loin.

— Pas loin du tout. Elle dit que trente kilomètres, c’est tout près. Elle dit qu’ils peuvent s’y rendre en moins d’une heure.

Buisson hocha la tête en constatant leur stupeur, puis, sans ajouter un mot, se remit debout et disparut dans les fourrés. Une demi-douzaine de Floridiens lui emboîtèrent le pas, en une formation en V dont elle était la pointe.

Au bout de quelques mètres, la végétation se clairsema pour déboucher sur un petit lac.

Les gnomes avaient l’habitude de voir de vastes espaces aquatiques. Il y avait des étangs à proximité de l’aéroport. Ils avaient même l’habitude de voir des canards. Mais les créatures qui nageaient vers eux avec un évident enthousiasme étaient bien plus volumineuses que des canards. En plus, les canards, semblables en cela à beaucoup d’autres animaux, reconnaissaient chez les gnomes la forme de l’homme, à défaut de sa taille, et gardaient une distance respectueuse. Ils ne venaient pas vers eux en cornant, comme si leur arrivée était le plus bel événement de la journée.

Ces créatures-ci volaient presque, dans leur impatience de voir les gnomes.

Masklinn chercha machinalement autour de lui de quoi se faire une arme. Buisson lui empoigna le bras, secoua la tête et prononça quelques mots.

— Ce sont des amies, traduisit le Truc.

— On ne dirait pas !

— Ce sont des oies, expliqua le Truc. Parfaitement inoffensives, sauf pour l’herbe et divers organismes mineurs. Elles ont volé jusqu’ici pour y passer l’hiver.

Les oies arrivèrent, accompagnées par une vague qui déferla sur les pieds des gnomes, et elles arquèrent le cou en direction de Buisson. Celle-ci tapota quelques becs à l’aspect formidable.

Masklinn fit tout son possible pour ne pas avoir l’air d’un organisme mineur.

— Elles migrent de pays plus froids, poursuivit le Truc. Elles dépendent des Floridiens qui les guident dans leur vol.

— Oh ! très bien. C’est…

Masklinn s’arrêta quand son cerveau rattrapa enfin la vitesse de sa bouche.

— Tu vas me dire que les gnomes volent sur elles, je me trompe ?

— Absolument. Ils voyagent sur les oies. Incidemment, il reste deux heures quarante et une minutes avant le lancement.

— Je veux qu’il soit parfaitement clair, déclara Angalo d’une voix posée (tandis qu’une grande tête emplumée clapotait dans l’eau à quelques centimètres) que si tu suggères qu’on chevauche une zoie…

— Une oie. On dit des oies, mais une oie.

— Tu te fourres le doigt dans l’œil. Ou le détecteur dans le voyant, je ne sais pas comment tu fais ça.

— Vous avez une meilleure suggestion, bien entendu, répliqua le Truc.

S’il avait eu un visage, il aurait arboré un sourire méprisant.

— Suggérer qu’on ne monte pas sur ces bestioles me semble nettement préférable, en effet, fit Angalo.

— Chais pas, glissa Masklinn qui regardait les oies d’un œil rempli de supputation. Je serais peut-être prêt à tenter le coup.

— Les Floridiens ont élaboré des relations très intéressantes avec les oies. Les oies font profiter les gnomes de leurs ailes, et les gnomes font profiter les oies de leur cerveau. Elles volent vers le nord, en été, vers le Canada, et reviennent ici l’hiver. C’est une relation quasiment symbiotique, mais bien sûr, c’est un terme qui leur est inconnu.

— Vraiment ? Quels ignorants ! grommela Angalo.