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Masklinn était le premier à reconnaître qu’il ne connaissait rien aux jets, aux moteurs et autres machines ; c’était peut-être pour ça que voyager avec elles ne le tracassait pas. Mais il avait la faiblesse de croire qu’il s’y connaissait un peu en muscles, et savoir que seuls deux gros muscles le gardaient en vie n’était pas fait pour le rassurer.

Chaque voyageur partageait une oie avec un Floridien. Ils ne faisaient aucune manœuvre de navigation, pour autant que Masklinn pût en juger. Buisson, assise loin devant, sur le cou de l’oie de tête, se chargeait de tout.

Derrière, les autres suivaient en dessinant un V parfait.

Masklinn se blottit dans le plumage. Le voyage était agréable, même s’il faisait un peu froid. Les Floridiens, apprit-il plus tard, n’avaient aucun mal à dormir sur une oie en vol. Cette seule pensée donnait des sueurs froides à Masklinn.

Il jeta un coup d’œil au-dehors, juste assez longtemps pour voir au loin des arbres filer beaucoup trop vite, et il enfonça de nouveau la tête.

— Combien de temps nous reste-t-il, Truc ? demanda-t-il.

— J’estime notre arrivée aux environs de la rampe de lancement à environ une heure du décollage.

— Je suppose qu’il n’y a pas la moindre chance qu’une rampe de lancement, ce soit la même chose qu’une rampe d’escalier et que l’escalier conduise à un restaurant ? s’enquit Masklinn, légèrement rêveur.

— Non.

— Dommage. Bon… tu as des suggestions pour que nous grimpions à bord de la machine ?

— C’est presque totalement impossible.

— Je m’attendais que tu me dises ça.

— Mais vous pourriez m’y placer, moi, ajouta le Truc.

— Je veux bien, mais comment ? En t’attachant sur l’engin ?

— Non. Si vous m’apportez assez près, je m’occuperai du reste.

— De quel reste ?

— Appeler le Vaisseau.

— Ah oui ! au fait… Où est-il, ce Vaisseau ? Ça m’étonne que les satellites et tous ces machins ne se soient pas encore cognés dedans.

— Il nous attend.

— Formidable, me voilà bien renseigné.

— Merci.

— C’était de l’ironie.

— Je sais.

Masklinn entendit un froissement auprès de lui et son compagnon de vol floridien écarta une plume. C’était le jeune garçon que le gnome avait vu en compagnie de Buisson. Il n’avait rien dit, se contentant de regarder Masklinn et le Truc. Maintenant, il sourit et prononça quelques mots.

— Il veut savoir si tu ne te sens pas malade.

— Je me sens parfaitement bien, mentit Masklinn. Comment s’appelle-t-il ?

— Son nom est Pionn. C’est le fils aîné de Buisson.

Pionn lança à Masklinn un nouveau sourire d’encouragement.

— Il veut savoir à quoi ça ressemble de voyager dans un avion à réaction, poursuivit le Truc. Il dit que ça a l’air formidable. Ils en voient parfois, mais ils se tiennent à l’écart.

L’oie pencha sur un côté pour virer de bord. Masklinn fit de son mieux pour s’agripper avec les orteils en même temps qu’avec les mains.

— Il dit que ça doit être beaucoup plus exaltant que les oies, fit le Truc.

— Oh !… ça se discute, répondit Masklinn d’une voix blanche.

L’atterrissage fut bien plus terrifiant que le décollage. Il aurait mieux valu se poser sur l’eau, expliqua-t-on ultérieurement à Masklinn, mais Buisson les avait fait revenir sur la terre ferme. Les oies sauvages n’aimaient pas beaucoup cela. Cela signifiait qu’elles devaient pratiquement se mettre debout en l’air, et battre furieusement des ailes avant de se laisser choir sur les derniers centimètres.

Pionn aida Masklinn à regagner le sol, qui lui parut danser sous ses pas. Les autres voyageurs vinrent le rejoindre en titubant, à travers les foules d’oiseaux.

— Le sol ! ahana Angalo. Il était incroyablement près ! Et tout le monde semblait trouver ça normal !

Il se laissa tomber à genoux.

— Et elles poussent de grands cris comme des coups de klaxon ! continua-t-il. Et elles tanguent d’un bord à l’autre ! Et elles sont couvertes de bosses dures sous leurs plumes !

Masklinn plia les bras pour chasser la tension dans ses muscles.

Le paysage autour d’eux ne paraissait guère différent de celui qu’ils venaient de quitter, sinon que la végétation était plus basse et que Masklinn ne voyait d’eau nulle part.

— Buisson explique que les oies ne peuvent pas aller plus loin, annonça le Truc. Continuer au-delà serait trop dangereux.

Buisson hocha la tête et indiqua l’horizon du doigt.

On y distinguait une tache blanche.

— Ça ? demanda Masklinn.

— C’est tout ? s’étonna Angalo.

— Oui.

— Ça n’a pas l’air très gros, fit remarquer Gurder à voix basse.

— C’est encore très loin, dit Masklinn.

— Je vois des hélicoptères, signala Angalo. Pas étonnant que Buisson ne tienne pas à s’approcher davantage, avec les oies.

— Il faut y aller, déclara Masklinn. Il nous reste une heure, et j’ai l’impression que ce sera tout juste. Euh !… Il faudrait dire adieu à Buisson. Tu peux lui expliquer, Truc ? Dis-lui que… qu’on essaiera de la retrouver. Après. Si tout se passe bien. Je suppose.

— S’il y a un après, ajouta Gurder.

L’Abbé ressemblait à un torchon mal lavé.

Buisson hocha la tête quand le Truc eut fini de traduire, puis elle poussa Pionn en avant.

Le Truc expliqua à Masklinn ce qu’elle voulait.

— Quoi ? Mais on ne peut pas l’emmener avec nous ! protesta celui-ci.

— Chez le peuple de Buisson, on encourage les jeunes gnomes à voyager, expliqua le Truc. Pionn n’a que quatorze mois, et il a déjà visité l’Alaska.

— Essaie de lui expliquer qu’on ne va pas vers « une Laska ». Essaie de lui faire comprendre qu’il pourrait lui arriver toutes sortes de choses !

Le Truc traduisit.

— Elle dit que c’est très bien. Un garçon en pleine croissance devrait toujours chercher à vivre des expériences inédites.

— Attends, attends, tu es sûr de traduire correctement ce qu’elle raconte ?

— Oui.

— Mais… tu lui as bien dit que ça pouvait être dangereux ?

— Oui. Elle dit que le danger, c’est ce qui fait tout le sel de la vie.

— Mais il pourrait se faire tuer ! couina Masklinn.

— Alors, il montera au ciel et deviendra une étoile.

— Et c’est ce qu’ils croient ?

— Oui. Ils croient que le système d’exploitation d’un gnome commence par être une oie. Si c’est une bonne oie, il devient gnome. Et quand meurt un gnome méritant, NASA emporte son âme au ciel et elle se transforme en étoile.

— Et c’est quoi, un système d’exploitation ? s’enquit Masklinn.