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C’était de la religion. Il se sentait toujours perdre pied dès qu’on abordait la religion.

— La chose à l’intérieur de vous qui vous dit ce que vous êtes, expliqua le Truc.

— Il veut dire une âme, annonça Gurder sur un ton las.

— Je n’ai jamais entendu autant de sottises d’un coup, clama Angalo d’un ton réjoui. Enfin, pas depuis le temps où l’on vivait dans le Grand Magasin et qu’on croyait qu’on reviendrait sous forme d’ornements de jardins, pas vrai ?

Il donna un coup de coude dans les côtes de Gurder.

Au lieu de s’emporter à cette remarque, Gurder donna l’impression d’être encore plus désemparé.

— Que le gamin vienne avec nous, s’il le veut, poursuivit Angalo. Il a une bonne mentalité. Je lui ressemblais quand j’avais son âge.

— Sa mère dit que, s’il a le mal du pays, il pourra toujours trouver une oie pour le ramener.

Masklinn ouvrit la bouche pour dire quelque chose.

Mais parfois, on ne trouve rien à dire, parce qu’il n’y a rien à dire. Quand on doit expliquer quelque chose à quelqu’un d’autre, il faut avoir un point de départ, un élément que vous êtes tous les deux sûrs d’avoir en commun ; Masklinn n’était pas certain qu’il y ait le moindre point de ce genre dans le territoire qu’occupait Buisson. Il se demanda quelle taille avait le monde, pour elle. Il était probablement plus grand que le gnome pouvait l’imaginer. Mais c’était un monde qui s’arrêtait au ciel.

— Bon, bon, d’accord, fit-il. Mais on part tout de suite. On n’a pas de temps à perdre en pleurnicheries et en au re…

Pionn adressa un signe de tête à sa mère et vint se placer auprès de Masklinn, qui ne trouva rien à dire. Même plus tard, quand il comprit mieux les gnomes aux oies, il ne s’habitua jamais complètement à leur façon de se séparer en souriant. Les distances ne semblaient pas vraiment compter pour eux.

— Bon… eh bien… on y va, alors, parvint-il à articuler.

Gurder lança un coup d’œil mauvais en direction de Queue-de-Cheval, qui avait insisté pour les accompagner jusqu’ici.

— J’aimerais vraiment pouvoir discuter avec ce gnome, fit-il.

— Selon Buisson, c’est plutôt quelqu’un de bien, en fait, intervint Masklinn. Simplement, il a tendance à se cramponner à ses idées.

— Exactement comme toi, Gurder, fit Angalo.

— Moi ? Mais je ne suis pas…

— Mais non, bien sûr que non, intervint Masklinn sur un ton apaisant. Et maintenant, en route.

Ils trottinaient à travers des végétaux deux ou trois fois plus hauts qu’eux.

— On n’arrivera jamais à temps, ahana Gurder.

— Garde ton souffle pour courir, repartit Angalo.

— Ils servent du saumon fumé, à bord des Navettes ? s’enquit Gurder.

— Chais pas, répondit Masklinn en s’ouvrant un chemin à travers une touffe d’herbes particulièrement coriaces.

— Non, annonça Angalo avec fermeté. Je me souviens, j’ai lu quelque chose là-dessus dans un livre. Ils mangent de la nourriture en tube.

Les gnomes continuèrent à courir en silence, le temps de ruminer la nouvelle.

— Ils mangent du dentifrice ? finit par demander Gurder.

— Mais non, pas du dentifrice. Bien sûr qu’ils ne mangent pas du dentifrice. J’en suis certain, c’était pas du dentifrice.

— Et qu’est-ce que tu connais d’autre qui n’existe qu’en tube ?

Angalo y réfléchit.

— Heu !… De la colle ?

— C’est pas ce que j’appellerais un bon repas, ça, de la colle. Du dentifrice et de la colle ?

— Les gens qui conduisent les Navettes doivent aimer ça. Sur toutes les images que j’ai vues, ils avaient de grands sourires, expliqua Angalo.

— Ils ne souriaient pas, ils essayaient de se décoller les mâchoires, corrigea Gurder.

— Mais non, tu te trompes complètement, jugea Angalo, dont l’imagination fonctionnait à plein rendement. S’ils mangent leur nourriture en tube, c’est à cause de la gravité.

— Qu’est-ce qu’elle a, la gravité ?

— Y en a pas.

— Pas de quoi ?

— De gravité. Alors, tout flotte.

— Où ça, dans l’eau ? s’étonna Gurder.

— Non, en l’air. Parce qu’il n’y a plus rien pour retenir les choses sur l’assiette, tu comprends.

— Oh ! (Gurder hocha la tête.) Alors, la colle, c’est pour ça ?

Ils auraient été capables de continuer comme ça pendant des heures, Masklinn le savait bien. Ce que ces bruits signifiaient, c’était : je suis bien vivant, toi aussi. Et nous nous inquiétons beaucoup en songeant que nous risquons de ne plus le rester très longtemps, alors nous allons continuer à bavarder, parce que ça vaut mieux que de réfléchir.

La situation avait paru plus favorable, vue à quelques jours ou à quelques semaines de distance, mais maintenant qu’il ne restait que…

— Combien de temps, Truc ?

— Quarante minutes.

— Il faut qu’on se repose encore ! Gurder ne court plus, il s’écroule en avant.

Ils s’effondrèrent dans l’ombre d’un fourré. La Navette ne semblait pas s’être rapprochée, mais ils distinguaient pas mal d’activité autour d’elle. Le nombre d’hélicoptères avait augmenté. D’après les gestes frénétiques de Pionn, qui avait escaladé le fourré, il y avait des humains, encore plus loin.

— Il faut que je dorme, avoua Angalo.

— Tu n’as pas dormi à bord de l’oie ? demanda Masklinn.

— Parce que tu as dormi, toi ?

Angalo s’étendit à l’ombre.

— Comment allons-nous grimper à bord de la Navette ? demanda-t-il.

Masklinn haussa les épaules en signe d’ignorance.

— Ben, d’après le Truc, ce n’est pas nécessaire de grimper à bord, il suffit de l’y placer.

Angalo se redressa sur ses coudes.

— Tu veux dire qu’on ne va pas voyager à bord de la Navette ? Mais j’en avais envie, moi !

— Ce n’est pas exactement comme le Camion, Angalo, je pense. Ça m’étonnerait qu’on puisse s’y glisser par une vitre qu’ils auraient laissée ouverte, expliqua Masklinn. Je crois qu’il faudrait plus qu’un groupe de gnomes équipés de ficelle pour la faire voler, d’ailleurs.

— Tu sais, conduire le Camion a été le plus beau moment de ma vie, dit Angalo sur un ton rêveur. Quand je pense à tous ces mois que j’ai passés dans le Grand Magasin sans même connaître l’existence du Dehors…

Masklinn attendit poliment. Il avait la tête lourde.

— Quoi ? demanda-t-il.

— Quoi quoi ?

— Que se passe-t-il, quand tu penses à tous ces mois que tu as passés dans le Grand Magasin sans même connaître l’existence du Dehors ?

— Quel gaspillage !… Tu sais ce que je ferai si… je veux dire quand on sera de retour chez nous ? Je vais écrire tout ce qu’on a appris. On devrait faire ça, tu vois. Fabriquer nos propres livres. Ne pas se contenter de lire ceux des humains, qui sont pleins de choses inventées. Mais pas des livres comme la Gnomenclature de Gurder. Des bouquins sur les choses qui comptent. La Science, par exemple…

Masklinn glissa un coup d’œil en direction de Gurder. L’Abbé ne fit aucun commentaire. Il dormait déjà.

Pionn se roula en boule et commença à ronfler. La voix d’Angalo diminua. Il bâilla.

Ils n’avaient pas dormi depuis des heures. Les gnomes dorment surtout la nuit, mais ils ont besoin de petites siestes pour tenir tout au long de la journée. Même Masklinn dodelinait de la tête.

— Truc ? songea-t-il à demander, tu me réveilles dans dix minutes, d’accord ?