Ils ne s’arrêtèrent pas au premier bâtiment, continuant vers une construction plus importante autour de laquelle étaient parqués de nombreux véhicules. Des humains, encore d’autres, les attendaient.
L’un d’eux ouvrit la portière du camion, avec beaucoup de lenteur, même pour un humain.
L’humain qui transportait Masklinn sortit du véhicule.
Masklinn leva les yeux pour voir des dizaines de visages qui le contemplaient. Il en voyait chaque œil, chaque narine. Ils avaient tous l’air inquiets. Enfin, tous les yeux avaient l’air inquiets. Les narines avaient l’air de narines ordinaires.
Et c’était lui qui les mettait mal à l’aise.
Continue de sourire.
Il leur rendit leurs regards ; la panique qu’il essayait de réprimer faillit le faire pouffer. Il demanda :
— Messieurs, que puis-je faire pour vous ?
9
Science : Une façon de comprendre les choses et ensuite de les faire fonctionner. La Science explique ce qui se passe tout le temps autour de nous. La religion aussi, mais la science marche mieux, parce qu’elle trouve des excuses plus crédibles quand elle se trompe. La Science est beaucoup plus répandue qu’on ne le croit en général.
Gurder, Angalo et Pionn étaient assis sous un fourré. Il leur offrait un peu d’ombre. Le nuage de désolation qui les couvrait faisait à peu près la même taille.
— On ne rentrera jamais chez nous, sans le Truc, fit Gurder.
— Dans ce cas, on ira chercher Masklinn, répondit Angalo.
— Ça va nous prendre une éternité !
— Ah oui ? Eh bien, c’est pratiquement le temps qu’il nous reste à passer ici, si on ne rentre pas chez nous.
Angalo trouva un caillou qui avait presque la forme idéale pour qu’on le fixe à une branchette grâce à des bandes de tissu déchirées sur son manteau ; de sa vie, il n’avait jamais vu de hache de pierre, mais il avait la ferme impression qu’on pouvait faire des choses bien pratiques avec une pierre attachée au bout d’un bâton.
— J’aimerais bien que tu arrêtes de jouer avec ce machin, fit Gurder. Bon, alors, ton grand plan, c’est quoi ? Nous contre le reste de la Floridie ?
— Pas forcément. Je ne t’oblige pas à me suivre.
— On se calme, monsieur À-la-rescousse. Un seul idiot, ça suffit largement.
— Je ne t’ai pas entendu proposer mieux.
Angalo fit siffler la hache dans les airs une ou deux fois.
— Je n’ai rien de mieux à proposer.
Un petit voyant rouge se mit à clignoter sur la surface du Truc.
Au bout d’un moment, un minuscule orifice de forme carrée s’ouvrit, on entendit un vrombissement infime et le Truc déploya une petite lentille au bout d’une tige. L’objet tourna lentement.
Puis le Truc parla.
— Où se trouve cet endroit ? demanda-t-il.
Il inclina la lentille vers le haut et il resta silencieux, le temps d’examiner le visage de l’humain qui le regardait.
— Et pourquoi ? ajouta-t-il.
— Je ne sais pas réellement, répondit Masklinn. Nous sommes dans une pièce d’un grand bâtiment. Les humains ne m’ont pas fait de mal. Je crois que l’un d’eux essaie de me parler.
— Il semblerait que nous nous trouvions dans un récipient de verre.
— Ils m’ont même donné un petit lit, expliqua Masklinn. Et je crois que le machin, là-bas, c’est comme des toilettes, mais… écoute-moi ! Et le Vaisseau ?
— Je présume qu’il est en route, annonça calmement le Truc.
— Tu présumes ? Tu présumes ? Tu veux dire que tu n’en sais rien ?
— Beaucoup de choses peuvent ne pas se dérouler selon les prévisions. Si tout a bien fonctionné, le Vaisseau sera ici sous peu.
— Et sinon, je suis coincé ici pour la vie, termina Masklinn sur un ton amer. C’est à cause de toi si je suis ici, tu sais.
— Oui, je le sais. Merci.
Masklinn se détendit un peu.
— Ils sont très gentils, expliqua-t-il. (Il réfléchit à ce qu’il venait de dire.) Enfin, je crois, ajouta-t-il. C’est difficile à dire.
Il regarda à travers la paroi transparente. Une foule d’humains était venue le regarder au cours des minutes qui venaient de s’écouler. Il n’était pas bien fixé : était-il un invité de marque ou un prisonnier, voire quelque chose entre les deux ?
— Ça m’a paru être le seul espoir, sur le coup, acheva-t-il sur un ton embarrassé.
— Je surveille les communications.
— Comme toujours.
— La plupart parlent de toi. Toutes sortes d’experts vont se précipiter ici pour t’examiner.
— Quel genre d’experts ? Des experts en gnomes ?
— Des experts en dialogue avec des créatures venues d’un autre monde. Les humains n’ont jamais rencontré personne qui vienne d’un autre monde, mais ils ont quand même des experts pour parler avec eux.
— J’espère que ça va marcher, fit Masklinn, grave. Les humains connaissent vraiment l’existence des gnomes, désormais.
— Mais pas leur vraie nature. Ils croient que tu viens juste d’arriver.
— C’est la pure vérité.
— Non, que tu viens juste d’arriver ici. Sur cette planète. Arrivé des étoiles.
— Mais ça fait des milliers d’années qu’on est là ! On vit ici !
— Les humains trouvent beaucoup plus facile de croire à des petits bonshommes venus de l’espace qu’à de petits bonshommes terrestres. Ils préfèrent croire aux petits hommes verts plutôt qu’aux farfadets.
Le front de Masklinn se fronça.
— J’ai rien compris.
— Ne t’inquiète pas, c’est sans importance.
Le Truc fit pivoter sa lentille pour inspecter le reste de la pièce.
— Très bien. Très scientifique.
Puis il la braqua sur un plateau en plastique blanc posé près de Masklinn.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Oh ! des fruits, des noix, de la viande, des trucs comme ça. Je crois qu’ils m’observent pour voir ce que je mange. J’ai l’impression que ce sont des humains très intelligents, Truc. J’ai montré ma bouche du doigt, et ils ont compris que j’avais faim.
— Ah ! fit le Truc. Conduisez-moi à votre chef cuisinier.
— Pardon ?
— Je vais m’expliquer. Je t’ai dit que je surveillais leurs communications ?
— Tout le temps.
— Il existe une plaisanterie, c’est-à-dire une anecdote ou histoire humoristique, que racontent les humains. Elle parle d’un Vaisseau venu d’un autre monde qui se pose sur cette planète. D’étranges créatures en sortent et demandent une pompe à essence, une poubelle, une machine à sous ou un engin mécanique de nature comparable : « Conduisez-moi à votre chef. » Je suppose que c’est parce qu’ils ne savent pas quelle apparence ont les humains. J’ai ajouté le mot « cuisinier », par allusion aux humains qui s’occupent de la cuisine. C’est un trait d’humour, un jeu sur les mots visant à un effet hilarant.