Les humains jaillissaient du bâtiment.
Le pull-over était bien plus facile à escalader. Masklinn se hissa avec une certaine célérité. De plus, le Petit-Fils Richard portait les cheveux assez longs, ce qui se révéla utile quand vint le moment de grimper sur son épaule.
Un chambranle de porte passa rapidement au-dessus de sa tête, puis le bleu profond du ciel.
— Combien de temps, Truc ? siffla Masklinn.
L’oreille de Richard Quadragénaire n’était qu’à quelques centimètres.
— Quarante-trois secondes.
Les humains se déployèrent sur la grande esplanade en ciment devant le bâtiment. D’autres sortirent de la bâtisse avec des machines à la main. Ils se cognaient les uns aux autres sans arrêt, parce qu’ils avaient tous les yeux fixés sur le ciel.
Un autre groupe était réuni autour d’un humain, qui semblait très inquiet.
— Qu’est-ce qui se passe, Truc ? chuchota Masklinn.
— L’humain au milieu du groupe est le plus important humain présent. Il est venu regarder le lancement de la Navette. Maintenant, tout le monde lui explique que c’est à lui d’accueillir le Vaisseau.
— Quel culot ! C’est même pas leur Vaisseau !
— Oui, mais ils croient que le Vaisseau vient leur parler.
— Quelle blague !
— Étonnant, non ? fit le Truc.
— Tout le monde sait que les gnomes sont plus importants, fit Masklinn. Enfin… tous les gnomes savent ça.
Il réfléchit un instant et secoua la tête.
— Alors, c’est ça, le chef des humains ? C’est un humain d’une grande sagesse, ou quelque chose comme ça ?
— Je n’en ai pas l’impression. Les autres humains autour de lui sont en train d’essayer de lui expliquer ce qu’est une planète.
— Il n’en sait rien ?
— Beaucoup d’humains l’ignorent. Monsieur Le-Vice-Président est du nombre. 001010011000.
— Tu recommences à parler au Vaisseau.
— Oui. Six secondes.
— Il arrive réellement…
— Oui.
10
Gravité : C’est une chose qu’on ne comprend pas encore bien, mais elle garde les petites choses, comme les gnomes, collées contre les grosses, comme les planètes. À cause de la science, ça se passe même si on ne sait pas que la gravité existe. Ce qui prouve que la Science se produit sans arrêt autour de nous.
Angalo regarda autour de lui.
— Allons, Gurder !
Gurder s’appuya contre une touffe d’herbe et tenta désespérément de retrouver son souffle.
— C’est pas la peine, ahana-t-il. Mais tu réfléchis un peu ? On ne peut bas se battre tout seul contre des humains !
— Pionn est avec nous. Et ma hache est plutôt bien.
— Oh ! une hache en pierre, ça va sûrement les paniquer ! Si tu en avais une seconde, je suis sûr qu’ils se rendraient immédiatement.
Angalo la balançait d’avant en arrière. Elle pesait agréablement au creux de sa main.
— Il faut essayer, répondit-il simplement. Allez, viens, Pionn. Qu’est-ce que tu regardes ? Des oies sauvages ?
Pionn contemplait le ciel.
— Il y a un point là-haut, dit Gurder en plissant les yeux.
— Un oiseau, sans doute.
— Ça ne ressemble pas à un oiseau.
— Alors, c’est un avion.
— Ça ne ressemble pas à un avion.
Ils regardaient tous les trois en l’air, maintenant, leurs visages tournés vers le ciel formant un triangle.
Là-haut, il y avait une tache sombre.
— Tu ne crois quand même pas qu’il a réussi ? demanda Angalo, hésitant.
La tache était maintenant devenue un petit cercle sombre.
— En tout cas, ça ne se déplace pas, dit Gurder.
— Pas sur le côté, c’est vrai, approuva Angalo, d’une voix très lente. On dirait que ça descend.
Ce qui avait été un petit cercle noir était maintenant un cercle noir plus grand, avec juste un soupçon de vapeur ou de fumée sur les bords.
— C’est peut-être un phénomène météo ? supputa Angalo. Tu sais, un genre de temps qu’on ne voit qu’en Floride ?
— Ben voyons ! Un grêlon gigantesque, hein ? C’est le Vaisseau ! Il vient nous chercher !
Il était beaucoup plus gros, et pourtant, et pourtant… il était encore très loin.
— S’il venait nous chercher un peu plus loin, ça ne me dérangerait pas, chevrota Gurder. Ça ne me dérangerait pas de marcher un peu.
— Oui, approuva Angalo qui semblait s’inquiéter sérieusement. Il n’a pas l’air de venir, plutôt de, de…
— De tomber, compléta Gurder.
Il regarda Angalo.
— On détale ?
— Ça vaut probablement le coup d’essayer.
— Dans quelle direction ?
— Et si on suivait Pionn ? Il a pris ses jambes à son cou il y a quelques instants.
Masklinn aurait été le premier à reconnaître qu’il n’était pas vraiment un expert en moyens de transport, mais ils semblaient tous avoir en commun la présence d’un avant, qui se trouvait à l’avant, et d’un arrière, qui ne s’y trouvait pas. Le but souhaité était que l’avant soit l’endroit à partir duquel ils se déplaçaient vers l’avant.
La chose qui tombait du ciel était un disque – juste un dessus rattaché à un dessous, avec des bords sur les côtés. Il ne faisait aucun bruit, mais les humains semblaient énormément impressionnés.
— C’est ça ?
— Oui.
— Oh !
C’est alors que les choses semblèrent se mettre en place.
On ne pouvait pas dire que le Vaisseau était grand. Il aurait fallu employer un mot tout neuf. Il ne tombait pas tant au travers de la fine couche nuageuse, qu’il les écartait, tout simplement. Et quand on pensait avoir enfin pris véritablement conscience de sa taille, un nuage passait à proximité, et il fallait réviser la perspective à la hausse. Pour quelque chose d’aussi grand, il aurait fallu un mot à part.
— Il va s’écraser ? souffla Masklinn.
— Je vais le faire se poser dans les broussailles, annonça le Truc. Je ne veux pas effrayer les humains.
— Cours !
— Qu’est-ce que tu crois que je suis en train de faire ?
— Il est toujours au-dessus de nous !
— Je cours ! Je cours ! Je ne peux pas courir plus vite !
Une ombre tombait sur les trois gnomes filant à toutes jambes.
— Faire tout ce chemin jusqu’à la Floride pour se faire aplatir par son propre Vaisseau ! gémit Angalo. Tu n’y as jamais réellement cru, hein ? Hé ben, maintenant, tu vas en avoir la preuve écrasante !
L’ombre s’approfondit. Ils pouvaient la voir voler sur l’herbe au-devant d’eux – grise sur les bords, se déployant vers des ténèbres nocturnes. Leur propre nuit, une nuit pour eux seuls.
— Les autres sont encore par là-bas, quelque part, rappela Masklinn.
— Ah ! admit le Truc. J’avais oublié.
— Tu ne devrais pas oublier ce genre de chose !
— J’ai été très occupé, ces derniers temps. Je ne peux pas penser à tout. Je pense presque à tout, c’est déjà bien.