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— Qui songerait à vous donner tort…

Mais j’ai eu chaud. Si le gars San-A n’était pas d’une prudence extrême, il se serait fait faire marron en la conjoncture !

Je tire de mon portefeuille les paperasses piquées à Bucher et les tends au capitaine…

— Je crois que c’est pour les opérations douanières… Il est question de coton…

Et je rigole manière de lui indiquer que ce coton-là ne servira jamais à faire des pansements, bien au contraire !

— Bon, tranche-t-il après avoir pris possession des fafs… Comment vont se dérouler les opérations ?

Je hausse les épaules.

— A vrai dire, je n’en sais rien encore… Nos acheteurs sont des gars très prudents… Je les rencontre demain à dix heures sur le quai… Je pense qu’un transbordement aura lieu… immédiatement. Soyez prêt avec vos hommes…

Je me lève… Je soupire en pensant à mon stylo. L’occasion de l’utiliser est rêvée… Si je le glissais dans un coin de la cabine du pitaine, tout sauterait… Seulement il y aurait du dégât dans le port, vu le chargement du barlu… De plus, la petite serait fichue car les Arabes, privés de leur camelote, s’en débarrasseraient rapidos !

Non, il faut attendre demain en espérant très fort que tout ira bien.

— A demain, capitaine Fulmer… Et ravi de vous avoir connu…

Il me dit :

— J’espère que Bucher vous aura remis l’argent !

Du coup, j’ai l’œsophage qui se déguise en corde à nœuds.

— Naturellement…

Il sourit.

— Et… bien entendu vous me verserez l’argent du fret avant le déchargement ?

— Ça va de soi !

Je suis plutôt dans les ennuis, vous ne trouvez pas ?

— Il a joint la prime ?

C’est le moment de préciser…

— Il m’a donné une somme globale pour vous, sans la détailler, vous vous attendiez à combien ?

J’ai parlé sec, en type que ces questions presque administratives emmouscaillent prodigieusement.

— Cinquante, dit-il…

Je pense que ce sont des dollars ! A moins qu’il ne s’agisse de millions de francs… Dans le doute, je m’abstiens.

— Il m’en a donné cinquante-cinq.

Le visage de l’autre s’épanouit.

— Parfait…

On se serre la louche très énergiquement, en vieux potes de toujours et, l’allure dégagée, je vais rejoindre Félicie qui commence à trouver le temps long.

CHAPITRE XVI

Dix plombes du matin !

Il y a un ramdam formidable sur le port. Brouhaha confus, intense ! Les sirènes qui ululent dans le ciel d’azur… Des gars qui galopent ! Des wagonnets sur des rails… Des grues avec leur zonzonnement régulier… Et des cris, des exclamations, des interjections, des onomatopées !

J’ai, de bon matin, affranchi Félicie sur le rôle qu’elle allait devoir jouer… Elle est bouleversée en sachant que la petite fille de l’hôtel K2 va lui être confiée et qu’elle devra la mettre à l’abri…

— Ton bizeness est simple, lui ai-je dit. Je me planterai bien en vue… Les types arriveront… Ils auront la fillette. Toi, tu te tiendras cachée à l’écart… Je dirai à Carolyne de te rejoindre… A cet instant, il y aura sur le quai une ambulance que je viens de commander en prétendant qu’elle était destinée à une enfant malade qu’on doit débarquer.

« Tu prendras l’enfant dans tes bras et tu iras à l’ambulance… Nous sommes à l’hôtel Ferrari, Via Emmanuel II, ne l’oublie pas… Donne simplement cette adresse et attends-moi dans ta chambre avec la petite… »

— Et toi ? a-t-elle murmuré…

— Ne t’occupe pas, j’en aurai presque fini…

— J’ai peur pour toi !

— Occupe-toi seulement de la gosse ! San-Antonio a son ange gardien ! Je l’ai convoqué pour ce matin…

C’est à lui que je pense, à mon ange gardien… Il s’appelle Félicie et, d’où je suis, en faisant les cent pas, je l’aperçois, immobile entre deux montagnes de caisses sur lesquelles le mot CUBA est écrit en caractères grands comme ça !

A cinquante mètres de là, l’ambulance mandée est stoppée… Son conducteur, un jeune gars brun en blouse blanche, fume une cigarette, assis sur le marchepied du tank…

De ce côté-là, ça joue…

Un clocher essaie de sonner dix coups dans le tumulte.

Je regarde ma montre, elle se déclare entièrement d’accord avec lui.

Bon Dieu, ces ouistitis ne vont pas tarder, j’espère… J’ai les nerfs qui sont survoltés… Un de ces quatre, faudra que je leur fasse mettre un disjoncteur !

Une minute s’écoule, puis deux, puis trois…

Je piaffe ! Qu’est-ce qu’ils maquillent, les Ben Bougnouls brothers ? Est-ce qu’il y aurait contrordre ? Est-ce que cette came de Bucher serait parvenu à feinter Cherio ? Est-ce que…

Soudain une main me frappe sur l’épaule. Je saute : c’est le plus jeune des Arbis, toujours avec son bath pardingue en poils de camel.

— Fidèle au rendez-vous, monsieur Bucher ? fait-il de sa voix nasale.

Je lui souris.

— Où est l’enfant ?

— Elle va arriver… Auparavant je voulais m’assurer que vous étiez bien seul… Je suis ici depuis six heures du matin !

— Non mais, qu’est-ce que vous croyiez ?

— Rien, je redoutais seulement… J’ai vu qu’il n’y avait que la vieille dame… Parfait…

Il ôte son chapeau marron et s’en évente la frime. C’est un signal… Une bagnole radine… Mon battant bondit dans ma gorge. A l’intérieur j’aperçois l’autre Africain avec Carolyne. Saine et sauve ! Et puis, en même temps que je vois l’enfant, je pense à une chose terrible ! La gosse ne va pas me sauter au cou… Ni m’appeler papa… Au contraire, comme elle se rappellera que je l’ai un peu brutalisée l’autre matin, elle va avoir les chocottes…

Je souris…

— Bon… Vous avez aussi l’argent ?

— Mon collègue l’a…

Je vais pour m’approcher de l’auto, mais il me retient.

— Minute… Avant de récupérer l’enfant, vous allez me dire sur quel bateau se trouve la marchandise. J’irai vérifier… Si ça va, on vous rend la gosse… Sinon l’auto démarre et vous n’entendrez plus jamais parler de la fille ! Et puis n’approchez pas de la voiture car elle filerait également… Autre chose : donnez-moi votre revolver !

J’hésite et le lui tends.

Ce sont des fortiches… Je me dis que leur coup est minutieusement préparé.

J’attends donc après lui avoir désigné le Wander.

L’Arbi s’y dirige, grimpe l’échelle et se met à parlementer sur le pont avec… Je ne suis qu’une intense prière… Pourvu que tout aille bien ! Si par hasard l’auto s’éloigne, je suis bourru. Pas moyen de tirer dans les pneus…

Je piétine et me tords les doigts en adressant des risettes à l’enfant qui me regarde d’un air craintif, le nez aplati contre la vitre de l’auto. L’autre zèbre n’a d’yeux que pour son aminche… Pourtant je l’ai vu déplacer son rétroviseur, ce qui lui permet de surveiller itou mes réactions.

Un instant s’écoule… Le gnare descend de la passerelle… Il s’approche de moi.

— Ça me paraît régulier, Bucher.

— Alors, rendez-moi la gosse…

— Attendez ! Le transbordement ne peut s’effectuer ici… Je l’ai prévu en pleine mer… Vous allez donner des ordres à votre capitaine pour qu’il appareille. Vous viendrez avec l’enfant… Lorsque tout sera fini, je vous remettrai l’argent et vous filerez à bord du Wander.