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Je gronde :

— En voilà assez ! Je ne lèverai pas le petit doigt tant que la petite ne sera pas en sécurité !

Ses yeux deviennent presque blancs.

— Et moi je vous dis que si vous n’obéissez pas illico, l’auto fout le camp, compris ?

La sueur me dégouline le long de l’échine.

— Allons-y, tranché-je.

— Montez d’abord…

Il faut obéir. Je grimpe. Lui derrière. La porte de l’auto s’ouvre, le plus vieux des deux poils de chameau fait descendre la petite. Il la tire par la main vers l’échelle au milieu de laquelle je me suis arrêté pour voir.

— Avancez ! intime celui qui commande l’expédition.

Mon regard va chercher celui de Félicie entre ces caisses provenant de Cuba.

Elle est folle de désespoir… Elle pige que ça ne se passe pas comme prévu et que nous allons embarquer avec la môme…

Alors la voilà qui s’occupe de Carolyne… D’une bourrade maladroite, elle l’envoie de côté. Elle rafle la gosse et trotte vers l’ambulance.

L’Arabe pousse un juron, retrouve son équilibre et se lance à la poursuite de m’man. Son pote lui crie des trucs en arabe !

Je vois Félicie perdre du terrain.

— Attention, m’man ! crié-je à plein chapeau.

Je ne sais si au milieu du tintamarre elle a entendu…

Oui ! Elle se retourne… Elle voit l’autre sur elle… Elle recule… Choc ! Le gars titube encore… Félicie lâche la gamine et ramasse un morceau de chaîne cassée qui jonche le sol… Il n’y a que quatre ou cinq maillons, mais ils sont mahousses ! Elle lève ce bout de chaîne et l’abat dans la gueule du méchant qui se propulse à terre en bramant.

Le type de l’ambulance a entendu du bruit. Il a contourné les caisses et il assiste à la scène… Il s’avance. Félicie prend la petite dans ses bras… C’est son air digne, affolé, son air de brave femme qui décide le type de l’ambulance à agir… Il ramasse la petite, flanque m’man dans sa tire, se jette au volant.

Le carrosse décambute… L’Arabe se relève, sort son revolver… Pendant ces faits et gestes qui se sont déroulés en vingt secondes, mon tourmenteur a sorti également son feu. Il le braque sur moi, vert de rage.

— C’est toi qui vas payer, Bucher…

Il oublie une chose, c’est qu’étant engagé plus avant dans l’échelle, je le domine… Je chique au mec docile, lève les bras… Et je lève aussi le genou… Il le déguste là où l’on met une feuille de vigne aux statues. Il tire, mais la balle ne fait que m’effleurer, elle fait « ping » sur la coque du barlu… Son pote, qui s’apprêtait à défourailler sur l’ambulance, sursaute en entendant le coup de feu. Manque de réflexe, sans doute, il regarde… L’ambulance disparaît ! Alors il radine à la rescousse pour tirer son petit camarade de la merdouille.

Je n’ai pas perdu un quart de seconde. J’ai filé un coup de savate dans le bide à mon Mohamed… Puis un crochet au menton et il est allé s’écraser le pif sur le quai où il demeure sans connaissance… Voyant ça, l’autre courageux saute dans sa tire et démarre en trombe. Moi, je crains qu’il ne rattrape l’ambulance… Je saute à bas de l’échelle, ramasse le pétard du copain et je vide le chargeur sur l’arrière du véhicule… Poum ! Un boudin éclate. L’auto décrit une embardée… Le chauffeur essaie en vain de redresser la direction… Sa bagnole pique sur le quai, bute contre une bitte d’amarrage et tombe au jus… Des gars se ruent pour le tirer de là, mais la guinde s’engloutit en tourbillonnant dans l’eau noire… Moi, mine de rien, je fais glisser l’autre type inanimé dans la tisane… Puisque c’étaient des amis inséparables, hein ?

Nature, cette épopée a attiré au bastingage du Wander une bonne partie de l’équipage… Je monte à bord… J’ai encore du boulot à accomplir… Le capitaine pousse une sale gueule, je vous le dis.

— Qu’est-ce que ça signifie ? fait-il.

— Ça signifie que les acheteurs ont voulu me posséder… Ils avaient kidnappé ma fille… Vous parlez, ces foies blancs !

Je m’essuie le visage. La balle du crépu m’a égratigné l’oreille gauche.

— Filez-moi un coup de scotch, dis-je au capitaine.

Il fait la grimace.

— Descendez dans ma cabine. Je vous rejoindrai dès que j’aurai donné mes ordres.

Je descends ; une fois seul, au lieu de pinter du rye, je m’empare du fameux stylo… J’arrache la plume, dévisse le corps d’ébonite, j’introduis la plume dedans et je glisse l’instrument dans le tiroir d’un placard… Voilà, chef, mission remplie…

Maintenant, il ne me reste plus qu’à mettre les adjas avant le badaboum ; les feux d’artifice n’étant pas mon fort… Ni mon faible !

Je m’engage dans la coursive après avoir jeté un regard à ma breloque. Il est dix heures vingt. A vingt-cinq, il y aura du remue-ménage dans le port de Gênes !

Le barlu est agité d’un frémissement. Comme je m’approche de l’escalier, le capitaine paraît.

— Vous appareillez ? demandé-je.

— Immédiatement. Vos manigances vont attirer l’attention sur mon bâtiment et je n’ai pas envie qu’on fouille ma cale !

— C’est plus prudent, en effet. Bon, je descends pour en référer à Bucher, il prendra contact avec vous dès que…

La capitaine Fulmer secoue la tête.

— Pas du tout, vous restez avec nous…

Alors là, les enfants, là je les ai comme l’infante d’Espagne qui était toute petite et qu’un duègne gardait !

— Co… comment ? bégayé-je.

Il a une bouille implacable.

— Je dis que vous restez ici ! Je ne vous lâcherai que lorsque j’aurai touché mon dû… J’en ai assez de ces histoires !

— Mais, vous le toucherez… L’argent est à mon hôtel… Le temps de…

Je file un regard à ma breloque : une minute vient de s’écouler depuis que…

— Vous deviez l’emporter ce matin.

— Je…

— Vous vouliez me posséder ! Si vos intentions avaient été pures, vous ne seriez pas venu sans l’argent… Je tirerai tout ça au clair avec Bucher.

Il crie :

— Hank ! Steve !

Deux matafs du genre « laissez passer ce monsieur » s’insinuent dans la coursive… Mon sang cogne à mes tempes. J’ai mal au cœur. Je me sens faible… Le stylo explosif (nouvelle farce et attrape) est en train d’agir… Dans trois minutes, il explosera et on ne retrouvera que ma dent en or !

Le barlu remue… Il quitte le port lentement… Tant mieux pour les bâtiments voisins…

Fulmer dit quelque chose en danois. Les deux matafs me cramponnent chacun par une aile et m’entraînent.

On va au fond de la coursive… Ils ouvrent une porte, près de la cabine du vieux… Comme ça, je vais être aux premières loges pour le zim-boum-boum !

Plus que deux minutes et demie… Peut-être même pas… San-Antonio, mon chéri, c’est le moment de faire quelque chose… Les gars me propulsent à l’intérieur de la cabine… Je vois que le hublot est aveuglé par une plaque de tôle… Rien à faire…

Je me retourne… Incident technique… En me balançant, il m’ont accroché le pied dans une rainure du parquet et j’ai perdu mon soulier droit. Le plus gros se baisse pour l’enlever car il gêne la fermeture de la lourde. Je n’hésite pas. Prenant appui sur mon pied déchaussé, j’envoie un terrible coup de chaussette à clous dans le crâne du marin baissé. Il ne dit rien et s’écroule. Je me rue à l’extérieur. L’autre, qui filait déjà, se retourne. Il a droit à un une-deux à la nuque qui lui fait voir le pays d’Hamlet comme à travers un porte-plume souvenir !

Je l’enjambe sans m’excuser et je bombe… J’atteins le bout de la coursive… Je grimpe l’escalier… Vite ! Vite ! C’est maintenant une question de secondes… Vite, vite… Le capitaine est là… Mais il y aurait une locomotive que ça ne m’empêcherait pas de passer. Quand on a les jetons à ce point, aucune force au monde ne peut vous arrêter…