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— Bon.

Je glisse le stylo dans ma poche en faisant des vœux très sincères pour qu’il ne débloque pas. Si jamais l’aimable fabricant qui a mis cette invention au point s’est gouré d’un quart de poil, on retrouvera le bon San-Antonio dans les hautes branches d’un platane.

— Vous avez bien compris, San-Antonio ?

— Tout, Chef, l’avion de Florence ce soir… L’hôtel Rafael… La DS 21 immatriculée 78 demain… Les papiers sous la banquette… L’hôtel K2 à Cervia… J’ouvre 1’œil… Je démasque les trafiquants… Je remonte jusqu’au dépôt d’armes… Et enfin je fais sauter celui-ci… Tout est O.K.

Il me tend la main.

— Eh bien… Bonnes vacances !

Vous parlez d’un culot !

En déguerpissant du burlingue directorial, je croise Bérurier qui amène un prévenu à coups de pompes dans les noix.

— Salut, San-A, me dit-il en lâchant son souffre-douleur. Je te vois pour une belote ce soir ?

— Non, mon gros… Et tu peux te chercher un autre partenaire parce que tu ne me verras pas de sitôt…

— Tu prends tes vacances ?

— Tout juste !

— Et où que tu vas ?

— Au pays du macaroni en branche… La côte Adriatique, mon cher, pas moins… Paraît qu’avec de bonnes jumelles on aperçoit Tito d’une rive à l’autre par temps clair…

Il hausse les épaules.

— Moi, Tito, je m’en fous… Ce qui m’intéresse, c’est les jolies pépées avec leurs petits maillots de bain à moustaches.

Il se marre. Un sourire servile flotte sur la frime défraîchie du prévenu. Bérurier, qui s’en avise, lui flanque une mandale de trois kilos, histoire de lui rappeler les convenances.

— Amuse-toi bien, me dit-il en me serrant la louche.

— Je tâcherai…

CHAPITRE II

Félicie est en train de cueillir des fleurs lorsque je m’annonce à la porte de notre jardinet.

Elle a un sourire radieux.

— Déjà toi, mon grand ?

— Oui, m’man, je viens te chercher…

— Me chercher ?

— Nous partons en Italie.

Elle croit que je lui balance des vannes, mais elle s’aperçoit que je parle sérieusement et une sorte d’inquiétude transparaît sur sa bonne figure.

— Comment ça, en Italie ?

— Oh, c’est bien simple : un de mes collègues de la Grande Taule devait filer ce soir en vacances avec sa femme… Son hôtel est retenu, tout était archiprêt… Et puis il lui tombe un turbin sur le crâne. Comme je devais prendre mes vacances le mois prochain, on s’est arrangé avec le Vieux et je pars à sa place, tu saisis ?

L’explication lui suffit. Du reste, ce qu’elle voit dans tout ça, c’est que son petit San-Antonio d’amour va l’emmener en voyage ! Y a pas plus brave mère que cette mère-là !

Frénésie ! Valoches hâtivement faites… Cavalcade chez le voisin d’à côté pour lui confier les plantes vertes et lui demander d’arroser un peu le potager… Ruée à la poste pour leur dire de nous conserver le courrier jusqu’à nouvel ordre… Gare des Invalides où un planton de la Grande Taule m’attend avec les billets et les devises…

C’est la première fois que Félicie prend l’avion.

— Tu crois que je vais supporter ça, Antoine ?

— T’as peur, m’man ?

— Penses-tu, avec toi, que veux-tu qu’il m’arrive ?

Je lui achète un tube de bonbons à la menthe. Ensuite, c’est la grande envolée…

— Je vais voir l’Italie, murmure Félicie toutes les cinq secondes.

Pour la voir, elle va la voir ! Et comment !

Je ne vous bonnis rien sur le voyage sans incident, l’arrivée à l’hôtel Rafael, les exclamations de ma brave femme de mère qui n’était jamais descendue dans un palace et sur notre route jusqu’à Cervia. La bagnole promise par le Boss se trouvait effectivement devant l’hôtel et sous le siège arrière, outre les papiers de l’auto se trouvait aussi un P 38 flambant neuf avec deux chargeurs de rabe… De la jolie mécanique de précision, parole ! On se sent nettement moins seulâbre avec un tel compagnon de voyage.

Il est un peu plus d’une heure de l’après-midi lorsque je débarque à Cervia. Cette situation-là ne ressemble pas aux autres. Je cherche pourquoi et je finis par trouver : la végétation de l’Adriatique n’a rien de commun avec celle de la Méditerranée. Ici, pas de palmiers, mais des platanes… Les hôtels ressemblent à des propriétés privées. Ils s’élèvent comme des pavillons dans une luxueuse banlieue. Seule concession : le Casino. Il se dresse au bout de l’avenue, morne et blanchâtre, très Utrillo. Derrière, il y a la mer, la plage, de la viande…

Je trouve sans difficulté le K2. C’est une magnifique construction moderne, blanche, avec des stores jaunes, des parasols multicolores, et un perron bordé de pots de fleurs.

— C’est ravissant ! déclare Félicie.

Je m’annonce dans un joli hall à carreaux verts et blancs dont les larges baies comportent des tentures de velours vertes. Les meubles font Primavera en diable. Les fauteuils ressemblent à des soucoupes volantes…

Je m’annonce à la caisse où une dame à cheveux blancs, l’air digne, demande avec une insistance polie un numéro de téléphone qu’elle n’arrive pas à obtenir.

Je lui dis qui je suis, d’où je viens et la suite. Mais elle me répond par une phrase désarmante :

— No parla francese !

« Ça démarre bien, me dis-je, en français et en aparté. » Comme j’ai l’air embêté, la digne personne, après avoir dit : « Momente ! » à la gonzesse de la poste, met sa main sur sa passoire à mensonges.

— Martha ! appelle-t-elle.

Se lève alors d’un fauteuil éloigné une étrange créature. C’est une grande fille pâle et blonde sans le moindre brin de fard. Elle est fringuée d’une robe verte, très quelconque et porte des espadrilles vertes. Il se dégage de sa personne je ne sais quoi de malsain, malgré sa physionomie souriante.

La vioque de la caisse me confie à elle.

— Vous êtes français ? me dit-elle. C’est pour vous les deux chambres retenues hier matin par téléphone ?

— Oui.

Elle me jette un regard tout bleu afin de prendre mes mesures. Ecoutez, bande de tartes à la crème fouettée, j’ai vu déjà bien des nanas voraces, mais jamais encore des comme celle-ci. Elle est à poil sous sa robe, la chérie… Et ses yeux vous disent gentiment : « Où est-ce qu’on se met ? » Elle doit aimer les malabars de mon gabarit.

Comme elle s’exprime sans l’ombre d’un accent, je questionne à mon tour :

— Française aussi ?

— Non, allemande !

Vlan ! Du coup, je dégode un peu.

— Vous parlez pourtant un français sans bavure…

— J’ai fait mes études à Paris…

— Vous êtes en vacances ici ?

— Non, j’y habite… Ma sœur a épousé le fils du patron.

Je lui file un coup de saveur encourageant qui lui va droit à la cible.

— Si vous avez besoin de cours du soir, pour parfaire votre syntaxe, faites-moi signe !

Elle a un sourire un peu énigmatique. Moi je freine sur le baratin car Félicie qui poireaute dans la bagnole me lance des regards de détresse.

— On peut descendre nos valises et nous conduire à nos chambres ?

— Naturellement.

Elle appelle :

— Gigi !

Un garçon en veste blanche, brun comme tout l’anthracite de la Ruhr, s’avance, souriant. La blonde allemande lui explique le pourquoi du comment du chose et il se précipite vers ma calèche.