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Je m’approche de ma petite Allemande.

— Vous avez bien dormi ? fais-je sans sourciller.

— Très bien, dit-elle de sa voix à la fois chantante et gutturale.

Je me penche sur elle, l’œil en vrille.

— Je crois, mon amour, que nos ébats ont empêché une partie de la population de l’hôtel de ronfler… Tenez, les deux petits vieux, entre autres, me font grise mine…

Elle hausse les épaules.

— C’est une idée que vous vous faites… Ils habitent le 11, à l’autre étage !

— Ah oui ?

— Oui…

— Excusez-moi, je vais me changer…

Elle m’agrippe par un bras.

— Vous revenez me voir, ce soir ?

Mince, elle passe ses commandes de bonne heure, la petite dévoreuse.

— Ben voyons, fais-je, prometteur.

Je m’élance dans l’escadrin jusqu’à ma chambre. Je passe un futal de lin et une marinière blanche… Ensuite je vais à la porte du 11.

J’écoute, pas un bruit. Je frappe légèrement, personne ne répond. D’un geste décidé j’utilise mon petit sésame, l’instrument qui met les serrures à la raison. Cric-crac, me voici dans la strass.

C’est la même chambre que la mienne. Deux pieux jumeaux, avec dessus des pyjamas rococos…

Je cavale à la penderie et je l’ouvre. Il y a des costards de coupe ancienne et des robes fanées… Je fouille les deux valises posées sur un treillis. Elles sont vides, leur contenu ayant été rangé dans le meuble… J’inventorie alors les grands tiroirs… J’y déniche du linge de corps aussi désuet que ceux qui le portent. Décidément, ces deux nistons sont bien des petits rentiers en vacances…

Je vais pour m’esbigner sur la pointe des tiges lorsque, ô catastrophe ! je perçois un bruit de pas dans le couloir. Ces pas s’arrêtent pile devant la porte. Une clé farfouille la serrure. Je sens mon raisin qui se caille. Si je me fais piquer dans une carrée qui n’est pas la mienne, ça va faire un sacré cri dans l’albergo ! Le méchant scandale, avec carabiniers et procession en musique jusqu’à l’hôtel de police…

Comme argument, peau de balle ! Je ne peux prétendre que j’attends le métro !

A toute vibre je fonce dans la salle de bains et je vais me carrer dans la douche. Rapidos je tire le rideau en plastique devant moi. Il ne me reste plus qu’à espérer que l’arrivant ne séjournera pas longtemps icigo et surtout qu’il n’aura pas d’idée hydrothérapique derrière la tête.

J’entends fredonner une voix de femme. Elle susurre un air italien. Je respire : il s’agit de la femme de chambre. Il n’y aurait que demi-mal si elle me découvrait dans cette planque. Je m’en tirerais en lui allongeant un bif de mille lires. Du moins je l’espère…

La voilà qui entre dans la salle de bains. Par l’ouverture du rideau je la vois cramponner une petite pelle à poussière qu’elle avait oubliée là… Elle se casse… Ouf ! Je l’ai échappé belle.

Je quitte mon poste d’observation et je m’apprête à évacuer les lieux lorsque mon pied glisse sur la faïence du receveur de douche et je vais partir de la lanterne contre le mur. Mon pif dérouille et je me mets à pisser rouge… Vite je drope au lavabo pour freiner l’hémorragie. Ça dure deux minutes, ensuite de quoi ça s’arrête. Tout en me soignant, je regarde les différents objets de toilette disposés sur la tablette et mon regard s’arrête sur un flacon de teinture. Ça retient mon attention parce que la teinture en question est blanche… Vous mordez ? Blanche… Les deux petits vieux, au lieu de se grimer en jeunots, accentuent leur âge par cet artifice. Voilà qui est troublant, n’est-ce pas ?

Je quitte la pièce, songeur. Sur les trois groupes de pensionnaires « inhabituels », en voici deux de suspects… La rouquine amerlock qui attend son marchand d’avions aujourd’hui VINGT-HUIT ! Et les deux vieux qui ne sont peut-être pas des vrais vieux !

Il ne me reste plus qu’à m’intéresser aux Suisses… Ceux-là, ils me paraissent blancs comme la neige de leur patelin. Mais on ne sait jamais. Le turbin d’un agent secret consiste à ne pas suivre ses impressions, mais la logique des faits…

Je rejoins Félicie.

— Excuse mon retard, lui dis-je, je me suis cogné le nez dans la salle de bains.

Naturlich je ne lui précise pas laquelle.

Nous déambulons dans les ruelles chaudes du village. Je suis de plus en plus pensif. Midi approche. Midi du 28 juillet et il ne s’est encore rien produit au K2.

Lorsque nous rentrons, les pensionnaires sont déjà dans la salle à manger pour la tortore. Nous gagnons notre table, derrière les Zurichois. Ces gens-là sont solennels comme des cathédrales gothiques. Franchement, ils sont à écarter…

Après le repas, m’man me dit qu’elle est un peu fatiguée par le soleil et qu’elle s’étendrait bien pour une sieste. En réalité, je vous parie une vie de chien contre une vie de chienne qu’elle agit de la sorte uniquement pour me laisser le champ libre. Elle a bien vu que je rôdaillais autour de deux greluses et elle ne voulait pas m’empêcher de mener à bien mes entreprises…

Je m’approche de l’Américaine, assise dans le jardin, tandis que sa nièce fait de la balançoire…

— Votre mari n’est pas encore arrivé ?

— Il ne va pas tarder…

Sur le pas de la porte, bravant le soleil, la môme Martha me foudroie du regard. Elle paraît en crosse, sans doute craint-elle que je lui échappe au profit de l’Américaine…

Je lui file un clin d’œil et je vais la rejoindre dans le salon. On donne un dessin animé polonais à la télévision. C’est passionnant comme un sermon du Révérend Père Riquet…

— Vous faites du charme à tout le monde, me dit-elle avec humeur.

— Allons donc ! Je lui demandais seulement le prénom de sa petite fille…

Je me tais, toute mon attention sollicitée par l’arrivée d’un homme élégant. Il tient une mallette de porc à la main. Il porte un complet beige, en tissu léger, des chaussures de daim champagne, une chemise blanche, une cravate saumon et il est coiffé d’un chapeau de paille à larges bords. Il a une gueule de gravure de mode. On le prendrait pour un acteur ricain.

Je vois Mme Dickson se précipiter sur lui et lui rouler un patin fignolé qui donnerait des idées polissonnes à une réception à l’Académie Française.

Bon, voilà le bonhomme…

Il jacte en amerlock avec sa souris. C’est elle qui parlemente à la caisse. Probable que l’italien ne l’inspire pas, cet homme ?

Martha me laisse un instant pour aller réceptionner l’arrivant et le mettre dans les pattes des serveurs.

Je l’attends en me farcissant la fin du dessin animé. Tout de suite après, j’ai droit à un puissant documentaire sur l’élevage des brebis galeuses.

Retour de Martha. Les Dickson se sont engagés dans les étages. Probable que le Ricain a deux mots à bonnir en particulier à sa pépée. Dans un sens (et même dans l’autre) je le comprends, cet homme…

Martha revient s’asseoir près de moi.

— Etrange, murmure-t-elle…

Elle est songeuse.

— Pourquoi ?

— Ce garçon parle mal l’anglais…

Je bondis.

— Que dites-vous ?

— Qu’il parle mal l’anglais… C’est pour cela que je dis « étrange »… Car enfin, un Américain…

Cette fois je suis certain de tenir du solide.

— Vous avez son passeport ?

Elle va farfouiller dans le tiroir de la caisse.

Puis elle revient, tenant un livret cartonné qu’elle me tend.

Je lis qu’il s’agit de Julius Ber Dickson, né à Kansas City, le 18 juillet 1924… Demeurant 119 Quatorzième rue à New York… La photographie est bien celle de l’homme qui vient d’entrer et le signalement correspond au sien. Je suis troublé.