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Les cochons sont lâchés

A Marc BONNANT

qui parle le français le plus pur, avec la tendresse de celui qui écrit le français le plus trouble.

SAN-A.

On a souvent vu des vivants faire semblant d’être morts. Mais on n’a jamais vu des morts faire semblant d’être vivants.

SAN-A.

DÉBUT

Le soleil cognait dur et l’on entendait presque rissoler sa graisse comme du lard dans une poêle chauffée.

Elle dormait et faisait penser à cet énorme veau marin affalé dans la lumière, pour qui soulever une paupière constituait un exercice exténuant. L’animal apparaissait dans je ne sais plus quelle pub ; chaque fois que je le voyais à la téloche, je me mettais à bâiller.

Elle portait un aimable maillot de bain deux-pièces qui aurait pu servir de hamacs à la famille Tarzan. Il était bleu marine et imprimé de gros dahlias rouges. Sa partie supérieure ne parvenait pas à contenir les deux formidables mamelles qui s’échappaient de toutes parts ; quant à la partie inférieure, elle dissimulait mal une moulasse grosse comme deux kilogrammes de pain, dont la touffe exubérante s’égaillait loin sur le ventre et les cuisses.

Elle dormait avec l’innocence d’une petite fille obèse. La chaleur avait fait fondre son rouge à lèvres, lequel perlait en menues boulettes aux poils de sa moustache. Elle souriait d’aise à travers la bouillie pourpre résultant de cette fusion. Elle tenait chastement un bras sur ses yeux et ses voisins de plage, fascinés par le rare spectacle qu’elle constituait, pensaient qu’un chat angora était pelotonné dans le creux de son aisselle.

Son compagnon, un brun du genre Roméo pour fête foraine : chevelure gominée à la Travolta, fine baffie rappelant celle du regretté Adolphe Menjou, se tenait sur un coude à l’ombre de cette masse de chair. Avec une longue brindille trouvée sur la plage, il caressait le monceau de cellulite mis à sa disposition pour faire naître un frisson sur la monstrueuse cuisse offerte au soleil.

Il entendit un petit rire moqueur et tourna la tête. Il vit une jeune fille brune, très bronzée, qui regardait son manège avec amusement. Le galantin jeta sa brindille et s’assit en tailleur sur sa serviette pour consacrer son intérêt à la femme brune. Elle avait des yeux presque verts, couleur huître. Il l’avait déjà aperçue à leur hôtel. Dans la salle à manger en plein air, elle occupait une table proche de la leur et il avait été surpris de constater qu’une fille aussi ravissante était seule. Chaque soir il se disait que, le lendemain, un compagnon l’aurait rejointe, mais ce n’était jamais le cas.

Comme elle le dévisageait hardiment, il lui plaça un sourire voluptueux qui montrait un bout de langue, ainsi qu’une œillade de velours dont il avait le secret (il était d’origine napolitaine).

Elle lui rendit son œillade.

« Cette salope est en manque de chibre », songea-t-il.

Il humait les effluves de la femme avec une circonspection animale. Au bout de peu, il s’avança vers elle en se déplaçant sur les genoux. Lorsqu’il fut à un mètre de la femme brune, il s’assit sur ses talons.

— Hello ! fit-il. Buena dias !

Elle retrouva son sourire.

— Sans vouloir vous vexer, fit-elle en italien, votre espagnol n’est pas très fameux.

Il eut une moue piteuse.

— Vous êtes made in Italie ? demanda-t-il.

— Pas moi : vous !

— C’est vrai, reconnut-il.

— Napoli ? poursuivit-elle.

— En effet. Vous parlez rudement bien le dialecte napolitain.

— J’ai toujours été surdouée pour les langues étrangères ; j’en parle seize en tout ! Vous vivez en France, n’est-ce pas ?

— Exact.

— Votre femme est tout à fait française, ajouta la fille brune avec une expression ironique qui le fit rougir.

— Ce n’est pas ma femme.

— C’est quoi alors, votre maîtresse ?

Il ne répondit pas. Son regard salingue restait fixé sur l’entrejambe écarté de son interlocutrice. Il devinait un sexe délicat, merveilleusement fendu, et une impétueuse envie de s’en délecter lui vint. C’était un rustre aux désirs souverains qu’il dorlotait comme des enfants. Un jouisseur sans états d’âme.

— C’est étrange, soupira la jeune femme.

— Qu’est-ce qui est étrange ?

— Une femme, quand on l’épouse, elle est convenable, et puis il arrive qu’elle se mette à grossir et qu’elle devienne obèse. Mais qu’on prenne une maîtresse obèse dénote de curieux instincts. Seriez-vous pervers ?

Il haussa les épaules :

— Je ne sais pas.

— Elle vous plaît ?

— C’est une formidable salope : je prends un pied d’enfer avec elle.

— C’est bien ce que je pensais : vous êtes sadique.

— Non mais, ça va pas ! protesta le Casanova pour noces et banquets.

— Ne vous fâchez pas, venant de moi c’est un compliment. J’aime les hommes qui baisent avec les yeux. Vous avez une façon tout à fait particulière de fixer une femme qui vous inspire. Vous me faites mouiller !

Le don Juan en eut la gorge nouée.

— C’est vrai ? bredouilla-t-il comme un con.

— Il ne tient qu’à vous de vous en rendre compte.

L’invite était grande comme la cathédrale de Chartres ; le bellâtre n’y résista pas.

— Je ne demande pas mieux, mais où ?

— J’occupe la chambre 612.

Elle se leva avec une grâce féline, comme l’on écrit dans certains ouvrages de haute tenue littéraire. Du pouce glissé sous son maillot unipièce noir, elle remit ce dernier en bonne place de part et d’autre de sa chatte.

— Je rentre la première, rejoignez-moi dans trois minutes.

Il la regarda s’éloigner à contre-soleil. Elle était du feu de Dieu. Le séducteur transi se sentait bouleversé par cette aventure imprévue. Son cœur partait en dérapage incontrôlé et une monstrueuse soif rendait sa langue pareille à un os de seiche. Il se dressa à son tour et s’approcha de la dormeuse. La grosse vachasse ronflottait harmonieusement. Elle inspirait du nez avec de légers crachotements et expirait de la bouche en émettant un sifflement de fusée allant se perdre dans le cosmos.

Il s’accroupit près d’elle et, de l’index, écrivit dans le sable : « Je suis aux W-C. Bisous. »

Ayant tracé ce poétique message, il s’éloigna à longues foulées en direction de l’hôtel.

La 612 se trouvait à deux pas des ascenseurs ; la clé était restée à l’extérieur. Il toqua d’un doigt léger, puis grattouilla le montant pour dissiper toute équivoque. Une voix lointaine le pria d’entrer. Il obéit.

— Reprenez la clé ! cria la femme brune depuis la salle de bains séparée de la chambre par un dressing.

Il obtempéra et ferma consciencieusement de l’intérieur. Elle avait eu l’heureuse initiative de baisser les stores vénitiens et de tirer les doubles rideaux. Malgré tout, la clarté impétueuse du dehors parvenait à forcer la pénombre et les ténèbres souhaitées se fissuraient de traits lumineux.

Elle surgit en caracolant et bondit sur le lit où elle se plaça les bras et les jambes en croix de Saint-André.

— Viens ! haleta la femme brune d’une voix rauque.

Il se défit en un tour de main de son maillot de bain ensablé et, galant, secoua son membre pour en faire tomber les grains de quartz abrasifs.

Son sexe était perpendiculaire à son corps musclé et dodelinait avec des grâces pataudes. Sans déclencher le délire, il se présentait sous un volume de bon aloi, sa longueur inusitée compensant le diamètre passe-partout.

— Tu es superbe ! flatta la donzelle.