Выбрать главу

- Fais entrer les délégués des syndicats.

Sept Chinois entrent, l'un derrière l'autre - veste au col fermé et pantalons de toile blanche - en silence.

Des jeunes, des vieux. Ils se placent devant la table, en demi-cercle. L'un des plus âgés s'assied à demi sur le bureau : l'interprète. Tous écoutent Garine :

Il est probable qu'un coup d'État va être tenté contre nous cette semaine. Vous connaissez aussi bien que moi les opinions du général Tang et de ses amis ? Je n'ai pas besoin de vous rappeler combien de fois notre camarade Borodine a dû intervenir au Conseil pour faire maintenir le paiement des allocations de grève à Canton. Vous représentez, avant tout, nos sans-travail qui se sont dépensés sans compter, aux dernières réunions syndicales, pour faire reconnaître par tous les camarades vos qualités ; je sais que je peux compter sur vous. Voici d'ailleurs la liste des gens qui, suspects à Tang, à Tcheng-Daï et à leurs amis, doivent être arrêtés dès le début du mouvement.

Il leur passe une liste. Ils lisent, puis se regardent les uns les autres.

- Vous reconnaissez vos noms ? Donc, à partir du moment où vous sortirez de ce bureau...

À la fin de chaque phrase, l'interprète, d'une voix sourde, traduit ; les autres répondent par un murmure : litanies.

-... Vous ne devez plus rentrer chez vous. Chacun de vous restera à la permanence du syndicat, et y dormira. Pour vous...

Il désigne trois Chinois.

« ... dont les permanences sont trop éloignées pour être défendues, vous irez, en sortant, chercher les archives et les apporterez ici. Je vous ai fait préparer des bureaux. Chacun de vous donnera à ses piquets de grève(2) des instructions précises : il faut que nous puissions réunir tous nos hommes en une heure. »

Pendant qu'il parlait, il a fait circuler la boîte de cigarettes, qui est revenue sur la table. Il la referme avec un léger claquement, et se lève. L'un après l'autre, comme ils sont entrés, les Chinois sortent, lui serrant la main au passage. Il sonne.

- Que celui-là écrive la cause de sa visite, dit-il au planton, en lui rendant l'une des cartes. En attendant fais entrer Lo-Moï.

C'est un Chinois de petite taille, rasé, au visage couvert de boutons, qui se place devant Garine, respectueusement, les yeux baissés.

- Dans les derniers déclenchements de grève, à Hongkong et ici, trop de discours inutiles. Si les camarades se croient dans un Parlement, ils se trompent ! Et, une fois pour toutes, ces discours-là doivent être soutenus par un objet : si la maison du patron est trop loin, ou si elle est trop proche, ils peuvent toujours avoir son auto sous la main. Je répète, pour la dernière fois, que les orateurs doivent montrer ce qu'ils attaquent. Que je n'aie plus à revenir là-dessus.

Le petit Chinois s'incline et sort. Le planton rentre avec la carte que Garine lui a rendue tout à l'heure, et la lui tend.

- Pour des tanks ?

Garine hausse les sourcils.

- Enfin, ça regarde Borodine.

Il écrit sur la carte l'adresse de Borodine, et quelques mots (d'introduction, sans doute). On frappe à la porte, deux coups.

- Entrez !

Un Européen, au visage vigoureux taché d'une moustache américaine, vêtu du même uniforme kaki d'officier que Garine, pousse la porte.

- Garine, bonjour.

Il parle français, mais c'est encore un Russe.

- Bonjour, général.

- Eh bien ? Il se décide, monsieur Tang ?

- Tu es au courant ?

- À peu près. Je viens de voir Boro. Il souffre, ce pauvre garçon, en vérité ! Le docteur dit qu'il craint l'accès.

- Quel docteur : Myroff ou le Chinois ?

- Myroff. Alors, Tang ?

- Deux ou trois jours encore...

- Il n'a que son millier d'hommes ?

- Et ce qu'ils pourront trouver avec leur argent et celui des Anglais. Quinze à dix-huit cents en tout. En combien de temps l'armée rouge(3) peut-elle être ici, au minimum ? Six jours ?

- Huit. La propagande les a-t-elle travaillées, les troupes de Tang ?

- Très peu : les hommes sont presque tous Honanais et Yunnanais.

- Tant pis. Combien ont-ils de mitrailleuses ?

- Une vingtaine.

- Tu pourras avoir en ville cinq à six cents cadets, Garine, pas plus.

- Dès que l'action sera engagée, vous rappliquerez.

- Nous sommes donc d'accord : dès que les troupes de Tang seront alertées tu enverras les cadets dont tu disposeras, avec la section de mitrailleuses, et la police derrière. Et nous viendrons par le haut.

- Entendu.

L'homme s'en va.

- Dis donc, Garine, c'est le Chef de l'État-Major ?

- Oui : Gallen.

- Ce qu'il peut avoir l'air d'un officier du tsar !

- Comme les autres...

Nouveau Chinois, cheveux blancs en brosse.

Il s'approche, touche le bureau de l'extrémité de ses doigts, et attend.

- Vous avez tous vos sans-travail en main ?

- Oui, Monsieur.

- Combien pourrait-on en réunir en une demi-heure ?

- Avec quels moyens, Monsieur ?

- Moyens rapides. Négligez la question du transport.

- Plus de dix mille.

- Bien. Je vous remercie.

À son tour, le Chinois aux beaux cheveux blancs s'en va.

- Qu'est-ce que c'est que celui-là ?

- Chef du Bureau des Allocations. Un lettré. Ancien mandarin chassé. Des histoires...

Il rappelle le planton.

- Envoie tous ceux qui attendent encore chez le Commissaire à la Police Générale.

Mais, par la porte entrouverte, un nouveau Chinois, vient d'entrer, tranquille, après avoir frappé en passant deux petits coups. Obèse comme Nicolaïeff, rasé, avec une bouche épaisse et un visage sans traits, il sourit largement, découvrant des dents aurifiées, et tient entre ses doigts un énorme cigare. Il parle anglais.

- Le bateau de Vladivostock est arrivé, monsieur Garine ?

- Ce matin.

- Quelle quantité de gazoline ?

- Quinze cents... (suit le nom d'une mesure chinoise que je ne connais pas).

- Quand sera-t-elle livrée ?

- Demain. Le chèque ici même, comme d'habitude.

- Voulez-vous que je le signe immédiatement ?

- Non. Chaque chose en son temps.

- Alors, au revoir, monsieur Garine. À demain.

- À demain.

« Il nous achète les produits que nous envoie l'U. R. S. S., me dit Garine à mi-voix en français pendant que le Chinois s'en va. L'Internationale n'est pas riche, en ce moment, et les envois de matières premières sont bien nécessaires. Enfin, ils font ce qu'ils peuvent : gazoline, pétrole, armes, instructeurs... »

Il se lève, va jusqu'à la porte, regarde ; plus personne. Il revient à son bureau, se rassied et ouvre un dossier : HONGKONG. Les derniers rapports. Il me passe, de temps à autre, certaines pièces qu'il veut classer à part. Pour avoir moins chaud, j'abaisse la manette qui commande le ventilateur ; aussitôt les feuilles s'envolent. Il arrête le ventilateur, reclasse les feuilles éparses et continue à souligner certaines phrases au crayon rouge. Rapports, rapports, rapports. Pendant que je prépare un résumé de ceux qu'il a choisis, il sort. Rapports...

La grève qui paralyse Hongkong ne se maintiendra pas plus de trois jours, sous sa forme actuelle.

Supposons que les ouvriers qui ne recevront plus les secours de grève attendent dix jours avant de travailler à nouveau : en tout treize jours. Donc, si, avant quinze jours, Borodine n'a pas trouvé un nouveau moyen d'action, les bateaux anglais seront dans le port de Canton. Hongkong se relèvera ; tout l'enseignement de cette grève aura été donné en vain. Le coup porté à Hongkong est très dur ; les banques ont perdu, et perdent encore chaque jour des sommes énormes ; de plus, les Chinois ont vu que l'Angleterre n'est pas invulnérable. Mais, à l'heure actuelle, nos subventions et celles des banques anglaises font vivre une ville de trois cent mille habitants où personne ne travaille. De ce jeu, qui se lassera d'abord ? Nous, nécessairement. Et, du côté de Waïtchéou, l'armée de Tcheng-Tioung-Ming se prépare à entrer en campagne...