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Toutes mes gouttes de sueur!

Viens poser sur mes œuvres sombres

Ton doigt d’où sort une lueur!

Du bord des sinistres ravines

Du rêve et de la vision,

J’entrevois les choses divines… -

Complète l’apparition!

Viens voir le songeur qui s’enflamme

À mesure qu’il se détruit,

Et de jour en jour dans son âme

À plus de mort et moins de nuit!

Viens! viens dans ma brume hagarde,

Où naît la foi, d’où l’esprit sort,

Où confusément je regarde

Les formes obscures du sort.

Tout s’éclaire aux lueurs funèbres;

Dieu, pour le penseur attristé,

Ouvre toujours dans les ténèbres

De brusques gouffres de clarté.

Avant d’être sur cette terre,

Je sens que jadis j’ai plané;

J’étais l’archange solitaire,

Et mon malheur, c’est d’être né.

Sur mon âme, qui fut colombe,

Viens, toi qui des cieux as le sceau.

Quelquefois une plume tombe

Sur le cadavre d’un oiseau.

Oui, mon malheur irréparable,

C’est de pendre aux deux éléments,

C’est d’avoir en moi, misérable,

De la fange et des firmaments!

Hélas! hélas! c’est d’être un homme;

C’est de songer que j’étais beau,

D’ignorer comment je me nomme,

D’être un ciel et d’être un tombeau!

C’est d’être un forçat qui promène

Son vil labeur sous le ciel bleu;

C’est de porter la hotte humaine

Où j’avais vos ailes, mon Dieu!

C’est de traîner de la matière;

C’est d’être plein, moi, fils du jour,

De la terre du cimetière,

Même quand je m’écrie: Amour!

Marine-Terrace, janvier 1854.

XVI. Horror

I

Esprit mystérieux qui, le doigt sur ta bouche,

Passes… ne t’en va pas! parle à l’homme farouche

Ivre d’ombre et d’immensité,

Parle-moi, toi, front blanc qui dans ma nuit te penches;

Réponds-moi, toi qui luis et marches sous les branches,

Comme un souffle de la clarté!

Est-ce toi que chez moi minuit parfois apporte?

Est-ce toi qui heurtais l’autre nuit à ma porte,

Pendant que je ne dormais pas?

C’est donc vers moi que vient lentement ta lumière?

La pierre de mon seuil peut-être est la première

Des sombres marches du trépas.

Peut-être qu’à ma porte ouvrant sur l’ombre immense,

L’invisible escalier des ténèbres commence;

Peut-être, ô pâles échappés,

Quand vous montez du fond de l’horreur sépulcrale,

Ô morts, quand vous sortez de la froide spirale,

Est-ce chez moi que vous frappez!

Car la maison d’exil, mêlée aux catacombes,

Est adossée au mur de la ville des tombes.

Le proscrit est celui qui sort;

Il flotte submergé comme la nef qui sombre;

Le jour le voit à peine et dit: Quelle est cette ombre?

Et la nuit dit: Quel est ce mort?

Sois la bienvenue, ombre! ô ma sœur! ô figure

Qui me fais signe alors que sur l’énigme obscure

Je me penche, sinistre et seul;

Et qui viens, m’effrayant de ta lueur sublime,

Essuyer sur mon front la sueur de l’abîme

Avec un pan de ton linceul!

II

Oh! que le gouffre est noir, et que l’œil est débile!

Nous avons devant nous le silence immobile.

Qui sommes-nous? où sommes-nous?

Faut-il jouir? faut-il pleurer? Ceux qu’on rencontre

Passent. Quelle est la loi? La prière nous montre

L’écorchure de ses genoux.

D’où viens-tu? – Je ne sais. – Où vas-tu? – Je l’ignore.

L’homme ainsi parle à l’homme et l’onde au flot sonore.

Tout va, tout vient, tout ment, tout fuit.

Parfois nous devenons pâles, hommes et femmes,

Comme si nous sentions se fermer sur nos âmes

La main de la géante nuit.

Nous voyons fuir la flèche et l’ombre est sur la cible.

L’homme est lancé. Par qui? vers qui? Dans l’invisible.

L’arc ténébreux siffle dans l’air.