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Le blasphème en est le haillon.

Ne raillons pas. Nos cœurs sont les pavés du temple,

Il nous regarde, lui que l’infini contemple.

Insensé qui nie et qui mord!

Dans un rire imprudent, ne faisons pas, fils Ève,

Apparaître nos dents devant son œil qui rêve,

Comme elles seront dans la mort.

La femme nue, ayant les hanches découvertes,

Chair qui tente l’esprit, rit sous les feuilles vertes;

N’allons pas rire à son côté.

Ne chantons pas: – Jouir est tout. Le ciel est vide,

La nuit a peur, vous dis-je! elle devient livide

En contemplant l’immensité.

Ô douleur! clef des cieux! l’ironie est fumée.

L’expiation rouvre une porte fermée;

Les souffrances sont des faveurs.

Regardons, au-dessus des multitudes folles,

Monter vers les gibets et vers les auréoles

Les grands sacrifiés rêveurs.

Monter, c’est s’immoler. Toute cime est sévère.

L’Olympe lentement se transforme en Calvaire;

Partout le martyre est écrit;

Une immense croix gît dans notre nuit profonde;

Et nous voyons saigner aux quatre coins du monde

Les quatre clous de Jésus-Christ.

Ah! vivants, vous doutez! ah! vous riez, squelettes!

Lorsque l’aube apparaît, ceinte de bandelettes

D’or, d’émeraude et de carmin,

Vous huez, vous prenez, larves que le jour dore,

Pour la jeter au front céleste de l’aurore,

De la cendre dans votre main.

Vous criez: – Tout est mal. L’aigle vaut le reptile;

Tout ce que nous voyons n’est qu’une ombre inutile.

La vie au néant nous vomit.

Rien avant, rien après. Le sage doute et raille. -

Et, pendant ce temps-là, le brin d’herbe tressaille,

L’aube pleure, et le vent gémit.

Chaque fois qu’ici-bas l’homme, en proie aux désastres,

Rit, blasphème, et secoue, en regardant les astres,

Le sarcasme, ce vil lambeau,

Les morts se dressent froids au fond du caveau sombre,

Et de leur doigt de spectre écrivent – DIEU – dans l’ombre,

Sous la pierre de leur tombeau.

Marine-Terrace, 31 mars 1854.

XVIII .

Hélas! tout est sépulcre. On en sort, on y tombe:

La nuit est la muraille immense de la tombe.

Les astres, dont luit la clarté,

Orion, Sirius, Mars, Jupiter, Mercure,

Sont les cailloux qu’on voit dans ta tranchée obscure,

Ô sombre fosse Éternité!

Une nuit, un esprit me parla dans un rêve,

Et me dit: – Je suis aigle en un ciel où se lève

Un soleil qui t’est inconnu.

J’ai voulu soulever un coin du vaste voile;

J’ai voulu voir de près ton ciel et ton étoile;

Et c’est pourquoi je suis venu;

Et, quand j’ai traversé les cieux grands et terribles,

Quand j’ai vu le monceau des ténèbres horribles

Et l’abîme énorme où l’œil fuit,

Je me suis demandé si cette ombre où l’on souffre

Pourrait jamais combler ce puits, et si ce gouffre

Pourrait contenir cette nuit!

Et, moi, l’aigle lointain, épouvanté, j’arrive.

Et je crie, et je viens m’abattre sur ta rive,

Près de toi, songeur sans flambeau.

Connais-tu ces frissons, cette horreur, ce vertige,

Toi, l’autre aigle de l’autre azur? – Je suis, lui dis-je,

L’autre ver de l’autre tombeau.

Au dolmen de la Corbière, juin 1855.

XIX. Voyage de nuit

On conteste, on dispute, on proclame, on ignore.

Chaque religion est une tour sonore;

Ce qu’un prêtre édifie, un prêtre le détruit;

Chaque temple, tirant sa corde dans la nuit,

Fait, dans l’obscurité sinistre et solennelle,

Rendre un son différent à la cloche éternelle.

Nul ne connaît le fond, nul ne voit le sommet.

Tout l’équipage humain semble en démence; on met

Un aveugle en vigie, un manchot à la barre,

À peine a-t-on passé du sauvage au barbare,

À peine a-t-on franchi le plus noir de l’horreur,

À peine a-t-on, parmi le vertige et l’erreur,

Dans ce brouillard où l’homme attend, songe et soupire,

Sans sortir du mauvais, fait un pas hors du pire,

Que le vieux temps revient et nous mord les talons,