Выбрать главу

Ténèbres qui des cieux traversent les rayons,

Où le regard, ainsi que des flambeaux farouches

L’un après l’autre éteints par d’invisibles bouches,

Voit plonger tour à tour les constellations!

Quel Zorobabel formidable,

Quel Dédale vertigineux,

Cieux! a bâti dans l’insondable

Tout ce noir chaos lumineux?

Soleils, astres aux larges queues,

Gouffres! ô millions de lieues!

Sombres architectures bleues!

Quel bras a fait, créé, produit

Ces tours d’or que nuls yeux ne comptent,

Ces firmaments qui se confrontent,

Ces Babels d’étoiles qui montent

Dans ces Babylones de nuit?

Qui, dans l’ombre vivante et l’aube sépulcrale,

Qui, dans l’horreur fatale et dans l’amour profond,

A tordu ta splendide et sinistre spirale,

Ciel, où les univers se font et se défont?

Un double précipice à la fois les réclame.

«Immensité!» dit l’être. «Éternité!» dit l’âme.

À jamais! le sans fin roule dans le sans fond.

*

L’Inconnu, celui dont maint sage

Dans la brume obscure a douté,

L’immobile et muet visage,

Le voile de l’éternité,

A, pour montrer son ombre au crime,

Sa flamme au juste magnanime,

Jeté pêle-mêle à l’abîme

Tous ses masques, noirs ou vermeils;

Dans les éthers inaccessibles,

Ils flottent, cachés ou visibles;

Et ce sont ces masques terribles

Que nous appelons les soleils!

Et les peuples ont vu passer dans les ténèbres

Ces spectres de la nuit que nul ne pénétra;

Et flamines, santons, brahmanes, mages, guèbres,

Ont crié: Jupiter! Allah! Vishnou! Mithra!

Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs suprêmes,

Tous ces masques hagards s’effaceront d’eux-mêmes;

Alors, la face immense et calme apparaîtra!

III
*

Enfant! l’autre de ces deux mondes,

C’est le cœur d’un homme! – parfois,

Comme une perle au fond des ondes,

Dieu cache une âme au fond des bois.

Dieu cache un homme sous les chênes;

Et le sacre en d’austères lieux

Avec le silence des plaines,

L’ombre des monts, l’azur des cieux!

Ô ma fille! avec son mystère

Le soir envahit pas à pas

L’esprit d’un prêtre involontaire,

Près de ce feu qui luit là-bas!

Cet homme, dans quelque ruine,

Avec la ronce et le lézard,

Vit sous la brume et la bruine,

Fruit tombé de l’arbre hasard!

Il est devenu presque fauve;

Son bâton est son seul appui.

En le voyant, l’homme se sauve;

La bête seule vient à lui.

Il est l’être crépusculaire.

On a peur de l’apercevoir;

Pâtre tant que le jour l’éclaire,

Fantôme dès que vient le soir.

La faneuse dans la clairière

Le voit quand il fait, par moment,

Comme une ombre hors de sa bière,

Un pas hors de l’isolement.

Son vêtement dans ces décombres,

C’est un sac de cendre et de deuil,

Linceul troué par les clous sombres

De la misère, ce cercueil.

Le pommier lui jette ses pommes;

Il vit dans l’ombre enseveli;

C’est un pauvre homme loin des hommes,

C’est un habitant de l’oubli;

C’est un indigent sous la bure,

Un vieux front de la pauvreté,

Un haillon dans une masure,

Un esprit dans l’immensité!

*

Dans la nature transparente,

C’est l’œil des regards ingénus,

Un penseur à l’âme ignorante,

Un grave marcheur aux pieds nus!

Oui, c’est un cœur, une prunelle,

C’est un souffrant, c’est un songeur,

Sur qui la lueur éternelle

Fait trembler sa vague rougeur.

Il est là, l’âme aux cieux ravie,

Et, près d’un branchage enflammé,