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Pense, lui-même par la vie

Tison à demi consumé.

Il est calme en cette ombre épaisse;

Il aura bien toujours un peu

D’herbe pour que son bétail paisse,

De bois pour attiser son feu.

Nos luttes, nos chocs, nos désastres,

Il les ignore; il ne veut rien

Que, la nuit, le regard des astres,

Le jour, le regard de son chien.

Son troupeau gît sur l’herbe unie;

Il est là, lui, pasteur, ami,

Seul éveillé, comme un génie

À côté d’un peuple endormi.

Ses brebis, d’un rien remuées,

Ouvrant l’œil près du feu qui luit,

Aperçoivent sous les nuées

Sa forme droite dans la nuit;

Et, bouc qui bêle, agneau qui danse,

Dorment dans les bois hasardeux

Sous ce grand spectre Providence

Qu’ils sentent debout auprès d’eux.

*

Le pâtre songe, solitaire,

Pauvre et nu, mangeant son pain bis;

Il ne connaît rien de la terre

Que ce que broute la brebis.

Pourtant, il sait que l’homme souffre;

Mais il sonde l’éther profond.

Toute solitude est un gouffre,

Toute solitude est un mont.

Dès qu’il est debout sur ce faîte,

Le ciel reprend cet étranger;

La Judée avait le prophète,

La Chaldée avait le berger.

Ils tâtaient le ciel l’un et l’autre;

Et, plus tard, sous le feu divin,

Du prophète naquit l’apôtre,

Du pâtre naquit le devin.

La foule raillait leur démence;

Et l’homme dut, aux jours passés,

À ces ignorants la science,

La sagesse à ces insensés.

La nuit voyait, témoin austère,

Se rencontrer sur les hauteurs,

Face à face dans le mystère,

Les prophètes et les pasteurs.

– Où marchez-vous, tremblants prophètes?

– Où courez-vous, pâtres troublés?

Ainsi parlaient ces sombres têtes,

Et l’ombre leur criait: Allez!

Aujourd’hui, l’on ne sait plus même

Qui monta le plus de degrés

Des Zoroastres au front blême

Ou des Abrahams effarés.

Et, quand nos yeux, qui les admirent,

Veulent mesurer leur chemin,

Et savoir quels sont ceux qui mirent

Le plus de jour dans l’œil humain,

Du noir passé perçant les voiles,

Notre esprit flotte sans repos

Entre tous ces compteurs d’étoiles

Et tous ces compteurs de troupeaux.

*

Dans nos temps, où l’aube enfin dore

Les bords du terrestre ravin,

Le rêve humain s’approche encore

Plus près de l’idéal divin.

L’homme que la brume enveloppe,

Dans le ciel que Jésus ouvrit,

Comme à travers un télescope

Regarde à travers son esprit.

L’âme humaine, après le Calvaire,

A plus d’ampleur et de rayon;

Le grossissement de ce verre

Grandit encor la vision.

La solitude vénérable

Mène aujourd’hui l’homme sacré

Plus avant dans l’impénétrable,

Plus loin dans le démesuré.

Oui, si dans l’homme, que le nombre

Et le temps trompent tour à tour,

La foule dégorge de l’ombre,

La solitude fait le jour.

Le désert au ciel nous convie.

Ô seuil de l’azur! l’homme seul,

Vivant qui voit hors de la vie,

Lève d’avance son linceul.

Il parle aux voix que Dieu fit taire,

Mêlant sur son front pastoral

Aux lueurs troubles de la terre

Le serein rayon sépulcral.

Dans le désert, l’esprit qui pense

Subit par degrés sous les cieux

La dilatation immense

De l’infini mystérieux.

Il plonge au fond. Calme, il savoure

Le réel, le vrai, l’élément.

Toute la grandeur qui l’entoure

Le pénètre confusément.

Sans qu’il s’en doute, il va, se dompte,