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Qui ne connaît pas d’autre lyre

Que les grands bois et les grands vents,

Lui, dont l’âme semble étouffée,

Il s’envole, et, touchant le but,

Boit avec la coupe d’Orphée

À la source où Moïse but!

Lui, ce pâtre, en sa Thébaïde,

Cet ignorant, cet indigent,

Sans docteur, sans maître, sans guide,

Fouillant, scrutant, interrogeant

De sa roche où la paix séjourne,

Les cieux noirs, les bleus horizons,

Double ornière où sans cesse tourne

La roue énorme des saisons;

Seul, quand mai vide sa corbeille,

Quand octobre emplit son panier;

Seul, quand l’hiver à notre oreille

Vient siffler, gronder, et nier;

Quand sur notre terre, où se joue

Le blanc flocon flottant sans bruit,

La mort, spectre vierge, secoue,

Ses ailes pâles dans la nuit;

Quand, nous glaçant jusqu’aux vertèbres,

Nous jetant la neige en rêvant,

Ce sombre cygne des ténèbres

Laisse tomber sa plume au vent;

Quand la mer tourmente la barque;

Quand la plaine est là, ressemblant

À la morte dont un drap marque

L’obscur profil sinistre et blanc;

Seul sur cet âpre monticule,

À l’heure où, sous le ciel dormant,

Les méduses du crépuscule

Montrent leur face vaguement;

Seul la nuit, quand dorment ses chèvres,

Quand la terre et l’immensité

Se referment comme deux lèvres

Après que le psaume est chanté;

Seul, quand renaît le jour sonore,

À l’heure où sur le mont lointain

Flamboie et frissonne l’aurore,

Crête rouge du coq matin;

Seul, toujours seul, l’été, l’automne;

Front sans remords et sans effroi

À qui le nuage qui tonne

Dit tout bas: Ce n’est pas pour toi!

Oubliant dans ces grandes choses

Les trous de ses pauvres habits,

Comparant la douceur des roses

À la douceur de la brebis,

Sondant l’être, la loi fatale;

L’amour, la mort, la fleur, le fruit;

Voyant l’auréole idéale

Sortir de toute cette nuit,

Il sent, faisant passer le monde

Par sa pensée à chaque instant,

Dans cette obscurité profonde

Son œil devenir éclatant;

Et, dépassant la créature,

Montant toujours, toujours accru,

Il regarde tant la nature,

Que la nature a disparu!

Car, des effets allant aux causes,

L’œil perce et franchit le miroir,

Enfant; et contempler les choses,

C’est finir par ne plus les voir.

La matière tombe détruite

Devant l’esprit aux yeux de lynx;

Voir, c’est rejeter; la poursuite

De l’énigme est l’oubli du sphynx.

Il ne voit plus le ver qui rampe,

La feuille morte émue au vent,

Le pré, la source où l’oiseau trempe

Son petit pied rose en buvant;

Ni l’araignée, hydre étoilée,

Au centre du mal se tenant,

Ni l’abeille, lumière ailée,

Ni la fleur, parfum rayonnant;

Ni l’arbre où sur l’écorce dure

L’amant grave un chiffre d’un jour,

Que les ans font croître à mesure

Qu’ils font décroître son amour.

Il ne voit plus la vigne mûre,

La ville, large toit fumant,

Ni la campagne, ce murmure,

Ni la mer, ce rugissement;

Ni l’aube dorant les prairies,

Ni le couchant aux longs rayons,

Ni tous ces tas de pierreries

Qu’on nomme constellations,

Que l’éther de son ombre couvre,

Et qu’entrevoit notre œil terni

Quand la nuit curieuse entr’ouvre

Le sombre écrin de l’infini;

Il ne voit plus Saturne pâle,

Mars écarlate, Arcturus bleu,

Sirius, couronne d’opale,

Aldebaran, turban de feu;

Ni les mondes, esquifs sans voiles,

Ni, dans le grand ciel sans milieu,

Toute cette cendre d’étoiles;

Il voit l’astre unique; il voit Dieu!