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Que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit.

Vous ne pouvez avoir de subites clémences

Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit!

Je vous supplie, ô Dieu! de regarder mon âme,

Et de considérer

Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme,

Je viens vous adorer!

Considérez encor que j’avais, dès l’aurore,

Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,

Expliquant la nature à l’homme qui l’ignore,

Éclairant toute chose avec votre clarté;

Que j’avais, affrontant la haine et la colère,

Fait ma tâche ici-bas,

Que je ne pouvais pas m’attendre à ce salaire,

Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie,

Vous appesantiriez votre bras triomphant,

Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie,

Vous me reprendriez si vite mon enfant!

Qu’une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,

Que j’ai pu blasphémer,

Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette

Une pierre à la mer!

Considérez qu’on doute, ô mon Dieu! quand on souffre,

Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler,

Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,

Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,

Et qu’il ne se peut pas que l’homme, lorsqu’il sombre

Dans les afflictions,

Ait présente à l’esprit la sérénité sombre

Des constellations!

Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère,

Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.

Je me sens éclairé dans ma douleur amère

Par un meilleur regard jeté sur l’univers.

Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire,

S’il ose murmurer;

Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,

Mais laissez-moi pleurer!

Hélas! laissez les pleurs couler de ma paupière,

Puisque vous avez fait les hommes pour cela!

Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre

Et dire à mon enfant: Sens-tu que je suis là?

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,

Le soir, quand tout se tait,

Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,

Cet ange m’écoutait!

Hélas! vers le passé tournant un œil d’envie,

Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,

Je regarde toujours ce moment de ma vie

Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler!

Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure,

L’instant, pleurs superflus!

Où je criai: L’enfant que j’avais tout à l’heure,

Quoi donc! je ne l’ai plus!

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,

Ô mon Dieu! cette plaie a si longtemps saigné!

L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,

Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.

Ne vous irritez pas! fronts que le deuil réclame,

Mortels sujets aux pleurs,

Il nous est malaisé de retirer notre âme

De ces grandes douleurs.

Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,

Seigneur; quand on a vu dans sa vie, un matin,

Au milieu des ennuis, des peines, des misères,

Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,

Petit être joyeux,

Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée

Une porte des cieux;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même

Croître la grâce aimable et la douce raison,

Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime

Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste

De tout ce qu’on rêva,

Considérez que c’est une chose bien triste

De le voir qui s’en va!

Villequier, 4 septembre 1847.

XVI. Mors

Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.

Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,

Noir squelette laissant passer le crépuscule.

Dans l’ombre où l’on dirait que tout tremble et recule,

L’homme suivait des yeux les lueurs de la faulx.

Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux

Tombaient; elle changeait en désert Babylone,

Le trône en échafaud et l’échafaud en trône,

Les roses en fumier, les enfants en oiseaux,