L’histoire m’apparut, et je compris la loi
Des générations, cherchant Dieu, portant l’arche,
Et montant l’escalier immense marche à marche.
Je restai le même œil, voyant un autre ciel.
Est-ce ma faute, à moi, si l’azur éternel
Est plus grand et plus bleu qu’un plafond de Versailles?
Est-ce ma faute, à moi, mon Dieu, si tu tressailles
Dans mon cœur frémissant, à ce cri: Liberté!
L’œil de cet homme a plus d’aurore et de clarté,
Tant pis! prenez-vous-en à l’aube solennelle.
C’est la faute au soleil et non à la prunelle.
Vous dites: Où vas-tu? Je l’ignore; et j’y vais.
Quand le chemin est droit, jamais il n’est mauvais.
J’ai devant moi le jour et j’ai la nuit derrière;
Et cela me suffit; je brise la barrière.
Je vois, et rien de plus; je crois, et rien de moins.
Mon avenir à moi n’est pas un de mes soins.
Les hommes du passé, les combattants de l’ombre,
M’assaillent; je tiens tête, et sans compter leur nombre,
À ce choc inégal et parfois hasardeux.
Mais, Longwood et Goritz m’en sont témoins tous deux,
Jamais je n’outrageai la proscription sainte.
Le malheur, c’est la nuit; dans cette auguste enceinte,
Les hommes et les cieux paraissent étoilés.
Les derniers rois l’ont su quand ils s’en sont allés.
Jamais je ne refuse, alors que le soir tombe,
Mes larmes à l’exil, mes genoux à la tombe;
J’ai toujours consolé qui s’est évanoui;
Et, dans leurs noirs cercueils, leur tête me dit oui.
Ma mère aussi le sait! et de plus, avec joie,
Elle sait les devoirs nouveaux que Dieu m’envoie;
Car, étant dans la fosse, elle aussi voit le vrai.
Oui, l’homme sur la terre est un ange à l’essai;
Aimons! servons! aidons! luttons! souffrons! Ma mère
Sait qu’à présent je vis hors de toute chimère;
Elle sait que mes yeux au progrès sont ouverts,
Que j’attends les périls, l’épreuve, les revers,
Que je suis toujours prêt, et que je hâte l’heure
De ce grand lendemain: l’humanité meilleure!
Qu’heureux, triste, applaudi, chassé, vaincu, vainqueur,
Rien de ce but profond ne distraira mon cœur,
Ma volonté, mes pas, mes cris, mes vœux, ma flamme!
Ô saint tombeau, tu vois dans le fond de mon âme!
Oh! jamais, quel que soit le sort, le deuil, l’affront,
La conscience en moi ne baissera le front;
Elle marche sereine, indestructible et fière;
Car j’aperçois toujours, conseil lointain, lumière,
À travers mon destin, quel que soit le moment,
Quel que soit le désastre ou l’éblouissement,
Dans le bruit, dans le vent orageux qui m’emporte,
Dans l’aube, dans la nuit, l’œil de ma mère morte!
Paris, juin 1846.
Écrit en 1855
J’ajoute un post-scriptum après neuf ans. J’écoute;
Êtes-vous toujours là? Vous êtes mort sans doute,
Marquis; mais d’où je suis on peut parler aux morts.
Ah! votre cercueil s’ouvre: – Où donc es-tu? – Dehors.
Comme vous. – Es-tu mort? – Presque. J’habite l’ombre;
Je suis sur un rocher qu’environne l’eau sombre,
Écueil rongé des flots, de ténèbres chargé,
Où s’assied, ruisselant, le blême naufragé.
– Eh bien, me dites-vous, après? – La solitude
Autour de moi toujours a la même attitude;
Je ne vois que l’abîme, et la mer, et les cieux,
Et les nuages noirs qui vont silencieux;
Mon toit, la nuit, frissonne, et l’ouragan le mêle
Aux souffles effrénés de l’onde et de la grêle;
Quelqu’un semble clouer un crêpe à l’horizon;
L’insulte bat de loin le seuil de ma maison;
Le roc croule sous moi dès que mon pied s’y pose;
Le vent semble avoir peur de m’approcher, et n’ose
Me dire qu’en baissant la voix et qu’à demi
L’adieu mystérieux que me jette un ami.
La rumeur des vivants s’éteint diminuée.
Tout ce que j’ai rêvé s’est envolé, nuée!
Sur mes jours devenus fantômes, pâle et seul,
Je regarde tomber l’infini, ce linceul. -
Et vous dites: – Après? – Sous un mont qui surplombe,
Près des flots, j’ai marqué la place de ma tombe;
Ici, le bruit du gouffre est tout ce qu’on entend;
Tout est horreur et nuit. – Après? – Je suis content.
Jersey, janvier 1855.
La source tombait du rocher