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Dans les ombres que font les feuilles au soleil,

Sur tes pages où rit l’idée, où vit la grâce,

Croit voir se dessiner le pur profil d’Horace,

Comme si, se mirant au livre où je te voi,

Ce doux songeur ravi lisait derrière moi!

Marine-Terrace, décembre 1854.

IX. Le mendiant

Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.

Je cognai sur ma vitre; il s’arrêta devant

Ma porte, que j’ouvris d’une façon civile.

Les ânes revenaient du marché de la ville,

Portant les paysans accroupis sur leurs bâts.

C’était le vieux qui vit dans une niche au bas

De la montée, et rêve, attendant, solitaire,

Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,

Tendant les mains pour l’homme et les joignant pour Dieu.

Je lui criai: «Venez vous réchauffer un peu.

Comment vous nommez-vous?» Il me dit: «Je me nomme

Le pauvre. – Je lui pris la main: «Entrez, brave homme.»

Et je lui fis donner une jatte de lait.

Le vieillard grelottait de froid; il me parlait,

Et je lui répondais, pensif et sans l’entendre.

«Vos habits sont mouillés», dis-je, «il faut les étendre

Devant la cheminée.» Il s’approcha du feu.

Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,

Étalé largement sur la chaude fournaise,

Piqué de mille trous par la lueur de braise,

Couvrait l’âtre, et semblait un ciel noir étoilé.

Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé

D’où ruisselaient la pluie et l’eau des fondrières,

Je songeais que cet homme était plein de prières,

Et je regardais, sourd à ce que nous disions,

Sa bure où je voyais des constellations.

Décembre 1834.

X. Aux feuillantines

Mes deux frères et moi, nous étions tout enfants.

Notre mère disait: «Jouez, mais je défends

Qu’on marche dans les fleurs et qu’on monte aux échelles.»

Abel était l’aîné, j’étais le plus petit.

Nous mangions notre pain de si bon appétit,

Que les femmes riaient quand nous passions près d’elles.

Nous montions pour jouer au grenier du couvent.

Et, là, tout en jouant, nous regardions souvent,

Sur le haut d’une armoire, un livre inaccessible.

Nous grimpâmes un jour jusqu’à ce livre noir;

Je ne sais pas comment nous fîmes pour l’avoir,

Mais je me souviens bien que c’était une Bible.

Ce vieux livre sentait une odeur d’encensoir.

Nous allâmes ravis dans un coin nous asseoir;

Des estampes partout! quel bonheur! quel délire!

Nous l’ouvrîmes alors tout grand sur nos genoux,

Et, dès le premier mot, il nous parut si doux,

Qu’oubliant de jouer, nous nous mîmes à lire.

Nous lûmes tous les trois ainsi tout le matin,

Joseph, Ruth et Booz, le bon Samaritain,

Et, toujours plus charmés, le soir nous le relûmes.

Tels des enfants, s’ils ont pris un oiseau des cieux,

S’appellent en riant et s’étonnent, joyeux,

De sentir dans leur main la douceur de ses plumes.

Marine-Terrace, août 1855.

XI. Ponto

Je dis à mon chien noir: «Viens, Ponto, viens-nous-en!»

Et je vais dans les bois, mis comme un paysan;

Je vais dans les grands bois, lisant dans les vieux livres.

L’hiver, quand la ramée est un écrin de givres,

Ou l’été, quand tout rit, même l’aurore en pleurs,

Quand toute l’herbe n’est qu’un triomphe de fleurs,

Je prends Froissart, Montluc, Tacite, quelque histoire,

Et je marche, effaré des crimes de la gloire.

Hélas! l’horreur partout, même chez les meilleurs!

Toujours l’homme en sa nuit trahi par ses veilleurs!

Toutes les grandes mains, hélas! de sang rougies!

Alexandre ivre et fou, César perdu d’orgies,

Et, le poing sur Didier, le pied sur Vitikind,

Charlemagne souvent semblable à Charles-Quint;

Caton de chair humaine engraissant la murène;

Titus crucifiant Jérusalem; Turenne,

Héros, comme Bayard et comme Catinat,

À Nordlingue, bandit dans le Palatinat;

Le duel de Jarnac, le duel de Carrouge;

Louis Neuf tenaillant les langues d’un fer rouge;