Cromwell trompant Milton, Calvin brûlant Servet.
Que de spectres, ô gloire! autour de ton chevet!
Ô triste humanité, je fuis dans la nature!
Et, pendant que je dis: «Tout est leurre, imposture,
Mensonge, iniquité, mal de splendeur vêtu!»
Mon chien Ponto me suit. Le chien, c’est la vertu
Qui, ne pouvant se faire homme, s’est faite bête.
Et Ponto me regarde avec son œil honnête.
Marine-Terrace, mars 1855.
XII. Dolorosæ
Mère, voilà douze ans que notre fille est morte;
Et depuis, moi le père et vous la femme forte,
Nous n’avons pas été, Dieu le sait, un seul jour
Sans parfumer son nom de prière et d’amour.
Nous avons pris la sombre et charmante habitude
De voir son ombre vivre en notre solitude,
De la sentir passer et de l’entendre errer,
Et nous sommes restés à genoux à pleurer.
Nous avons persisté dans cette douleur douce,
Et nous vivons penchés sur ce cher nid de mousse
Emporté dans l’orage avec les deux oiseaux.
Mère, nous n’avons pas plié, quoique roseaux,
Ni perdu la bonté vis-à-vis l’un de l’autre,
Ni demandé la fin de mon deuil et du vôtre
À cette lâcheté qu’on appelle l’oubli.
Oui, depuis ce jour triste où pour nous ont pâli
Les cieux, les champs, les fleurs, l’étoile, l’aube pure,
Et toutes les splendeurs de la sombre nature,
Avec les trois enfants qui nous restent, trésor
De courage et d’amour que Dieu nous laisse encor,
Nous avons essuyé des fortunes diverses,
Ce qu’on nomme malheur, adversité, traverses,
Sans trembler, sans fléchir, sans haïr les écueils,
Donnant aux deuils du cœur, à l’absence, aux cercueils,
Aux souffrances dont saigne ou l’âme ou la famille,
Aux êtres chers enfuis ou morts, à notre fille,
Aux vieux parents repris par un monde meilleur,
Nos pleurs, et le sourire à toute autre douleur.
Marine-Terrace, août 1855.
XIII. Paroles sur la dune
Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau,
Que mes tâches sont terminées;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,
Et qu’au fond de ce ciel que mon essor rêva,
Je vois fuir, vers l’ombre entraînées,
Comme le tourbillon du passé qui s’en va,
Tant de belles heures sonnées;
Maintenant que je dis: – Un jour, nous triomphons;
Le lendemain, tout est mensonge! -
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.
Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuées,
S’envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuées;
J’entends le vent dans l’air, la mer sur le récif,
L’homme liant la gerbe mûre;
J’écoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure;
Et je reste parfois couché sans me lever
Sur l’herbe rare de la dune,
Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune.
Elle monte, elle jette un long rayon dormant
À l’espace, au mystère, au gouffre;
Et nous nous regardons tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.
Où donc s’en sont allés mes jours évanouis?
Est-il quelqu’un qui me connaisse?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux éblouis,
De la clarté de ma jeunesse?
Tout s’est-il envolé? Je suis seul, je suis las;
J’appelle sans qu’on me réponde;
Ô vents! ô flots! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas!
Hélas! ne suis-je aussi qu’une onde?
Ne verrai-je plus rien de tout ce que j’aimais?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe?
Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir?
J’attends, je demande, j’implore;
Je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore!
Comme le souvenir est voisin du remord!
Comme à pleurer tout nous ramène!
Et que je te sens froide en te touchant, ô mort,