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«Que la terre, agitant son panache de gerbes,

«Chante dans l’onde d’or d’une riche moisson!

«Vis, bête; vis, caillou; vis, homme; vis, buisson;

«À l’heure où le soleil se couche, où l’herbe est pleine

«Des grands fantômes noirs des arbres de la plaine

«Jusqu’aux lointains coteaux rampant et grandissant,

«Quand le brun laboureur des collines descend

«Et retourne à son toit d’où sort une fumée,

«Que la soif de revoir sa femme bien-aimée

«Et l’enfant qu’en ses bras hier il réchauffait,

«Que ce désir, croissant à chaque pas qu’il fait,

«Imite dans son cœur l’allongement de l’ombre!

«Êtres! choses! vivez! sans peur, sans deuil, sans nombre!

«Que tout s’épanouisse en sourire vermeil!

«Que l’homme ait le repos et le bœuf le sommeil!

«Vivez! croissez! semez le grain à l’aventure!

«Qu’on sent frissonner dans toute la nature,

«Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons,

«Dans l’obscur tremblement des profonds horizons,

«Un vaste emportement d’aimer, dans l’herbe verte,

«Dans l’antre, dans l’étang, dans la clairière ouverte,

«D’aimer sans fin, d’aimer toujours, d’aimer encor,

«Sous la sérénité des sombres astres d’or!

«Faites tressaillir l’air, le flot, l’aile, la bouche,

«Ô palpitations du grand amour farouche!

«Qu’on sente le baiser de l’être illimité!

«Et, paix, vertu, bonheur, espérance, bonté,

«Ô fruits divins, tombez des branches éternelles!»

Ainsi vous parliez, voix, grandes voix solennelles;

Et Virgile écoutait comme j’écoute, et l’eau

Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau

Le vent, et le rocher l’écume, et le ciel sombre

L’homme… Ô nature! abîme! immensité de l’ombre!

Marine-Terrace, juillet 1855.

XVIII. Apparition

Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête;

Son vol éblouissant apaisait la tempête,

Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit.

– Qu’est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit?

Lui dis-je. Il répondit: – Je viens prendre ton âme.

Et j’eus peur, car je vis que c’était une femme;

Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras:

– Que me restera-t-il? car tu t’envoleras.

Il ne répondit pas; le ciel que l’ombre assiège

S’éteignait… – Si tu prends mon âme, m’écriai-je,

Où l’emporteras-tu? montre-moi dans quel lieu.

Il se taisait toujours. – Ô passant du ciel bleu,

Es-tu la mort? lui dis-je, ou bien es-tu la vie?

Et la nuit augmentait sur mon âme ravie,

Et l’ange devint noir, et dit: – Je suis l’amour.

Mais son front sombre était plus charmant que le jour,

Et je voyais, dans l’ombre où brillaient ses prunelles,

Les astres à travers les plumes de ses ailes.

Jersey, septembre 1855.

XIX. Au poëte qui m’envoie une plume d’aigle

Oui, c’est une heure solennelle!

Mon esprit en ce jour serein

Croit qu’un peu de gloire éternelle

Se mêle au bruit contemporain,

Puisque, dans mon humble retraite,

Je ramasse, sans me courber,

Ce qu’y laisse choir le poëte,

Ce que l’aigle y laisse tomber!

Puisque sur ma tête fidèle

Ils ont jeté, couple vainqueur,

L’un, une plume de son aile,

L’autre, une strophe de son cœur!

Oh! soyez donc les bienvenues,

Plume! strophe! envoi glorieux!

Vous avez erré dans les nues,

Vous avez plané dans les cieux!

11 décembre.

XX. Cérigo

I

Tout homme qui vieillit est ce roc solitaire

Et triste, Cérigo, qui fut jadis Cythère,

Cythère aux nids charmants, Cythère aux myrtes verts,

La conque de Cypris sacrée au sein des mers.

La vie auguste, goutte à goutte, heure par heure,

S’épand sur ce qui passe et sur ce qui demeure;

Là-bas, la Grèce brille agonisante, et l’œil

S’emplit en la voyant de lumière et de deuil;