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La lumière, l’histoire, et la ville, et la France,

Tous les dictames saints qui calment la souffrance,

Raison, justice, espoir, vertu, foi, vérité,

Le parfum poésie et le vin liberté,

Et qui sur le vaincu, cœur meurtri, noir fantôme,

Te penches, et répands l’idéal comme un baume!

Paul, il me semble, grâce à ce fier souvenir

Dont tu viens nous bercer, nous sacrer, nous bénir,

Que dans ma plaie, où dort la douleur, ô poëte!

Je sens de la charpie avec un drapeau faite.

Marine-Terrace, août 1855.

XXII .

Je payai le pêcheur qui passa son chemin,

Et je pris cette bête horrible dans ma main;

C’était un être obscur comme l’onde en apporte,

Qui, plus grand, serait hydre, et, plus petit, cloporte;

Sans forme comme l’ombre, et, comme Dieu, sans nom.

Il ouvrait une bouche affreuse, un noir moignon

Sortait de son écaille; il tâchait de me mordre;

Dieu, dans l’immensité formidable de l’ordre,

Donne une place sombre à ces spectres hideux;

Il tâchait de me mordre, et nous luttions tous deux;

Ses dents cherchaient mes doigts qu’effrayait leur approche;

L’homme qui me l’avait vendu tourna la roche;

Comme il disparaissait, le crabe me mordit;

Je lui dis: «Vis! et sois béni, pauvre maudit!»

Et je le rejetai dans la vague profonde,

Afin qu’il allât dire à l’océan qui gronde,

Et qui sert au soleil de vase baptismal,

Que l’homme rend le bien au monstre pour le mal.

Jersey, grève d’Azette, juillet 1855.

XXIII. Pasteurs et troupeaux

À Madame Louise C.

Le vallon où je vais tous les jours est charmant,

Serein, abandonné, seul sous le firmament,

Plein de ronces en fleurs; c’est un sourire triste.

Il vous fait oublier que quelque chose existe,

Et, sans le bruit des champs remplis de travailleurs,

On ne saurait plus là si quelqu’un vit ailleurs.

Là, l’ombre fait l’amour; l’idylle naturelle

Rit; le bouvreuil avec le verdier s’y querelle,

Et la fauvette y met de travers son bonnet;

C’est tantôt l’aubépine et tantôt le genêt;

De noirs granits bourrus, puis des mousses riantes;

Car Dieu fait un poëme avec des variantes;

Comme le vieil Homère, il rabâche parfois,

Mais c’est avec les fleurs, les monts, l’onde et les bois!

Une petite mare est là, ridant sa face,

Prenant des airs de flot pour la fourmi qui passe,

Ironie étalée au milieu du gazon,

Qu’ignore l’océan grondant à l’horizon.

J’y rencontre parfois sur la roche hideuse

Un doux être; quinze ans, yeux bleus, pieds nus, gardeuse

De chèvres, habitant, au fond d’un ravin noir,

Un vieux chaume croulant qui s’étoile le soir;

Ses sœurs sont au logis et filent leur quenouille;

Elle essuie aux roseaux ses pieds que l’étang mouille;

Chèvres, brebis, béliers, paissent; quand, sombre esprit,

J’apparais, le pauvre ange a peur, et me sourit;

Et moi, je la salue, elle étant l’innocence.

Ses agneaux, dans le pré plein de fleurs qui l’encense,

Bondissent, et chacun, au soleil s’empourprant,

Laisse aux buissons, à qui la bise le reprend,

Un peu de sa toison, comme un flocon d’écume.

Je passe; enfant, troupeau, s’effacent dans la brume;

Le crépuscule étend sur les longs sillons gris

Ses ailes de fantôme et de chauve-souris;

J’entends encore au loin dans la plaine ouvrière

Chanter derrière moi la douce chevrière,

Et, là-bas, devant moi, le vieux gardien pensif

De l’écume, du flot, de l’algue, du récif,

Et des vagues sans trêve et sans fin remuées,

Le pâtre promontoire au chapeau de nuées,

S’accoude et rêve au bruit de tous les infinis,

Et, dans l’ascension des nuages bénis,

Regarde se lever la lune triomphale,

Pendant que l’ombre tremble, et que l’âpre rafale

Disperse à tous les vents avec son souffle amer

La laine des moutons sinistres de la mer.

Jersey, Grouville, avril 1855.

XXIV .