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L’homme, tout en chantant, me dit: «Un malheureux.»

J’allai vers la masure au fond du ravin creux;

Un arbre, de sa branche où brillait une goutte,

Sembla se faire un doigt pour m’en montrer la route,

Et le vent m’en ouvrit la porte; et j’y trouvai

Un vieux, vêtu de bure, assis sur un pavé.

Ce vieillard, près d’un âtre où séchaient quelques toiles,

Dans ce bouge aux passants ouvert, comme aux étoiles,

Vivait, seul jour et nuit, sans clôture, sans chien,

Sans clef; la pauvreté garde ceux qui n’ont rien.

J’entrai; le vieux soupait d’un peu d’eau, d’une pomme;

Sans pain; et je me mis à plaindre ce pauvre homme.

– Comment pouvait-il vivre ainsi? Qu’il était dur

De n’avoir même pas un volet à son mur;

L’hiver doit être affreux dans ce lieu solitaire;

Et pas même un grabat! il couchait donc à terre?

Là! sur ce tas de paille, et dans ce coin étroit!

Vous devez être mal, vous devez avoir froid,

Bon père, et c’est un sort bien triste que le vôtre!

«- Fils», dit-il doucement, «allez en plaindre un autre.

«Je suis dans ces grands bois et sous le ciel vermeil,

«Et je n’ai pas de lit, fils, mais j’ai le sommeil.

«Quand l’aube luit pour moi, quand je regarde vivre

«Toute cette forêt dont la senteur m’enivre,

«Ces sources et ces fleurs, je n’ai pas de raison

«De me plaindre, je suis le fils de la maison.

«Je n’ai point fait de mal. Calme, avec l’indigence

«Et les haillons, je vis en bonne intelligence,

«Et je fais bon ménage avec Dieu mon voisin.

«Je le sens près de moi dans le nid, dans l’essaim,

«Dans les arbres profonds où parle une voix douce,

«Dans l’azur où la vie à chaque instant nous pousse,

«Et dans cette ombre vaste et sainte où je suis né.

«Je ne demande à Dieu rien de trop, car je n’ai

«Pas grande ambition, et, pourvu que j’atteigne

«Jusqu’à la branche où pend la mûre ou la châtaigne,

«Il est content de moi, je suis content de lui.

«Je suis heureux.»

*

J’étais jadis, comme aujourd’hui,

Le passant qui regarde en bas, l’homme des songes.

Mes enfants, à travers les brumes, les mensonges,

Les lueurs des tombeaux, les spectres des chevets,

Les apparences d’ombre et de clarté, je vais

Méditant, et toujours un instinct me ramène

À connaître le fond de la souffrance humaine.

L’abîme des douleurs m’attire. D’autres sont

Les sondeurs frémissants de l’océan profond;

Ils fouillent, vent des cieux, l’onde que tu balaies;

Ils plongent dans les mers; je plonge dans les plaies.

Leur gouffre est effrayant, mais pas plus que le mien.

Je descends plus bas qu’eux, ne leur enviant rien,

Sachant qu’à tout chercheur Dieu garde une largesse,

Content s’ils ont la perle et si j’ai la sagesse.

Or, il semble, à qui voit tout ce gouffre en rêvant,

Que les justes, parmi la nuée et le vent,

Sont un vol frissonnant d’aigles et de colombes.

*

J’ai souvent, à genoux que je suis sur les tombes,

La grande vision du sort; et par moment

Le destin m’apparaît, ainsi qu’un firmament

Où l’on verrait, au lieu des étoiles, des âmes.

Tout ce qu’on nomme angoisse, adversité, les flammes,

Les brasiers, les billots, bien souvent tout cela

Dans mon noir crépuscule, enfants, étincela.

J’ai vu, dans cette obscure et morne transparence,

Passer l’homme de Rome et l’homme de Florence,

Caton au manteau blanc, et Dante au fier sourcil,

L’un ayant le poignard au flanc, l’autre l’exil;

Caton était joyeux et Dante était tranquille.

J’ai vu Jeanne au poteau qu’on brûlait dans la ville,

Et j’ai dit: Jeanne d’Arc, ton noir bûcher fumant

À moins de flamboiement que de rayonnement.

J’ai vu Campanella songer dans la torture,

Et faire à sa pensée une âpre nourriture

Des chevalets, des crocs, des pinces, des réchauds,

Et de l’horreur qui flotte au plafond des cachots.

J’ai vu Thomas Morus, Lavoisier, Loiserolle,

Jane Grey, bouche ouverte ainsi qu’une corolle,

Toi, Charlotte Corday, vous, madame Roland,

Camille Desmoulins, saignant et contemplant,

Robespierre à l’œil froid, Danton aux cris superbes;

J’ai vu Jean qui parlait au désert, Malesherbes,