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Jetés dans la fournaise et devenant parfums,

Ceux-là jetés aux nuits et devenant aurores;

Les croyants, dévorés dans les cirques sonores,

Râlaient un chant, aux pieds des bêtes étouffés;

Les penseurs souriaient aux noirs autodafés,

Aux glaives, aux carcans, aux chemises de soufre;

Et je me suis alors écrié: Qui donc souffre?

Pour qui donc, si le sort, ô Dieu, n’est pas moqueur,

Toute cette pitié que tu m’as mise au cœur?

Qu’en dois-je faire? à qui faut-il que je la garde?

Où sont les malheureux? – et Dieu m’a dit: – Regarde.

*

Et j’ai vu des palais, des fêtes, des festins,

Des femmes qui mêlaient leurs blancheurs aux satins,

Des murs hautains ayant des jaspes pour écorces,

Des serpents d’or roulés dans des colonnes torses,

Avec de vastes dais pendant aux grands plafonds;

Et j’entendais chanter: – Jouissons! triomphons! -

Et les lyres, les luths, les clairons dont le cuivre

À l’air de se dissoudre en fanfare et de vivre,

Et l’orgue, devant qui l’ombre écoute et se tait,

Tout un orchestre énorme et monstrueux chantait;

Et ce triomphe était rempli d’hommes superbes

Qui riaient et portaient toute la terre en gerbes,

Et dont les fronts dorés, brillants, audacieux,

Fiers, semblaient s’achever en astres dans les cieux.

Et, pendant qu’autour d’eux des voix criaient: – Victoire

À jamais! à jamais force, puissance et gloire!

Et fête dans la ville! et joie à la maison! -

Je voyais, au-dessus du livide horizon,

Trembler le glaive immense et sombre de l’archange.

Ils s’épanouissaient dans une aurore étrange,

Ils vivaient dans l’orgueil comme dans leur cité,

Et semblaient ne sentir que leur félicité.

Et Dieu les a tous pris alors l’un après l’autre,

Le puissant, le repu, l’assouvi qui se vautre,

Le czar dans son Kremlin, l’iman au bord du Nil,

Comme on prend les petits d’un chien dans un chenil,

Et, comme il fait le jour sous les vagues marines,

M’ouvrant avec ses mains ces profondes poitrines,

Et, fouillant de son doigt de rayons pénétré

Leurs entrailles, leur foie et leurs reins, m’a montré

Des hydres qui rongeaient le dedans de ces âmes.

Et j’ai vu tressaillir ces hommes et ces femmes;

Leur visage riant comme un masque est tombé,

Et leur pensée, un monstre effroyable et courbé,

Une naine hagarde, inquiète, bourrue,

Assise sous leur crâne affreux, m’est apparue.

Alors, tremblant, sentant chanceler mes genoux,

Je leur ai demandé: «Mais qui donc êtes-vous?»

Et ces êtres n’ayant presque plus face d’homme

M’ont dit: «Nous sommes ceux qui font le mal; et, comme

«C’est nous qui le faisons, c’est nous qui le souffrons!»

*

Oh! le nuage vain des pleurs et des affronts

S’envole, et la douleur passe en criant: Espère!

Vous me l’avez fait voir et toucher, ô vous, Père,

Juge, vous le grand juste et vous le grand clément!

Le rire du succès et du triomphe ment;

Un invisible doigt caressant se promène

Sous chacun des chaînons de la misère humaine;

L’adversité soutient ceux qu’elle fait lutter;

L’indigence est un bien pour qui sait la goûter;

L’harmonie éternelle autour du pauvre vibre

Et le berce; l’esclave, étant une âme, est libre,

Et le mendiant dit: Je suis riche, ayant Dieu.

L’innocence aux tourments jette ce cri: C’est peu.

La difformité rit dans Ésope, et la fièvre

Dans Scarron; l’agonie ouvre aux hymnes sa lèvre;

Quand je dis: «La douleur est-elle un mal?» Zénon

Se dresse devant moi, paisible, et me dit: «Non.»

Oh! le martyre est joie et transport, le supplice

Est volupté, les feux du bûcher sont délice,

La souffrance est plaisir, la torture est bonheur;

Il n’est qu’un malheureux: c’est le méchant, Seigneur.

*

Aux premiers jours du monde, alors que la nuée,

Surprise, contemplait chaque chose créée,

Alors que sur le globe, où le mal avait crû,

Flottait une lueur de l’Eden disparu,

Quand tout encor semblait être rempli d’aurore,

Quand sur l’arbre du temps les ans venaient d’éclore,

Sur la terre, où la chair avec l’esprit se fond,