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Il se faisait le soir un silence profond,

Et le désert, les bois, l’onde aux vastes rivages,

Et les herbes des champs, et les bêtes sauvages,

Émus, et les rochers, ces ténébreux cachots,

Voyaient, d’un antre obscur couvert d’arbres si hauts

Que nos chênes auprès sembleraient des arbustes,

Sortir deux grands vieillards, nus, sinistres, augustes.

C’étaient Ève aux cheveux blanchis, et son mari,

Le pâle Adam, pensif, par le travail meurtri,

Ayant la vision de Dieu sous sa paupière.

Ils venaient tous les deux s’asseoir sur une pierre,

En présence des monts fauves et soucieux,

Et de l’éternité formidable des cieux.

Leur œil triste rendait la nature farouche;

Et là, sans qu’il sortît un souffle de leur bouche,

Les mains sur leurs genoux et se tournant le dos,

Accablés comme ceux qui portent des fardeaux,

Sans autre mouvement de vie extérieure

Que de baisser plus bas la tête d’heure en heure,

Dans une stupeur morne et fatale absorbés,

Froids, livides, hagards, ils regardaient, courbés

Sous l’être illimité sans figure et sans nombre,

L’un, décroître le jour, et l’autre, grandir l’ombre,

Et, tandis que montaient les constellations,

Et que la première onde aux premiers alcyons

Donnait sous l’infini le long baiser nocturne,

Et qu’ainsi que des fleurs tombant à flots d’une urne,

Les astres fourmillants emplissaient le ciel noir,

Ils songeaient, et, rêveurs, sans entendre, sans voir,

Sourds aux rumeurs des mers d’où l’ouragan s’élance,

Toute la nuit, dans l’ombre, ils pleuraient en silence;

Ils pleuraient tous les deux, aïeux du genre humain,

Le père sur Abel, la mère sur Caïn.

Marine-Terrace, septembre 1855.

LIVRE SIXIÈME. AU BORD DE L’INFINI

I. Le pont

J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîme

Qui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cime,

Était là, morne, immense; et rien n’y remuait.

Je me sentais perdu dans l’infini muet.

Au fond, à travers l’ombre, impénétrable voile,

On apercevait Dieu comme une sombre étoile.

Je m’écriai: – Mon âme, ô mon âme! il faudrait,

Pour traverser ce gouffre où nul bord n’apparaît,

Et pour qu’en cette nuit jusqu’à ton Dieu tu marches,

Bâtir un pont géant sur des millions d’arches.

Qui le pourra jamais? Personne! ô deuil! effroi!

Pleure! – Un fantôme blanc se dressa devant moi

Pendant que je jetais sur l’ombre un œil d’alarme,

Et ce fantôme avait la forme d’une larme;

C’était un front de vierge avec des mains d’enfant;

Il ressemblait au lys que la blancheur défend;

Ses mains en se joignant faisaient de la lumière.

Il me montra l’abîme où va toute poussière,

Si profond, que jamais un écho n’y répond;

Et me dit: – Si tu veux je bâtirai le pont.

Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière.

– Quel est ton nom? lui dis-je. Il me dit: – La prière.

Jersey, décembre 1852.

II. Ibo

Dites, pourquoi, dans l’insondable

Au mur d’airain,

Dans l’obscurité formidable

Du ciel serein,

Pourquoi, dans ce grand sanctuaire

Sourd et béni,

Pourquoi, sous l’immense suaire

De l’infini,

Enfouir vos lois éternelles

Et vos clartés?

Vous savez bien que j’ai des ailes,

Ô vérités!

Pourquoi vous cachez-vous dans l’ombre

Qui nous confond?

Pourquoi fuyez-vous l’homme sombre

Au vol profond?

Que le mal détruise ou bâtisse,

Rampe ou soit roi,

Tu sais bien que j’irai, Justice,

J’irai vers toi!

Beauté sainte, Idéal qui germes

Chez les souffrants,

Toi par qui les esprits sont fermes

Et les cœurs grands,

Vous le savez, vous que j’adore,

Amour, Raison,

Qui vous levez comme l’aurore