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L’homme est l’orgueil du cèdre emplissant le roseau.

Le meilleur n’est pas bon, vraiment, tant l’homme est frêle;

Et tant notre fumée à nos vertus se mêle!

Le bienfait par nos mains pompeusement jeté

S’évapore aussitôt dans notre vanité;

Même en le prodiguant aux pauvres d’un air tendre,

Nous avons tant d’orgueil que notre or devient cendre;

Le bien que nous faisons est spectre comme nous.

L’Incréé, seul vivant, seul terrible et seul doux,

Qui juge, aime, pardonne, engendre, construit, fonde,

Voit nos hauteurs avec une pitié profonde.

Ah! rapides passants! ne comptons pas sur nous,

Comptons sur lui. Pensons et vivons à genoux;

Tâchons d’être sagesse, humilité, lumière;

Ne faisons point un pas qui n’aille à la prière;

Car nos perfections rayonneront bien peu

Après la mort, devant l’étoile et le ciel bleu.

Dieu seul peut nous sauver. C’est un rêve de croire

Que nos lueurs d’en bas sont là-haut de la gloire;

Si lumineux qu’il ait paru dans notre horreur,

Si doux qu’il ait été pour nos cœurs pleins d’erreur,

Quoi qu’il ait fait, celui que sur la terre on nomme

Juste, excellent, pur, sage et grand, là-haut est l’homme,

C’est-à-dire la nuit en présence du jour;

Son amour semble haine auprès du grand amour;

Et toutes ses splendeurs, poussant des cris funèbres,

Disent en voyant Dieu: Nous sommes les ténèbres!

Dieu, c’est le seul azur dont le monde ait besoin.

L’abîme en en parlant prend l’atome à témoin.

Dieu seul est grand! c’est là le psaume du brin d’herbe;

Dieu seul est vrai! c’est là l’hymne du flot superbe;

Dieu seul est bon! c’est là le murmure des vents;

Ah! ne vous faites pas d’illusions, vivants!

Et d’où sortez-vous donc, pour croire que vous êtes

Meilleurs que Dieu, qui met les astres sur vos têtes,

Et qui vous éblouit, à l’heure du réveil,

De ce prodigieux sourire, le soleil!

Marine-Terrace, décembre 1854.

VI. Pleurs dans la nuit

I

Je suis l’être incliné qui jette ce qu’il pense;

Qui demande à la nuit le secret du silence;

Dont la brume emplit l’œil;

Dans une ombre sans fond mes paroles descendent,

Et les choses sur qui tombent mes strophes rendent

Le son creux du cercueil.

Mon esprit, qui du doute a senti la piqûre,

Habite, âpre songeur, la rêverie obscure

Aux flots plombés et bleus,

Lac hideux où l’horreur tord ses bras, pâle nymphe,

Et qui fait boire une eau morte comme la lymphe

Aux rochers scrofuleux.

Le Doute, fils bâtard de l’aïeule Sagesse,

Crie: – À quoi bon? – devant l’éternelle largesse,

Nous fait tout oublier,

S’offre à nous, morne abri, dans nos marches sans nombre,

Nous dit: – Es-tu las? Viens! – et l’homme dort à l’ombre

De ce mancenillier.

L’effet pleure et sans cesse interroge la cause.

La création semble attendre quelque chose.

L’homme à l’homme est obscur.

Où donc commence l’âme? où donc finit la vie?

Nous voudrions, c’est là notre incurable envie,

Voir par-dessus le mur.

Nous rampons, oiseaux pris sous le filet de l’être;

Libres et prisonniers, l’immuable pénètre

Toutes nos volontés;

Captifs sous le réseau des choses nécessaires,

Nous sentons se lier des fils à nos misères

Dans les immensités.

II

Nous sommes au cachot; la porte est inflexible;

Mais, dans une main sombre, inconnue, invisible,

Qui passe par moment,

À travers l’ombre, espoir des âmes sérieuses,

On entend le trousseau des clefs mystérieuses

Sonner confusément.

La vision de l’être emplit les yeux de l’homme.

Un mariage obscur sans cesse se consomme

De l’ombre avec le jour;

Ce monde, est-ce un éden tombé dans la géhenne?

Nous avons dans le cœur des ténèbres de haine

Et des clartés d’amour.

La création n’a qu’une prunelle trouble.

L’être éternellement montre sa face double,

Mal et bien, glace et feu;