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L’homme sent à la fois, âme pure et chair sombre,

La morsure du ver de terre au fond de l’ombre

Et le baiser de Dieu.

Mais à de certains jours, l’âme est comme une veuve.

Nous entendons gémir les vivants dans l’épreuve.

Nous doutons, nous tremblons,

Pendant que l’aube épand ses lumières sacrées

Et que mai sur nos seuils mêle les fleurs dorées

Avec les enfants blonds.

Qu’importe la lumière, et l’aurore, et les astres,

Fleurs des chapiteaux bleus, diamants des pilastres

Du profond firmament,

Et mai qui nous caresse, et l’enfant qui nous charme,

Si tout n’est qu’un soupir, si tout n’est qu’une larme,

Si tout n’est qu’un moment!

III

Le sort nous use au jour, triste meule qui tourne.

L’homme inquiet et vain croit marcher, il séjourne;

Il expire en créant.

Nous avons la seconde et nous rêvons l’année;

Et la dimension de notre destinée,

C’est poussière et néant.

L’abîme, où les soleils sont les égaux des mouches,

Nous tient; nous n’entendons que des sanglots farouches

Ou des rires moqueurs;

Vers la cible d’en haut qui dans l’azur s’élève,

Nous lançons nos projets, nos vœux, l’espoir, le rêve,

Ces flèches de nos cœurs.

Nous voulons durer, vivre, être éternels. Ô cendre!

Où donc est la fourmi qu’on appelle Alexandre?

Où donc le ver César?

En tombant sur nos fronts, la minute nous tue.

Nous passons, noir essaim, foule de deuil vêtue,

Comme le bruit d’un char.

Nous montons à l’assaut du temps comme une armée.

Sur nos groupes confus que voile la fumée

Des jours évanouis,

L’énorme éternité luit, splendide et stagnante;

Le cadran, bouclier de l’heure rayonnante,

Nous terrasse éblouis!

IV

À l’instant où l’on dit: Vivons! tout se déchire.

Les pleurs subitement descendent sur le rire.

Tête nue! à genoux!

Tes fils sont morts, mon père est mort, leur mère est morte.

Ô deuil! qui passe là? C’est un cercueil qu’on porte.

À qui le portez-vous?

Ils le portent à l’ombre, au silence, à la terre;

Ils le portent au calme obscur, à l’aube austère,

À la brume sans bords,

Au mystère qui tord ses anneaux sous des voiles,

Au serpent inconnu qui lèche les étoiles

Et qui baise les morts!

V

Ils le portent aux vers, au néant, à Peut-Être!

Car la plupart d’entre eux n’ont point vu le jour naître;

Sceptiques et bornés,

La négation morne et la matière hostile,

Flambeaux d’aveuglement, troublent l’âme inutile

De ces infortunés.

Pour eux le ciel ment, l’homme est un songe et croit vivre;

Ils ont beau feuilleter page à page le livre,

Ils ne comprennent pas;

Ils vivent en hochant la tête, et, dans le vide.

L’écheveau ténébreux que le doute dévide

Se mêle sous leurs pas.

Pour eux l’âme naufrage avec le corps qui sombre.

Leur rêve a les yeux creux et regarde de l’ombre;

Rien est le mot du sort;

Et chacun d’eux, riant de la voûte étoilée,

Porte en son cœur, au lieu de l’espérance ailée,

Une tête de mort.

Sourds à l’hymne des bois, au sombre cri de l’orgue,

Chacun d’eux est un champ plein de cendre, une morgue

Où pendent des lambeaux,

Un cimetière où l’œil des frémissants poëtes

Voit planer l’ironie et toutes ses chouettes,

L’ombre et tous ses corbeaux.

Quand l’astre et le roseau leur disent: Il faut croire;

Ils disent au jonc vert, à l’astre en sa nuit noire:

Vous êtes insensés!

Quand l’arbre leur murmure à l’oreille: Il existe;

Ces fous répondent: Non! et, si le chêne insiste,

Ils lui disent: Assez!

Quelle nuit! le semeur nié par la semence!

L’univers n’est pour eux qu’une vaste démence,

Sans but et sans milieu;

Leur âme, en agitant l’immensité profonde,

N’y sent même pas l’être, et dans le grelot monde