N’entend pas sonner Dieu!
Le corbillard franchit le seuil du cimetière.
Le gai matin, qui rit à la nature entière,
Resplendit sur ce deuil;
Tout être a son mystère où l’on sent l’âme éclore,
Et l’offre à l’infini; l’astre apporte l’aurore,
Et l’homme le cercueil.
Le dedans de la fosse apparaît, triste crèche.
Des pierres par endroits percent la terre fraîche;
Et l’on entend le glas;
Elles semblent s’ouvrir ainsi que des paupières,
Et le papillon blanc dit: «Qu’ont donc fait ces pierres?»
Et la fleur dit: «Hélas!»
Est-ce que par hasard ces pierres sont punies,
Dieu vivant, pour subir de telles agonies?
Ah! ce que nous souffrons
N’est rien. – Plus bas que l’arbre en proie aux froides bises,
Sous cette forme horrible, est-ce que les Cambyses,
Est-ce que les Nérons,
Après avoir tenu les peuples dans leur serre,
Et crucifié l’homme au noir gibet misère,
Mis le monde en lambeaux,
Souillé l’âme, et changé, sous le vent des désastres,
L’univers en charnier, et fait monter aux astres
La vapeur des tombeaux,
Après avoir passé joyeux dans la victoire,
Dans l’orgueil, et partout imprimé sur l’histoire
Leurs ongles furieux,
Et, monstres qu’entrevoit l’homme en ses léthargies,
Après avoir sur terre été les effigies
Du mal mystérieux,
Après avoir peuplé les prisons élargies,
Et versé tant de meurtre aux vastes mers rougies,
Tant de morts, glaive au flanc,
Tant d’ombre, et de carnage, et d’horreurs inconnues,
Que le soleil, le soir, hésitait dans les nues
Devant ce bain sanglant!
Après avoir mordu le troupeau que Dieu mène,
Et tourné tour à tour de la torture humaine
L’atroce cabestan,
Et régné sous la pourpre et sous le laticlave,
Et plié six mille ans Adam, le vieil esclave,
Sous le vieux roi Satan,
Est-ce que le chasseur Nemrod, Sforce le pâtre,
Est-ce que Messaline, est-ce que Cléopâtre,
Caligula, Macrin,
Et les Achabs, par qui renaissaient les Sodomes,
Et Phalaris, qui fit du hurlement des hommes
La clameur de l’airain,
Est-ce que Charles Neuf, Constantin, Louis Onze,
Vitellius, la fange, et Busiris, le bronze,
Les Cyrus dévorants,
Les Égystes montrés du doigt par les Électres,
Seraient dans cette nuit, d’hommes devenus spectres,
Et pierres de tyrans?
Est-ce que ces cailloux, tout pénétrés de crimes,
Dans l’horreur étouffés, scellés dans les abîmes,
Enviant l’ossement,
Sans air, sans mouvement, sans jour, sans yeux, sans bouche,
Entre l’herbe sinistre et le cercueil farouche,
Vivraient affreusement?
Est-ce que ce seraient des âmes condamnées,
Des maudits qui, pendant des millions d’années,
Seuls avec le remords,
Au lieu de voir, des yeux de l’astre solitaire,
Sortir les rayons d’or, verraient les vers de terre
Sortir des yeux des morts?
Homme et roche, exister, noir dans l’ombre vivante!
Songer, pétrifié dans sa propre épouvante!
Rêver l’éternité!
Dévorer ses fureurs, confusément rugies!
Être pris, ouragan de crimes et d’orgies,
Dans l’immobilité!
Punition! problème obscur! questions sombres!
Quoi! ce caillou dirait: – J’ai mis Thèbe en décombres!
J’ai vu Suse à genoux!
J’étais Bélus à Tyr! j’étais Sylla dans Rome! -
Noire captivité des vieux démons de l’homme!
Ô pierres, qu’êtes-vous?
Qu’a fait ce bloc, béant dans la fosse insalubre?
Glacé du froid profond de la terre lugubre,
Informe et châtié,
Aveugle, même aux feux que la nuit réverbère,
Il pense et se souvient… – Quoi! ce n’est que Tibère!
Seigneur, ayez pitié!
Ce dur silex noyé dans la terre, âpre, fruste,
Couvert d’ombre, pendant que le ciel s’ouvre au juste
Qui s’y réfugia,
Jaloux du chien qui jappe et de l’âne qui passe,