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Dieu seul remontera toutes ces urnes pleines

De l’éternelle nuit.

X

Et la terre, agitant la ronce à sa surface,

Dit: – L’homme est mort; c’est bien; que veut-on que j’en fasse?

Pourquoi me le rend-on? -

Terre! fais-en des fleurs! des lys que l’aube arrose!

De cette bouche aux dents béantes, fais la rose

Entr’ouvrant son bouton!

Fais ruisseler ce sang dans tes sources d’eaux vives,

Et fais-le boire aux bœufs mugissants, tes convives;

Prends ces chairs en haillons;

Fais de ces seins bleuis sortir des violettes,

Et couvre de ces yeux que t’offrent les squelettes

L’aile des papillons.

Fais avec tous ces morts une joyeuse vie.

Fais-en le fier torrent qui gronde et qui dévie.

La mousse aux frais tapis!

Fais-en des rocs, des joncs, des fruits, des vignes mûres,

Des brises, des parfums, des bois pleins de murmures,

Des sillons pleins d’épis!

Fais-en des buissons verts, fais-en de grandes herbes!

Et qu’en ton sein profond d’où se lèvent les gerbes,

À travers leur sommeil,

Les effroyables morts sans souffle et sans paroles

Se sentent frissonner dans toutes ces corolles

Qui tremblent au soleil!

XI

La terre, sur la bière où le mort pâle écoute,

Tombe, et le nid gazouille, et, là-bas, sur la route

Siffle le paysan;

Et ces fils, ces amis que le regret amène,

N’attendent même pas que la fosse soit pleine

Pour dire: Allons-nous-en!

Le fossoyeur, payé par ces douleurs hâtées,

Jette sur le cercueil la terre à pelletées.

Toi qui, dans ton linceul,

Rêvais le deuil sans fin, cette blanche colombe,

Avec cet homme allant et venant sur ta tombe,

Ô mort, te voilà seul!

Commencement de l’âpre et morne solitude!

Tu ne changeras plus de lit ni d’attitude;

L’heure aux pas solennels

Ne sonne plus pour toi; l’ombre te fait terrible;

L’immobile suaire a sur ta forme horrible

Mis ses plis éternels.

Et puis le fossoyeur s’en va boire la fosse.

Il vient de voir des dents que la terre déchausse,

Il rit, il mange, il mord;

Et prend, en murmurant des chansons hébétées,

Un verre dans ses mains à chaque instant heurtées

Aux choses de la mort.

Le soir vient; l’horizon s’emplit d’inquiétude;

L’herbe tremble et bruit comme une multitude;

Le fleuve blanc reluit;

Le paysage obscur prend les veines des marbres;

Ces hydres que, le jour, on appelle des arbres,

Se tordent dans la nuit.

Le mort est seul. Il sent la nuit qui le dévore.

Quand naît le doux matin, tout l’azur de l’aurore,

Tous ses rayons si beaux,

Tout l’amour des oiseaux et leurs chansons sans nombre,

Vont aux berceaux dorés; et, la nuit, toute l’ombre

Aboutit aux tombeaux.

Il entend des soupirs dans les fosses voisines;

Il sent la chevelure affreuse des racines

Entrer dans son cercueil;

Il est l’être vaincu dont s’empare la chose;

Il sent un doigt obscur, sous sa paupière close,

Lui retirer son œil.

Il a froid; car le soir, qui mêle à son haleine

Les ténèbres, l’horreur, le spectre et le phalène,

Glace ces durs grabats;

Le cadavre, lié de bandelettes blanches,

Grelotte, et dans sa bière entend les quatre planches

Qui lui parlent tout bas.

L’une dit: – Je fermais ton coffre-fort. – Et l’autre

Dit: – J’ai servi de porte au toit qui fut le nôtre. -

L’autre dit: – Aux beaux jours,

La table où rit l’ivresse et que le vin encombre,

C’était moi. – L’autre dit: – J’étais le chevet sombre

Du lit de tes amours.

Allez, vivants! riez, chantez; le jour flamboie.

Laissez derrière vous, derrière votre joie

Sans nuage et sans pli,

Derrière la fanfare et le bal qui s’élance,

Tous ces morts qu’enfouit dans la fosse silence

Le fossoyeur oubli!

XII

Tous y viendront.