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Delphine et Marinette furent sévèrement punies, elles comprirent que le mensonge et la désobéissance sont d’affreux péchés. Quant aux volailles, leur châtiment avait été assez cruel. Devenues raisonnables pour longtemps, elles se persuadèrent qu’il n’y a pas de bonheur plus sûr que celui d’être mangé par ses maîtres.

Le petit coq noir, lui, ne devait jamais revoir son poulailler, car le renard l’avait saigné d’un coup de dent pour le punir de son indiscrétion. Il était encore tout chaud quand on le ramassa. Il fut mangé à la sauce au vin, relevée du laurier qui avait orné son triomphe.

La buse et le cochon

D’une longue planche posée sur le tronc d’un chêne, Delphine et Marinette avaient fait une balançoire.

Quand l’une touchait terre, l’autre se trouvait si haut perchée que le monde lui paraissait bien plus grand.

Marinette ne pouvait pas s’empêcher d’avoir peur un peu. Elle riait quand même, et avec la main, elle faisait des signes à une petite poule blanche qui la regardait depuis le seuil du poulailler. La petite poule blanche était une très bonne poule qui aimait beaucoup les deux petites. C’était par amitié et pour le plaisir de les voir jouer qu’elle restait sur le seuil du poulailler.

Toutes les autres poules étaient rentrées, à cause d’une grande buse qui survolait la cour de la ferme, très haut dans le ciel, prête à fondre sur une volaille imprudente pour l’emporter entre ses serres et aller la manger dans la forêt voisine. A chaque instant la poule blanche levait la tête d’un air inquiet. La buse, ses grandes ailes déployées et immobiles, décrivait des cercles au-dessus de la cour et se rapprochait constamment. Elle avait remarqué la petite poule blanche et la trouvait appétissante.

Qui regardaient aussi se balancer les deux petites, il y avait un âne, un chat et un gros cochon de cent cinquante livres.

L’âne se dandinait, sans y penser, et faisait aller sa tête de côté et d’autre, comme pour suivre le mouvement de la balançoire. Il riait en montrant toutes ses dents, parce qu’il était content de voir s’amuser ses amies Delphine et Marinette.

Le chat dormait sur la margelle du puits. Parfois, il ouvrait un œil, regardait les petites, et se rendormait en faisant : « Ronron, ronron. »

Le cochon, lui, se tenait dans un coin de la cour, contre la haie du jardin, et il jetait sur la balançoire des regards irrités, en secouant ses grandes oreilles pendantes. Ce cochon-là avait toujours eu des manières un peu rudes, mais c’était, au fond, une excellente nature.

On ne pouvait lui reprocher que sa mauvaise humeur, car il trouvait à redire à tout ce qu’il voyait et entendait. Son meilleur plaisir était de ronchonner du matin au soir, et il n’y avait personne à la ferme qui n’eût à en souffrir. Peut-être aussi soupçonnait-il combien il est dangereux pour ses pareils d’être gras et frais, mais c’est peu probable et tout porte à croire qu’il se laissait simplement aller à son caractère de cochon.

La balançoire le contrariait, il n’en finissait pas de grommeler dans la haie : « Ma parole, elles ne savent plus qu’inventer… et puis, qu’est-ce que c’est que ces façons de rire et de crier, à quoi cela ressemble-t-il ? D’abord, cette planche m’appartient aussi bien qu’à elles, et si quelqu’un doit se balancer, il me semble que c’est bien moi… »

— Dites donc ! cria-t-il, est-ce que vous en avez encore pour longtemps ? Je voudrais pourtant bien me balancer aussi !

Delphine vit bien que le cochon leur adressait la parole, mais Marinette riait si fort qu’elle ne put entendre ce qu’il disait.

Il faisait un joli soleil de midi. L’âne en avait chaud dans son poil et il se mit à l’ombre contre le mur de la maison. A cause de ses longues oreilles, il entendit très bien la conversation des parents qui se tenaient dans la cuisine. Voilà ce qu’ils disaient :

— Je crois qu’il est bon à tuer. Il fait déjà cent cinquante livres et je ne vois pas pourquoi on le garderait plus longtemps.

— On pourrait attendre encore un peu… D’un autre côté, je sais bien qu’il ne reste plus beaucoup de lard au saloir…

— Il en reste pour une semaine tout au plus. Moi, je serais d’avis qu’on le saigne demain matin, sans attendre davantage.

L’âne hésitait à comprendre, mais les parents parlèrent encore de boudins et d’andouilles, avec des clappements de gourmandise, et l’on ne pouvait plus douter qu’il s’agit du cochon. L’âne se mit à pleurer et à renifler si fort qu’on l’entendit dans toute la cour. En voyant ses larmes, les petites arrêtèrent la balançoire pour lui demander ce qui le chagrinait.

— Rien, répondit l’âne. J’aurai attrapé le rhume des foins, et les yeux me piquent un peu, voilà tout.

Dans son coin, le cochon hochait la tête et disait entre ses dents : « Voilà bien du bruit pour une bourrique enrhumée ! C’est comme ces deux gamines, elles n’en finissent pas de se balancer. »

Cependant, la buse volait de plus en plus bas, et plusieurs fois son ombre passa entre la balançoire et la petite poule blanche.

L’âne alla réveiller le chat qui continuait à dormir sur la margelle du puits. Il lui dit à l’oreille :

— Tu ne sais pas ce que je viens d’apprendre ? On va tuer le cochon demain matin pour en faire du lard et du boudin.

Mais le chat ne parut ni surpris, ni ému par la nouvelle. C’était à croire qu’il n’avait pas entendu.

— Voyons, réveille-toi, dit l’âne. Je viens d’apprendre…

— Eh bien ! oui. Tu viens d’apprendre qu’on tue le cochon demain matin. J’en suis fâché pour lui, mais que veux-tu que j’y fasse ? C’est le sort de tous les cochons. Il n’y a rien à faire.

— Sait-on jamais ? dit l’âne. J’ai envie de prévenir les deux petites.

— Si quelqu’un doit être averti, fit observer le chat, il me semble que c’est le cochon. Va donc lui porter la nouvelle. Pendant ce temps-là, je préviendrai Delphine et Marinette. J’ai même envie d’en parler à la petite poule blanche. Elle aura peut-être une idée.

Tandis que le chat quittait la margelle et se dirigeait vers la balançoire, l’âne s’en alla auprès du cochon. Il ne savait comment s’y prendre pour lui annoncer la nouvelle et dit avec un sourire gêné :

— Je crois qu’on tient le beau temps.

Au lieu de répondre, le cochon ne fit que tourner le dos. L’âne en fut décontenancé et resta un moment silencieux.

— Écoute, reprit-il, je voudrais te dire quelque chose, mais c’est si difficile…

— Alors, laisse-moi tranquille et tais-toi. Je me passerai bien de tes bavardages !

— Mon pauvre cochon, soupira l’âne, si tu pouvais savoir… Allons, il faut pourtant que je me décide à t’avertir…

Comme il disait ces mots, les parents se mirent à la fenêtre et appelèrent à déjeuner les deux petites qui étaient en conversation avec le chat et la poule blanche. Voyant qu’elles tardaient à venir, ils crièrent :

— Allons ! vite ! le lard va être froid !

L’âne baissa la tête, honteux pour les petites du repas qui les attendait, et murmura à l’oreille du cochon :

— Il faut leur pardonner. Elles sont bien obligées de manger ce que les parents leur donnent, n’est-ce pas ? Et puis, elles n’y font pas attention…

— Mais qu’est-ce que tu racontes entre tes dents ? A la fin, tu m’ennuies avec tes histoires.

— C’est pour le lard !

— Le lard ? mais quel lard ? Ma parole, il a perdu la tête ! Mais ma balançoire est enfin ! libre, je vais pouvoir m’amuser à mon tour…