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— C’est vrai, convint Marinette. Je n’y ai pas pensé.

Jusqu’à la fin de la matinée, les petites voulurent espérer qu’après une nuit passée à la belle étoile, et sa rancune apaisée, la Cornette leur reviendrait. Mais le temps passait sans qu’on vît rien venir. Les vaches prenaient part à l’anxiété des deux bergères et, très peinées, ne pensaient plus guère à brouter. A midi, tout espoir de retour était perdu. Ayant déjeuné rapidement, les petites décidaient d’aller explorer la forêt voisine. Elles voulaient croire que la Cornette n’avait pas été volée, mais qu’ayant cherché une cachette dans les bois, elle s’y était égarée.

— Vous allez rester seules sur les prés, dit Delphine aux vaches. On aurait pu vous laisser le chien, mais il rendra plus de services en nous accompagnant dans les bois. Promettez-nous d’être raisonnables. N’allez pas dans les trèfles et attendez notre retour pour aller boire à la rivière.

— Soyez tranquilles, promirent les vaches. Vous pouvez compter sur nous. On ne nous verra ni dans les trèfles, ni à la rivière. Vous avez bien assez de soucis comme ça sans qu’on aille vous en causer d’autres.

Ayant passé la rivière, les petites s’engagèrent dans la forêt où elles firent un long chemin. Le chien courait par les sentiers en tous sens, battant les buissons et les taillis. Mais on eut beau chercher et appeler la Cornette à tous les échos, ce fut peine perdue. On interrogea les habitants de la forêt, lapins, écureuils, chevreuils, geais, corbeaux, pies, et nul d’entre eux n’avait connaissance qu’une vache se fût égarée dans les bois. Un corbeau eut même l’obligeance d’aller prendre des renseignements jusqu’à l’autre bout de la forêt et là non plus, personne n’avait entendu parler d’une vache égarée. On ne pouvait que perdre son temps à poursuivre les recherches. La Cornette était ailleurs.

Un peu découragées, Delphine et Marinette revinrent sur leurs pas. Il n’était pas loin de quatre heures après-midi et il y avait bien peu de chances que la Cornette se retrouvât avant la fin de la journée.

— Il va falloir recommencer ce soir, soupirait le chien. C’est bien rare si je m’en tire sans recevoir encore deux ou trois coups de sabot.

Aux grands prés, une mauvaise surprise attendait les voyageurs. Les vaches n’étaient plus là. Le troupeau tout entier avait disparu et rien n’indiquait ou ne laissait soupçonner la direction qu’il avait prise. A ce nouveau coup, les petites se mirent à pleurer, et le chien, à qui l’avenir apparaissait sous la forme d’une interminable file de paires de sabots, ne put retenir ses larmes. Comme il n’y avait rien d’utile à faire sur le pré, on décida de regagner la maison.

Les bohémiens n’étaient plus auprès de la roulotte et la chose parut un peu suspecte. Interrogée, la fermière ne put fournir aucun renseignement sur la direction qu’avaient prise les vaches, mais elle laissa entendre que les bohémiens ne l’ignoraient pas. Elle se plaignit d’avoir perdu un poulet qui n’était pas rentré la veille et ajouta qu’il n’était peut-être pas bien loin, à moins qu’il ne fût mangé.

Les parents n’étaient pas encore rentrés à la maison.

A l’entrée de la cour, le canard, le chat, le coq, les poules, les oies et le cochon guettaient l’arrivée des petites pour avoir des nouvelles de la Cornette et furent bien étonnés de les voir apparaître seules avec le chien. La nouvelle de la disparition des vaches les mit en effervescence. Les oies se lamentaient, les poules couraient en tous sens, le cochon criait comme si on l’eût écorché et, par sympathie pour le chien dont le découragement faisait pitié, le coq s’était mis à aboyer.

Le chat, qui se mordait les lèvres pour dissimuler son émotion, avala sa moustache et manqua s’étrangler.

Les petites, au milieu de cette compassion bruyante, s’étaient remises à pleurer et leurs sanglots ajoutaient au tumulte. Le canard, seul, était resté calme. Il en avait vu bien d’autres.

— Rien ne sert de gémir, dit-il après avoir réclamé le silence. Si, comme hier soir, il fait nuit quand les parents rentreront, tout peut encore s’arranger, mais il nous faut, sans perdre de temps, nous préparer à les accueillir.

Il donna à chacun des instructions précises et s’assura ensuite qu’il avait été compris. Le cochon l’écoutait avec impatience et à chaque instant essayait de l’interrompre.

Tout ça est très joli, dit-il enfin, mais il y a autre chose de plus important.

— Et quoi donc, s’il te plaît ?

— C’est de retrouver les vaches.

— Bien sûr, soupirèrent Delphine et Marinette, mais comment faire ?

— Je m’en charge, déclara le cochon. Vous pouvez avoir confiance en moi. Demain avant midi, j’aurai retrouvé les vaches.

Quelques semaines auparavant, le cochon avait fréquenté un chien policier dont les maîtres étaient en vacances dans le village. Depuis qu’il avait entendu le récit des aventures du policier, il ne rêvait plus qu’à réaliser de semblables exploits.

— Demain, à l’aube, je me mets en campagne. Je crois que je tiens une bonne piste. Tout ce que je vous demanderai, vous, les petites, c’est de me procurer une fausse barbe.

— Une fausse barbe ?

— Pour ne pas qu’on me reconnaisse. Avec une fausse barbe, je passe inaperçu n’importe où.

Les espoirs du canard ne furent pas déçus. En effet, il faisait nuit lorsque les parents arrivèrent. Après quelques minutes de conversation avec les petites, ils passèrent dans l’étable où l’obscurité était complète.

— Bonsoir, les vaches. La journée s’est bien passée ?

Et le coq, les oies, le chat et le cochon, qui occupaient chacun la place d’une vache, répondirent en enflant la voix :

— On ne peut mieux, parents. Un temps clair, une herbe tendre, une compagnie agréable, que peut-on demander de mieux ?

— En effet. Voilà une belle journée.

Les parents s’adressèrent ensuite à une vache dont la place était tenue par le chat.

— Et toi, la Rouge ? Ce matin, tu avais moins belle mine que d’habitude. As-tu bien mangé aujourd’hui ?

— Miaou, répondit le chat qui était sans doute un peu distrait ou ému.

Delphine et Marinette, qui se tenaient sur le seuil de la porte, se mirent à trembler, mais le chat reprit aussitôt :

— Encore cet imbécile de chat qui vient rôder sous mes pieds, mais si je lui ai marché sur la queue, c’est bien fait pour lui. Vous me demandez si j’ai bien mangé ? Ah ! parents ! J’ai mangé comme jamais de ma vie, si bien que ce soir mon ventre traîne presque par terre.

Les parents étaient tout réjouis de cette réponse et ils eurent envie de palper une panse aussi bien nourrie.

Un peu plus, tout était perdu. Heureusement, le chien les appela du fond de l’étable et ils se dirigèrent aussitôt de son côté.

— Brave petite Cornette. Mais comment va ton mal de tête de ce matin ?

— Je vous remercie, parents, je me sens vraiment mieux. Mais vous pouvez croire que, ce matin, j’ai été bien peinée de partir sans vous avoir dit au revoir. J’en suis restée triste toute la journée.

— Ah ! la bonne petite bête que nous avons là, dirent les parents. Ça vous réchauffe le cœur.

Et en effet, leur cœur était si débordant de tendresse qu’ils voulurent embrasser la Cornette ou au moins lui appliquer sur les flancs quelques claques d’amitié.

Mais avant qu’ils eussent seulement posé le pied sur la litière de paille, le bruit d’une querelle les attira à l’autre bout de l’étable.

— Je lui casserai les reins, criait le chat avec sa voix de vache. Je lui arracherai poils et moustache, à ce gringalet.

— Prends garde, poursuivait-il avec sa voix de chat. Tout gringalet que je suis, je me charge de l’apprendre les belles manières.