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J’ajoute :

— Je ne me le serais pas permis, ma mission consistant uniquement à m’en emparer.

— Elle ne serait pas piégée ? hasarde le commandant Martel.

Qu’aussitôt sa réflexion militaire provoque une reculade du groupe, au point que le grand de la D.S.T. me marche sur le pied, ce foutu con.

— Elle a été passée aux rayons « X », en laboratoire, mon commandant ; on n’a rien détecté de suspect.

— Eh bien, ma foi, en ce cas, ouvrez-la donc, commissaire, me prie le dirluche. Cela vous revient de droit puisque c’est vous qui l’avez conquise.

Conquise ! Je te jure, y en a qui chient pas la honte !

Je m’approche de la valise aux fermoirs énergiques et fais jouer ceux-ci d’un double et simultané mouvement des pouces. Les assistants ont encore reculé. Comme je ne me transforme pas en confetti, ils rabattent. Ainsi des poissons qui se tirent quand un corps solide tombe dans l’eau, puis qui, vite, reviennent voir ce dont il s’agit.

La valise est garnie de polyester teint en rouge dans lequel on a ménagé quatre alvéoles pour y loger quatre bocaux (de chacun un bocal). A l’intérieur de ceux-ci on ne voit rien qu’une sorte de matière un peu laiteuse dans le fond. Sur les couvercles vissés, des étiquettes comportent des indications en anglais mêlé de latin et puis des têtes de mort stylisées.

Ces messieurs regardent d’un air circonspect les quatre récipients. On pourrait croire qu’il s’agit de bocaux de confiture vides, ou bien d’étuis à objectifs.

— Ma foi, je pense que nos collègues américains seront satisfaits, gazouille mon taulier.

Il est presque violet d’avoir dit ça. Ce mec, à sa place, je ferais surveiller ma tension artérielle. J’évoque le cher Achille des temps enfuis. Il avait l’air d’un lord anglais mâtiné comte ou duc de France, le Tondu. Le « nouveau », lui, évoque un patron de bistrot qui se serait hissé jusqu’à la grande brasserie. Il a l’air content de lui et prêt à payer sa tournée.

— On les a prévenus du succès de l’entreprise ? demande le sous-truc-du-machin.

— Pas encore, je vous laisse ce plaisir, le pourlèche mon directeur de bistrot, bien le long de sa grosse veine bleue.

— En ce cas, je me mets immédiatement en rapport avec l’ambassade U.S.

Le commandant Flanel murmure :

— Et en attendant que nous leur restituions ces saloperies, où allons-nous les entreposer ?

Un silence lui répond. Eloquent. Chacun défrime les quatre récipients à haute teneur de mort violente. Personne n’est très joyce pour les héberger. On ne sait jamais…

Mon taulier soupire :

— Ici, je ne suis pas outillé pour, le coffre dont je dispose n’a pas la profondeur voulue, je peux vous le montrer. D’ailleurs il est archicomble de documents qu’il me serait impossible de transférer ailleurs.

Le gugus de la D.S.T. assure que, lui non plus, il ne saurait se charger du colis. Le commandant hausse les épaules. Vous le voyez-t-il emporter cela à l’Elysée, voyons, messieurs ? Non, on ne le voit pas. Bon, donc ça va être la fête au vice-sous-secrétaire d’Etat, mais il égosille que son burlingue est tout petit. Son poste a été créé en surplus et il loge dans une ancienne salle de bains, du ministère des Affaires en cours, alors vous jugez ?

J’écoute ces quatre glandus jouer mentalement au rugby avec la damnée valise. Ils se font des passes, mais sans essayer de monter à l’essai. Les suggestions qu’ils échangent feraient pleurer un oignon.

A la fin, c’est le commandant qui trouve l’idée du siècle : ils vont aller déposer la valise dans un coffre de la banque G.D.B. à côté. Ils le loueront à leurs quatre noms, conjointement. Le moment venu, lorsque les Ricains viendront chercher leur camelote, ils iront la retirer avec eux et procéderont à la passation des bocaux. Cette proposition est acceptée à l’unanimité. Chacun trouve que, pour un commandant, c’est même pas mal concocté.

Les quatre se lèvent et vont décrocher leurs impers car il lancequine comme Walkyrie sur Paname. Ces messieurs se taillent sans même me dire au revoir, après avoir mandaté le brigadier Poilala pour coltiner la valise.

Car je te le répète : on ne sait jamais !…

CHAPITRE III

ON NE PREND RIEN QUAND ON NE PREND PAS TOUT

Dans sa chambre qu’il partage avec quatre ou cinq pèlerins plus ou moins endommagés, Kalel s’efforce de respirer normalement, mais une gêne se fait sentir dans ses soufflets.

A onze plombes, le médecin-chef passe et vient à son lit. C’est un vieux branleur, tout chenu dans sa blouse blanche. La poche droite est trouée par le mégot mal éteint qu’il y a glissé. Il porte un stéthoscope autour du cou, comme la chaîne de quelque ordre vinasseux.

Il s’approche de Kalel, fourre les deux embouts de caoutchouc dans ses étagères à crayon et l’ausculte avec application.

Puis il hoche la tête et va mater son tableau de température.

— Vous pourrez partir demain, annonce-t-il, pour peu que vous me promettiez d’aller à la montagne passer quinze jours de convalescence. Je vous prescrirai certains remèdes qu’il faudra prendre scrupuleusement.

Kalel répond que « merci bien docteur comptez sur moi ». Le vieux toubib (qui se nomme César Pinaud) se retire après avoir survolé les autres lits.

Kalel fait un signe à l’infirmière qui escorte le « patron ». Ne pourrait-il avoir un journal ?

La ravissante dame, une piquante brunette aux loloches parées pour affronter le grand large, acquiesce.

De fait, cinq minutes plus tard, elle apporte un France-Soir tout frais, qu’il vaut mieux ne pas frotter à une robe de mariée. Kalel le parcourt hâtivement. L’incendie de l’Hôtel des Voyageurs est relaté en page trois. Vingt lignes. Le feu a pris dans la buanderie à la suite d’une négligence de la lingère qui serait allée boire un café en laissant son fer branché. L’hôtel a complètement brûlé. On déplore une demi-douzaine de blessés légers dont un seul a dû être hospitalisé. Point c’est tout, à la ligne.

Kalel dédaigne la déclaration du Premier Sinistre à l’Assemblée, de même que le succès de Bordeaux contre le Paris-Saint-Germain. Il replie le journal et le dépose sur sa table de chevet métallique. L’hôtel a complètement brûlé. Adieu la valise !

Maintenant, il va falloir s’expliquer avec les autres. Salope de lingère à tête de linotte ! Laisser un fer branché ! Café son cul, oui ! Elle devait s’offrir une partie de jambons avec son taulier pour tellement s’éterniser. Kalel est tenté d’alerter les autres, mais il a reçu des instructions d’extrême prudence et décide d’attendre sa sortie pour le faire.

Dans sa chambrée, un vieux kroum azimuté chante une scie d’avant-guerre racontant l’affaire d’un musicien qui jouait dans une boîte de nuit, et les plus jolies femmes venaient s’asseoir autour de lui, et voilà qu’un beau jour, ce fut lui qui fut aimé d’amour, ta-tsoin !

Son plus proche voisin lui demande s’il pourrait pas fermer sa putain de grande gueule de merde, nom de Dieu de bordel à cul ! Ça le gêne pour prier.

Le vioque maugrée, puis la ferme, mais cinq minutes plus tard, il entonne Laissez-moi vous aimer, ne serait-ce qu’un soir

Kalel songe que, bon, merci bien, il est temps de faire son paquetage et d’aller soigner ses poumons meurtris en des lieux plus cléments.

Il attend le début de l’après-midi, heure des visites, pour se lever et aller ramasser ses fringues dans le placard qui lui est dévolu. Il les roule en boule puis, profitant de l’indifférence générale, se saboule en loucedé dans son plumard. Quand les visiteurs se font la paire, après avoir déposé une boutanche de quelque chose bon marché sur la table du visité, et un bisou encore meilleur marché sur son front, il se coule parmi eux jusqu’à la sortie.