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Il faut agir. S’il canarde, ils répondront et ça doit composter juste, ces G’men ; des pros ! Tiens, leur formation, en triangle. Tu croyais qu’ils étaient restés groupés, toi ? Fume ! Instinctivement, ils se sont déployés. Bon, alors ?

Une idée lui vient, diabolodiabolique.

— O.K., il leur crie en anglais, la valise contre ma liberté, sinon ça va être Fort Alamo, ça joue ?

Y en a un auquel il reste du sang jaune ; il paraît être le chef du trio. Il lance :

— O.K. !

Juste deux lettres, c’est bien pratique au lieu d’aller faire des discours à n’en plus finir.

Alors Stevena dépose la valise sur le pavé inégal de la cour. Plein de gens regardent à travers les grilles, passionnés, mais chiasseux, prêts à décamper si ça canarde.

Stevena fait un pas en arrière, puis deux. Les Ricains fixent la valise.

— Si vous bronchez avant que je sois parti, je défouraille dedans, annonce Stevena.

Effectivement, il braque la valoche. De sa main libre, caché par la fille morte de trouille, il prend dans sa poche une sorte de kiwi métallique. Tu comprends : il lui fallait récupérer l’usage de son autre main pour agir ainsi, d’où le marché proposé Du pouce, il actionne un cliquet, assez pareil à celui qui actionne un briquet. Puis il compte posément ; dans sa tête :

— Zéro, zéro un, zéro zéro deux, zéro zéro trois.

Poum, servez chaud.

Il balance le kiwi de métal, pas de façon héroïque, non, benoîtement, à la joueur de pétanque : toujours éviter les gestes brusques. Qu’ensuite, il se fait tout petit derrière Marie-Anne Dubois (dont on fait les pipes).

Putain, cette déflagration ! Du concentré d’automate ! Si je devais, moi, l’auteur éminent, « écrire ce bruit », me faudrait tant et tant de points d’exclamation qu’il en resterait plus un seul pour mes confrères quand ils écriraient « bigre ! ».

Les trois Ricains morflent, la môme aussi.

Ça rougeoie, ça poudroie, ça merdoie ! Stevena lâche la môme, bondit sur la valoche, l’empoigne et, cessant de finasser, joue son va-tout, que tant pis pour la casse.

Un superbe garçon du nom de San-Antonio met le nez à la porte. Il voudrait tirer, seulement le nuage consécutif à l’explosion l’en empêche, et comme, derrière le fuyard, se trouve la populace en fuite, il risquerait de se produire une bavade. Alors, cet être chevaleresque renonce à son dessein.

Pendant ce temps, Stevena avec sa valoche a rejoint sa bagnole. Son démarrage, même dans Bullitt y a pas le même. Il fonce comme un dingue. Le sang dégouline de son cou, mais, ouichtre, il soignera cela plus tard. Il est très calme, souriant. Il a gagné. Tant pis pour Boris qui ne participe pas au triomphe.

* * *

Achille Parmentier est maintenant devant l’autre zone de tiroirs. Ce qu’il cherche se trouve dans celui du haut. Jamais il ne pourra se dresser suffisamment pour l’atteindre. Il n’est plus qu’une poitrine pourvue d’une tête et de deux bras. Le reste a disparu. Il va devoir renoncer. Oh ! Seigneur ! Si près du but. Il regarde ce putain de tiroir, tout goguenard, là-haut. Dressé sur ses coudes, Parmentier se sent plus dérisoire qu’un pingouin.

Il essaie d’élever le bras, mais il est loin du compte. Alors, quoi ? On ferme ?

Il tente de reprendre des forces, de rassembler assez de lucidité pour pouvoir bien cerner la situation. Il est français, Achille Parmentier. Un Français se doit de systèmeder dans les cas importants. Mais il demeure hébété. Ses yeux embrumés se posent sur la jambe de l’homme mort, toujours acagnardé contre le fauteuil dans une attitude hallucinante. Le pantalon s’est retroussé et il aperçoit un poignard très long, fixé contre le mollet dans une gaine spéciale. Parmentier avance sa main tremblante. Il palpe, il s’évertue. Finit par s’emparer du poignard. Voilà ce qu’il lui fallait. Il se rassemble contre le bureau, engage la pointe de l’arme dans la poignée chromée du tiroir supérieur. Puis il tire. Heureusement, dans ces meubles ultramodernes, tout fonctionne avec des roulements à billes. Un vrai velours. En anglais : velvet.

Docile, le tiroir coulisse, mais, parvenu à bout de course, il reste bloqué, formant une espèce de petit auvent ridicule au-dessus d’Achille Parmentier.

* * *

Stevena a levé le pied, comprenant que s’il continuait à cette allure, il ne tarderait pas à avoir des motards aux miches.

Son objectif ? Regagner Versailles, la grande maison où, à présent, deux cadavres sont en route pour la kermesse des asticots. Une fois là-bas, il planquera la valoche dans le jardin et téléphonera à Vienne. On lui enverra du dépannage ; on lui doit bien ça. Il exulte toujours, enivré par son fabuleux coup d’audace. Combien étaient-ils dans cet entrepôt de brocanteur à le canarder ? Une bonne demi-douzaine. Et il a eu raison d’eux, à lui tout seul. C’est même pas un mal que l’ami Boris y soit resté, son triomphe n’en est que plus éclatant. Il est déjà avenue de la Grande-Armée. Protégé par le flot des voitures, il pilote sagement. La valise brille sur le plancher de l’auto, côté passager.

* * *

Parmentier enrage. La paralysie poursuit sa progression dans son corps détruit. Il sent encore battre son cœur fou, mais ses pulsations désordonnées ne vont pas durer longtemps. Elles le font penser à… à quoi ? Tout se brouille. L’objet qu’il convoite est là, à cinquante centimètres au-dessus de sa tête et il lui est impossible de l’atteindre. A moins que… Le fond du tiroir métallique est en tôle souple. Achille Parmentier assure le manche du poignard dans sa main et, conjuguant ce qui lui reste de forces, se met à larder le tiroir à l’aide du couteau. Il le perce, mais cela n’avance à rien. Il faudrait que… Il s’acharne. Le fond du tiroir fait trampolin, son contenu tressaute et se met à jaillir par-dessus le rebord épais d’une dizaine de centimètres. Il regarde pleuvoir des choses hétéroclites : une machine à calculer, un mètre de charpentier en bois, des crayons en pagaille. Tu vas venir, charogne ! Et il poignarde, poignarde avec la vigueur d’un Ravaillac illuminé. Une boîte distributrice de trombones, une boîte de dix cigares… L’objet se refuse à sortir. Il perçoit des cris, dehors. Des exclamations, des sirènes de police, d’autres, plus geignardes, d’ambulances…

Bordel de merde ! on va l’embarquer. Il faut faire vite. Vite ! Viiiiite ! Et il s’enrage. Soudain, flaouf ! Une chose plate et lourde, assez semblable à un appareil de télécommande, choit près de lui. Il s’en empare. Ses mains sont déjà froides, mais elles se réchauffent au contact de l’engin. Sur le sommet dudit, se trouve un bouton chromé qui dépasse de quatre ou cinq centimètres. Achille Parmentier n’a plus qu’à appuyer sur cette protubérance métallique. Il savoure.

A cet instant, des gens pénètrent dans son bureau.

Une voix s’exclame :

— Eh ben, mon vieux, c’est le Chemin des Dames !

Allez, Achille, c’est le moment !

* * *

Stevena déboule du tunnel de Saint-Cloud. Voici l’autoroute. Il accélère. Cela fait la troisième fois en quelques heures qu’il se rend dans la périphérie de Versailles.

Il double des bagnoles, s’élance irrésistiblement. Devant lui, un lourd convoi hollandais, dans les tons bleu et blanc, barre la voie rapide. Ce con ! Il ne peut pas se cantonner sur la droite réservée aux véhicules lents ? Rageur, Stevena se met à le klaxonner. L’autre fait ce qu’il peut pour se rabattre. Il y parvient tant mal que bien. Stevena, en le remontant, aperçoit des mots bizarres, gigantesques, sertis de noir. Quel drôle de langage. Il n’a pas le temps de passer complètement le camion. Un mot hollandais peint sur une bâche sera son ultime vision du monde.