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La Tzarine pâlit à l’extrême, son regard bleu sombre s’agrandit, ses lèvres fort heureusement fardées s’écartent sous l’empire du courroux et de la déception.

— Quelle horreur ! s’écrie-t-elle.

A cet instant, le bip-bip dont nous sommes sophistiquement affublés depuis dorénavant, nous, les poulets de haut niveau, se met à glaglater.

Cela signifie que le big boss me hèle d’urgence.

— Me permettez-vous de téléphoner ? demandé-je à mes hôtes.

Mais comment donc ! Que je veuille bien passer dans le bureau du maître de maison (la maîtresse de maison étant également la mienne).

Je lance mon coup de turlu. Le « nouveau » parle comme un qui a mangé des moules pas fraîches et qui n’en finit pas de les restituer.

— Vous… brahoug… connaissez la nounou… la brahoug… nouvelle, Santantonio ?

— Oui, dis-je : on a pillé la salle des coffres de la G.D.B. et, si j’en crois votre émotion, monsieur le directeur, la fameuse valise compte parmi le butin des chevaliers du chalumeau ?

— Exactement ! C’est catastrophique ! La délégation américaine chargée de recouvrer cette foutue valise arrive demain. Nous sommes bafoués, déshonorés.

— Il y a pire, objecté-je.

Mon directeur rubicond (qui ne va pas tarder à le franchir, du train où vont les choses) lance une plainte d’alcoolo en manque.

— Comment, pire ?

— Si les malfrats qui ont monté l’opération ont le malheur de dévisser les couvercles de ces foutus bocaux, les conséquences seront incalculables. Des dizaines de milliers de personnes périront. Il faut lancer un appel immédiatement sur les radios et les télévisions, monsieur le directeur.

— Vous êtes fou, Santantonio ! ce serait déclencher la panique ! Et révéler à l’organisation du dénommé Kalel que nous avons monté le coup du faux incendie !

— Tout est préférable à ce qui arriverait si l’on ouvrait les bocaux ! riposté-je sèchement.

Mais il pleutre à bloc, le violacé.

— Non, non, ergote-t-il. On ne peut pas… Et d’ailleurs qui vous dit que les pilleurs de coffres n’abuseraient pas de la situation pour rançonner le gouvernement lui-même, en apprenant qu’ils détiennent une pareille arme !

Argument valable. Je ne moufte plus.

— Je vais en référer, dit-il, mais sans plus attendre, mobilisez nos effectifs, Santantonio, et retrouvez-moi cette valise, je vous en conjure. Faites tout donner, mais que ça ne transpire pas ! Surtout que ça ne transpire pas !

En attendant, c’est lui qui transpire, crois-moi.

Je vais rejoindre la Tzarine et son mari à répétition.

— Les événements s’emboîtent à la perfection, leur dis-je : je viens d’être chargé de l’enquête à propos du pillage des coffres.

Ma douce amie m’écrie, dans un élan sublime qui mériterait qu’elle me joue ça vêtue d’une robe à crinoline :

— Oh ! de grâce, récupérez ma parure, mon grand fou, c’est un bijou unique au monde. Si vous me le rapportez, je… je…

— Tu, quoi ? demande doucement l’époux. Je pense que tu ne peux guère promettre au commissaire davantage que tu ne lui as déjà donné.

Après quoi, plus prosaïquement, il me propose un scotch. Mais non, merci, j’ai école ; et puis surtout, j’aime pas le whisky. Je préfère tirer un coup avec sa dame que d’en boire un avec lui.

CHAPITRE V

LA VÉROLE DANS LE CHANTIER

Tu l’auras sûrement remarqué, de nos jours les flics ne se différencient un tout petit peu des truands que par le fait qu’ils usent moins volontiers de leurs pétards. La nouvelle génération de « collègues » semble avoir tourné le remake de West Side Story. Ce n’est que jeans, tee-shirts, blousons et baskets. Aucun d’eux n’a jamais entendu parler de la cravate, ou alors ils la confondent avec les jabots Louis XV et les perruques Louis XIV. C’est le style « décontracte ». Plus t’es cradingue, plus t’es « in ». La chose offre l’avantage de faire passer les roycos inaperçus dans une société qui se torche de moins en moins le cul et ne se cure plus les ongles. On s’y fait. Je connais des jeunes cadres brillants, tirés à mille épingles, qui, le soir, se mettent en pull pour aller à la Comédie-Française, manière de ne pas se faire remarquer. Y a plus que chez Lasserre qu’on exige encore une tenue dite décente, et où l’on te fournit accessoirement au vestiaire, une cravetouze, voire un veston pas toujours à tes mesures. L’univers tourne clodo. Peu à peu, on revêt l’uniforme de traîne-lattes et bientôt, très bientôt, on se remettra à chier derrière les paravents et à se gratter les poux avec des tisonniers. Ensuite, ce sera le pagne ; et puis p’t’être que tout recommencera, mais tu ne peux pas remonter à la surface de l’eau sans avoir donné un coup de pied dans le fond.

Ma seule unique crainte est qu’on se noie avant. Tant pis. Pour t’en arriver que, dans la nouvelle couche d’officiers de police fraîche émoulue, celui qui tient le pompon, c’est Lurette. Un flic comme sa pomme, franchement, ça mérite l’excursion. Jean Lurette est un faux maigriot, avec une taille de guêpe, mais des épaules larges commak. Il est petit, sa tignasse hirsute lui fait comme un casque de dragon. Ses tennis sont tellement noires et ravagées qu’on ne dirait plus des tennis mais deux grosses patates creusées. Son jean compte autant de taches que de trous, la plus superbe se situant dans la périphérie de la braguette, à croire qu’il se pisse parmi, comme on dit en Suisse, par flemme d’ouvrir sa cage à serin et de dégainer Popaul. Eté comme hiver, il porte une espèce de chandail à col roulé, noir, où s’agglutinent cheveux et pellicules. Son blouson de plastique bleu a éclaté de partout, kif un vieil oignon oublié au grenier. Les poches surbourrées paraissent toutes contenir un ballon de rugby, ce qui lui compose une bien époustouflante silhouette. Lurette ne se rase pas et réussit pourtant à ne pas avoir une vraie barbe. Sa seule hygiène consiste à mâcher sempiternellement du chewing-gum en produisant un bruit de bottes de caoutchouc dans un marécage. Il a un air maussade du gars d’extrême gauche venu apporter la contradiction chez les Jeunesses giscardiennes. Il parle peu, d’un ton grinçant. Son regard a quelque chose de charognard qui donne à penser qu’il est sans cesse occupé à tresser des embrouilles à ton intention.

Et pourtant, c’est lui que je fais mander en arrivant à la Grande Volière. Il entre sans frapper, referme ma porte d’un preste coup de talon de footballeur en plein dribble.

Bon, il a passé ses pouces dans les poches rebondies de son blouson, laissant pendre le reste des mains. Il se tient sur une seule canne, son autre pied plaqué contre le mollet, espèce d’échassier grincheux.

Il attend en dévorant sans conclure sa foutue saloperie de gum. « Vous qui mâchez toujours et jamais n’avalez », aurait écrit Victor.

Je l’enveloppe d’une œillée critique. Une vraie poubelle, ce gugus. Pourtant, il a un don. Et alors, tu vois, le mec qui possède un don a toujours priorité dans mon estime sur celui qui n’en a aucun.

— Dis voir, Jeannot, murmuré-je, t’as pas peur de te décrocher la mâchoire, à ruminer comme un fou ton bout de pneu ?

Il mastique de plus belle. Traduit du chewing-gum, ça signifie « Va te faire voir, grand son, je t’emmerde ». Je prends acte.

— D’accord, je soupire. Assieds-toi, fils, ça risque de durer.

Il hésite, mais vaincu par mon regard plus que pénétrant, il finit par se déposer sur un bord de chaise après avoir tiré le siège avec le pied, sans reprendre l’usage de ses mains qui ressemblent à des nageoires, ainsi collées à son bide.