Je le sens fondre. Sa pomme d’Adam monte et descend… Il salive pour essayer de parler, mais il a peur que sa voix se brise. Enfin il articule, comme s’il parlait dans un cornet de carton :
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
Je lui montre ma carte.
— Police !
Ça le stoppe presto. Je m’élance :
— Le vieux m’a tout dit… Allez, aboule ce que tu as trouvé dans l’auto lorsque tu l’as eu sortie !
Il reste un instant immobile…
— T’entends ! Ça va chauffer pour tes plumes, gars, je te le prédis sans avoir besoin de lire tes lignes de malchance !
Il hésite encore… Je lui prends l’oreille délicatement entre le pouce et l’index.
— Tu as tort de te faire tirer l’oreille… Elle pourrait me rester dans les mains… Tu entends ! ! !
J’ai hurlé, il a eu un sursaut…
— Oui, m’sieur… Je ne savais pas de quoi il s’agissait… Je…
Il relève son pull, il a comme ceinture une large sangle de cuir avec des poches hermétiques… Il fouille dans l’un de ces compartiments et en sort une petite boule de papier de soie.
Je la lui arrache des doigts et je me trouve nez à nez avec un splendide diamant… Fiévreusement, je m’empare de la montre de Laurent et je colle le diam dans le boîtier. Il s’y emboîte juste…
— Ce… C’était sous le klaxon, dans le volant, bégaie l’autre… Le disque était coincé… Je l’ai dévissé et… Je… Je ne savais pas…
Je lui montre la portière.
— Fous le camp ! Et n’y reviens plus… Tu as de la chance que je sois un bon type… Va gâcher ton mortier et apprends à bâtir des maisons, ça te rapportera tout compte fait davantage que les sales petites combines.
Il se taille sans demander son reste…
Je glisse la montre dans ma poche…
— Sacré Viaud ! Je comprends pourquoi il a buté Laurent…
Un petit futé
Le Vieux examine le caillou à la loupe. Le verre grossissant sert de prisme et crible le crâne du boss de mille feux scintillants.
— Magnifique pierre, décrète le patron…
— On n’en trouve pas dans des pochettes-surprises…
Le boss se caresse la coupole.
— Viaud avait ceci sur lui au moment de son arrestation. Cette pierre appartenait aux Allemands, sans doute devait-elle servir à payer une grosse légume étrangère… Il l’a confiée à Laurent à toutes fins utiles en attendant que son cas s’éclaircisse. Laurent a gardé la gemme. Il n’a pas voulu la rendre à Viaud qui l’a buté pour s’en emparer…
Triomphant il me regarde.
— C’est très simple.
Je secoue la tronche.
— Pas exactement de votre avis, patron…
— Voyez-vous !
— Si la pierre avait appartenu aux Allemands, Viaud l’aurait emmenée en Angleterre… Il ne l’a pas fait parce que, au contraire, le diamant lui avait été remis par les Anglais. Lorsqu’il a été libéré quelques heures après son arrestation, il s’est dit qu’après tout il pouvait se constituer un gentil capital… Il a repris la pierre à Laurent et a tué ce dernier, de façon que l’I.S. croie que le policier marron avait été victime de gens du milieu auxquels il proposait le caillou. Croyez-moi, c’est plutôt quelque chose dans ce goût-là…
« Veller-Viaud a pu faire admettre cette version à ses chefs anglais. Il a poursuivi son boulot de l’autre côté du Channel. Et puis il est revenu en France pour y mener une existence de peinard…
« Alors l’idée lui est venue de construire sa hutte sur le terrain de ses premiers jeux… Il avait pris ses précautions pour que celui-ci ne soit pas vendu par sa « veuve », étant donné le véhicule qu’il recélait ! Comme ça devait être, d’après ce que j’ai appris de lui, un fameux combinard, il a voulu se procurer du liquide par Carotier… Il est probable que l’I.S. surveille pendant un certain temps ses serviteurs après qu’ils l’ont quitté. Viaud, qui le savait, n’était pas pressé de monnayer le caillou…
Le Vieux fait couler la pierre dans sa main.
— Et dire que je vous avais ordonné, ce matin, de lâcher l’affaire…
Je le regarde en biais.
— Il y a ordre et ordre, chef… Vous avez des « non » qui veulent dire « oui »…
Un heurt à la porte. C’est Pinaud qui vient au rapport. Il se tient un instant immobile dans l’embrasure de la fenêtre, pour faire valoir son beau costar. Et le Vieux et moi pouvons constater qu’il s’est assis sur un banc fraîchement peint.