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Quand le vent soufflait du sud, l’air sentait la fumée, même ici, à trois milles de la cité. Derrière ses remparts de brique rouge décatis, Astapor brûlait toujours, bien que la plupart des grands brasiers se fussent épuisés, désormais. Des cendres dérivaient paresseusement sur la brise comme les gros flocons d’une neige grise. Quitter ces lieux serait une bonne chose.

Le mastodonte partageait cette opinion. « Il est que trop temps », déclara-t-il quand Guernouille le trouva en train de jouer aux dés avec Fayots, Bouquine et le vieux Bill les Os, et de perdre encore une fois. Les épées-louées adoraient Vertes-tripes, qui pariait avec toute la témérité qu’il mettait au combat, mais une bien moindre réussite. « Va me falloir mon armure, Guernouille. T’as récuré le sang qu’y avait sur ma maille ?

— Oui-da, ser. » La maille de Vertes-tripes était vieille et lourde, reprisée encore et encore, très usée. Il en allait de même de son casque, son gorgerin, ses grèves, ses gantelets et le reste de sa plate dépareillée. L’équipement de Guernouille valait à peine mieux, et celui de ser Gerris était visiblement pire. L’acier de la compagnie, selon les termes de l’armurier. Quentyn n’avait pas demandé combien l’avaient porté avant lui, combien étaient morts dedans. Ils avaient abandonné leurs propres belles armures à Volantis, en même temps que leur or et leurs vrais noms. Des chevaliers fortunés venus de maisons anciennes et honorables ne traversaient pas le détroit pour louer leurs épées, à moins d’avoir été exilés pour une infamie. « Je préfère passer pour pauvre que pour abject », avait déclaré Quentyn quand Gerris leur avait expliqué sa ruse.

Il fallut aux Erre-au-Vent moins d’une heure pour lever le camp. « Et maintenant, en selle », commanda le Prince en Guenilles de son énorme palefroi gris, dans un haut valyrien classique qui était ce qui s’approchait le plus d’une Langue Commune à la compagnie. Les quartiers arrière pommelés de son étalon étaient couverts de bandes de tissu, déchirées aux surcots des hommes qu’avait tués son maître.

La cape du prince avait été cousue selon la même méthode. L’homme avait un âge certain, plus de soixante ans, mais il se tenait encore droit et fier sur sa selle, et sa voix avait assez de vigueur pour porter à chaque recoin du champ de bataille. « Astapor n’était qu’un amuse-gueule, déclara-t-il. Meereen sera notre banquet », et les mercenaires poussèrent une féroce clameur. Des rubans de soie bleu ciel palpitaient à leurs piques, tandis que des bannières en queue d’aronde, bleu et blanc, l’étendard des Erre-au-Vent, volaient au-dessus.

Les trois Dorniens braillèrent de concert. Leur silence aurait attiré l’attention. Mais tandis que les Erre-au-Vent prenaient la direction du nord en empruntant la route côtière, suivant de près Barbesang et la Compagnie du Chat, Guernouille vint se ranger à hauteur de Gerrold le Dornien. « Bientôt », annonça-t-il dans la Langue Commune de Westeros. La Compagnie comptait d’autres Ouestriens, mais peu, et aucun à portée. « Nous avons besoin d’agir sans tarder.

— Pas ici », le mit en garde Gerris, avec le sourire vide d’un comédien. « Nous en reparlerons ce soir, lorsque nous dresserons le camp. »

Cent lieues séparaient Astapor de Yunkaï en prenant la vieille route côtière ghiscarie, et cinquante de plus de Yunkaï à Meereen. Les compagnies libres, sur de bonnes montures, pouvaient atteindre Yunkaï en six jours de chevauchées forcées, ou huit à une allure plus mesurée. Les légions de l’ancienne Ghis en mettraient moitié plus en progressant à pied, et les Yunkaïis avec leurs soldats esclaves… « Avec les généraux qu’ils ont, c’est déjà merveille qu’ils avancent pas dans la mer », commenta Fayots.

Les Yunkaïis ne manquaient pas de généraux. Un vieux héros du nom de Yurkhaz zo Yunzak exerçait le commandement suprême, mais les hommes des Erre-au-Vent ne l’apercevaient que de loin, allant et venant dans un palanquin tellement énorme qu’il exigeait quarante esclaves pour le transporter.

En revanche, ils ne pouvaient pas manquer de voir ses subalternes. Les petits seigneurs yunkaïis galopaient en tous sens comme des cafards. La moitié paraissait se nommer Ghazdan, Grazdan, Mazdhan ou Ghaznak ; distinguer un nom ghiscari d’un autre semblait un art que peu d’Erre-au-Vent pratiquaient, si bien qu’ils leur attribuaient des sobriquets moqueurs de leur cru.

Premier d’entre eux, la Baleine Jaune, un homme obscène de ventripotence, qui portait de sempiternels tokars en soie jaune avec des franges dorées. Trop lourd pour pouvoir même tenir debout sans assistance, il n’arrivait pas à maîtriser ses besoins naturels et puait donc la pisse en permanence, une si épouvantable infection que même de puissants parfums ne parvenaient pas à la masquer. Mais on le prétendait l’homme le plus riche de Yunkaï, et il avait une passion pour les grotesques ; ses esclaves comprenaient un gamin aux pattes et aux sabots de chèvre, une femme à barbe, un monstre à deux têtes venu de Mantarys et un hermaphrodite qui réchauffait sa couche, la nuit. « Vit et connin concurremment, leur dit Dick Chaume. La Baleine possédait aussi un géant, et aimait l’ regarder baiser ses esclaves. Et puis, l’ géant est mort. J’ai entendu dire qu’ la Baleine paierait un sac d’or pour en avoir un nouveau. »

Il y avait aussi la Générale, qui se déplaçait sur un cheval blanc à crinière rouge et commandait une centaine de solides esclaves soldats qu’elle avait formés et entraînés elle-même, tous jeunes, minces, bosselés de muscles et nus, à l’exception d’un pagne, de capes jaunes et de longs boucliers de bronze couverts d’ornementations érotiques. Leur maîtresse, qui ne devait pas avoir plus de seize ans, se voyait comme la Daenerys Targaryen de Yunkaï.

Le Ramier n’était pas tout à fait nain, mais on aurait pu s’y tromper quand la lumière déclinait. Et pourtant, il se pavanait comme un géant, écartant largement ses petites jambes replètes et bombant son petit torse grassouillet. Ses soldats étaient les plus grands qu’aient vus les Erre-au-Vent ; le plus court mesurait sept pieds de haut, et les échasses intégrées aux jambières de leurs armures ornementées les faisaient paraître encore plus grands. Des écailles d’émail rose leur couvraient le torse ; sur leur tête étaient perchés des casques allongés, agrémentés de becs d’acier pointus et de crêtes de plumes roses qui dansaient. Chaque homme portait à la hanche une longue épée courbe, et serrait une pique aussi haute que lui, avec un fer en feuille à chaque extrémité.

« Le Ramier en fait l’élevage, les informa Dick Chaume. Il achète de grands esclaves dans le monde entier, accouple les hommes avec les femmes et garde les plus grands enfants pour les Hérons. Il espère pouvoir un jour s’ dispenser des échasses.

— Quelques sessions sur un chevalet pourraient accélérer le processus », suggéra le mastodonte.

Gerris Boisleau éclata de rire. « Une bande qui inspire la terreur. Rien ne me terrifie plus qu’une troupe d’échassiers couverts d’écailles roses et de plumes. Si j’en avais un aux trousses, je rirais tellement que ma vessie pourrait lâcher.

— Y en a qui trouvent que les Hérons ont d’ la majesté, observa le vieux Bill les Os.

— Ouais, si ton roi bouffe des grenouilles en se tenant sur une seule patte.

— C’est froussard, les hérons, glissa le mastodonte. Un jour qu’on chassait, le Buveur, Cletus et moi, on est tombés sur des hérons qui arpentaient les hauts-fonds en se gobergeant de têtards et de vairons. Ah, ça, le spectacle valait le coup d’œil, mais un faucon est soudain passé dans les airs et ils se sont tous envolés comme s’ils avaient vu un dragon. Ils ont soulevé tant de vent qu’ils m’en ont culbuté de mon cheval, mais Cletus a tiré une flèche et en a abattu un. Ça a le goût du canard, en moins gras. »