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Lorsqu’elle vint se glisser de nouveau sous les fourrures, Qarl dormait. « À présent, ta vie m’appartient. Où ai-je mis ma dague ? » Asha se pressa contre le dos de l’homme et l’entoura de ses bras. Dans les îles, on le connaissait sous le nom de Qarl Pucelle, en partie pour le distinguer de Qarl Berger, de Qarl Kenning Lestrange, de Qarl Prompte-Hache et de Qarl le Serf, mais surtout pour ses joues lisses. La première fois qu’Asha l’avait rencontré, Qarl essayait de se laisser pousser la barbe. « Du duvet de pêche », avait-elle tranché, en riant. Qarl avoua n’avoir jamais vu de pêche, aussi Asha l’invita-t-elle à l’accompagner lors du voyage suivant qu’elle fit dans le Sud.

C’était encore l’été, à l’époque ; Robert occupait le Trône de Fer, Balon se morfondait sur le Trône de Grès, et la paix régnait sur les Sept Couronnes. Avec le Vent noir, Asha avait caboté, pour commercer. Ils avaient fait escale à Belle Île, Port-Lannis, et vingt autres ports de moindre taille avant d’atteindre La Treille, fameuse pour ses énormes pêches sucrées. « Tu vois », avait-elle dit la première fois qu’elle en avait placé une contre la joue de Qarl. Quand elle avait encouragé le jeune homme à y mordre, le jus lui avait dégouliné sur le menton, et elle avait dû le nettoyer de ses baisers.

Cette nuit-là, ils l’avaient passée à se régaler de pêches et de leurs deux corps et, le temps que revienne le jour, Asha était repue, poisseuse et heureuse comme elle l’avait rarement été. Cela remontait à quoi ? Six, sept ans ? Le souvenir de l’été s’effaçait, et voilà trois ans qu’Asha n’avait plus dégusté de pêche. Elle continuait d’apprécier Qarl, en revanche. Les capitaines et les rois n’avaient peut-être pas voulu d’elle, mais Qarl, si.

Asha avait connu d’autres amants ; certains partageaient son lit une moitié d’année, d’autres, une moitié de nuit. Qarl la satisfaisait plus que tout le reste pris ensemble. Il ne se rasait peut-être que deux fois par mois, mais la barbe en broussaille ne fait point l’homme. Elle aimait le contact de sa peau lisse et douce sous ses doigts ; la façon dont les longs cheveux raides de Qarl lui tombaient sur les épaules ; sa manière d’embrasser ; son sourire quand elle frottait du pouce la pointe de ses pectoraux. Le poil entre les jambes de Qarl avait une nuance sable plus sombre que ses cheveux, mais il était doux comme du duvet en comparaison avec la fourrure rêche autour du sexe d’Asha. Cela lui plaisait aussi. Il avait un corps de nageur, long et svelte, dénué de toute cicatrice.

Un sourire timide, des bras vigoureux, des doigts habiles et deux épées fiables. Que pouvait demander de plus une femme ? Elle aurait pris Qarl pour mari, et de grand cœur, mais elle était la fille de lord Balon et Qarl était d’origine vulgaire, un petit-fils de serf. De trop basse naissance pour que je l’épouse, mais point trop bas pour que je lui suce la queue. Ivre, souriante, elle se faufila sous les fourrures et le prit en bouche. Qarl remua dans son sommeil et, au bout d’un moment, commença à raidir. Le temps qu’elle l’ait de nouveau rendu dur, il était réveillé et elle était humide. Asha drapa de fourrures ses épaules nues et enfourcha Qarl, l’attirant si profondément en elle qu’elle n’aurait su dire qui avait le conet et qui le vit. Cette fois-ci, tous deux atteignirent leur paroxysme ensemble.

« Ma douce dame, murmura-t-il ensuite d’une voix encore pâteuse de sommeil. Ma douce reine. »

Non, songea Asha. Je ne suis pas reine, ni jamais ne le serai. « Rendors-toi. » Elle le baisa sur la joue, traversa pieds nus la chambre à coucher de Galbart Glover, et ouvrit largement les volets. La lune était presque pleine, la nuit si claire qu’elle apercevait les montagnes, et leurs cimes couronnées de neige. Froides, sinistres et inhospitalières, mais magnifiques au clair de lune. Leurs crêtes luisaient, pâles et déchiquetées comme une rangée de crocs aiguisés. Les contreforts et les premiers pics étaient perdus dans l’ombre.

La mer se situait plus près, à peine à cinq lieues au nord, mais Asha n’en voyait rien. Trop de collines lui bouchaient la vue. Et des arbres, tant d’arbres. Le Bois-aux-Loups, le nommaient les Nordiens. En général, la nuit, on entendait l’appel des loups entre eux dans le noir. Un océan de feuillages. Si cela pouvait être un océan d’eau.

Motte-la-Forêt pouvait bien être plus proche de la mer que Winterfell, elle en demeurait trop éloignée au goût d’Asha. L’air sentait le pin et non le sel. Au nord-est de ces mornes montagnes grises se tenait le Mur, où Stannis Baratheon avait dressé ses bannières. L’ennemi de mon ennemi est mon ami, répétait-on, mais le revers de cette médaille impliquait : L’ennemi de mon ami est mon ennemi. Les Fer-nés étaient les ennemis des seigneurs nordiens dont ce prétendant Baratheon avait désespérément besoin. Je pourrais lui offrir mon séduisant jeune corps, songea-t-elle en écartant de ses yeux une mèche de cheveux, mais Stannis était marié et elle aussi, et les Fer-nés et lui étaient adversaires de longue date. Durant la première rébellion du père d’Asha, Stannis avait écrasé la Flotte de Fer au large de Belle Île et soumis Grand Wyk au nom de son frère.

Les murailles moussues de Motte-la-Forêt tenaient enclose une large colline bombée au sommet aplati, couronnée par une maison commune vaste comme une caverne, avec les cinquante pieds d’une tour de guet à une extrémité, qui dominait la colline. À son pied s’étendait la cour intérieure, avec ses écuries, son pré, sa forge, son puits et sa bergerie, défendus par des douves profondes, un talus de terre et une palissade en rondins. Les défenses extérieures dessinaient un ovale, qui suivait les contours du terrain. Il y avait deux portes, chacune protégée par deux tours carrées en bois, et des chemins de ronde suivaient le périmètre. Sur le flanc sud du château, la mousse garnissait les palissades d’une couche épaisse et montait à mi-hauteur des tours. À l’est et à l’ouest s’étendaient des champs vides. Y poussaient de l’avoine et de l’orge, lorsque Asha s’était emparée du château, qu’on avait piétinées au cours de l’attaque. Une série de gels féroces avait tué les récoltes qu’ils avaient plantées par la suite, ne laissant que de la boue et de la cendre, et des tiges flétries en train de pourrir.

C’était un vieux château, mais pas une forteresse. Asha l’avait pris aux Glover, et le Bâtard de Bolton le prendrait à Asha. Il ne l’écorcherait pas, toutefois. Asha Greyjoy n’avait aucune intention de se laisser capturer vivante. Elle mourrait comme elle avait vécu, une hache à la main et un rire aux lèvres.

Le seigneur son père lui avait confié trente navires pour s’emparer de Motte-la-Forêt. Il en restait quatre, en comptant son propre Vent noir, et l’un d’eux appartenait à Tris Botley, qui l’avait rejointe quand tous ses autres hommes avaient fui. Non. Ce n’est pas juste. Ils avaient pris la mer pour rendre hommage à leur roi. Si quelqu’un a fui, c’était moi. Ce souvenir continuait de lui inspirer de la honte.