Выбрать главу

Revenant au présent, Fain s’avisa que la Chaire d’Amyrlin venait de lui poser une question. En fouillant dans sa mémoire, il retrouva de quoi il s’agissait et répondit :

— Oui, mère, cette veste me va à merveille… (Pour appuyer ses dires, Fain caressa le velours noir du bout des doigts – comme si les vêtements avaient la moindre importance !) C’est une très bonne veste, et je vous remercie humblement.

Prêt à s’agenouiller et à embrasser la bague au serpent, Fain était également préparé à subir d’autres tentatives visant à l’amadouer, histoire de lui faire baisser sa garde. Mais cette fois, l’Aes Sedai entra sans préambule dans le vif du sujet :

— Maître Fain, dites-moi tout ce que vous savez sur Rand al’Thor.

Fain leva les yeux sur le tableau où deux hommes se battaient dans le ciel. L’image de Rand al’Thor le rendait presque aussi fou de rage que la présence en chair et en os de ce chien. À cause de ce jeune homme apparemment inoffensif, il avait souffert au-delà de ce qu’on pouvait imaginer et de ce qu’il était capable de se rappeler. Une souffrance bien pire que la simple douleur. Par la faute de Rand al’Thor, il avait été brisé en mille morceaux puis reconstitué. Bien entendu, ce processus lui avait fourni les armes requises pour se venger, mais la question n’était pas là. Dès qu’il était question d’abattre al’Thor – de le réduire à néant, plutôt – rien d’autre ne comptait aux yeux de Padan Fain.

Lorsqu’il regarda de nouveau la Chaire d’Amyrlin, le petit homme ne s’aperçut pas qu’il se montrait soudain aussi autoritaire qu’elle, soutenant son regard sans ciller.

— Rand al’Thor est retors et il ne se soucie de rien ni de personne, à part ce qui sert son pouvoir. (Quelle idiote, décidément !) Il n’agit jamais comme on s’y attend, se montrant donc difficile à contrôler, même si ce n’est pas impossible. (Livre-le-moi, et tu verras ce que j’en ferai !) Pour commencer, mère, tu devras tirer les ficelles d’un des rares pantins auxquels il se fie…

Si cette femme lui livrait Rand al’Thor, Fain envisageait de la laisser en vie quand il en aurait terminé. Oui, même s’il s’agissait d’une maudite Aes Sedai !

En manches de chemise, une botte sur l’accoudoir rembourré de son fauteuil orné de dorure, Rahvin sourit tandis que la femme debout devant la cheminée répétait ce qu’il venait de lui dire. Ses grands yeux marron légèrement vitreux, cette jeune personne restait fort séduisante, même dans la robe de laine grise très ordinaire qu’elle avait choisie comme déguisement. Mais pour une fois, Rahvin ne s’intéressait pas à cet aspect-là de la femme.

Pas un souffle d’air n’entrant par les grandes fenêtres, il faisait une chaleur étouffante dans la pièce. De la sueur ruisselait sur le visage de la femme qui parlait et sur celui, long et étroit, de l’autre homme présent en ces lieux. Malgré sa veste rouge ornée de broderies dorées, le type avait adopté la posture très raide d’un serviteur – exactement ce qu’il était, en un sens. Mais contrairement à la femme, il disposait encore de sa propre volonté, même s’il était momentanément sourd et aveugle.

N’ayant aucun intérêt à perdre des larbins si utiles, Rahvin tissait avec une grande délicatesse les flux d’Esprit qui entravaient le couple.

Bien entendu, lui ne transpirait pas, car il ne permettait pas à la chaleur de l’été d’avoir la moindre prise sur lui. Très grand, costaud, le teint mat, il demeurait très séduisant malgré ses tempes plus que grisonnantes.

Sur cette femme, user de la Coercition n’avait posé aucun problème. Ce n’était pas toujours le cas. Certains « sujets », très rares, avaient une telle force mentale que leur esprit, même s’ils n’avaient pas conscience de ce qui se passait, cherchait la moindre fissure dans le piège pour s’enfuir. Par un malheureux concours de circonstances, Rahvin avait encore besoin d’une de ces proies récalcitrantes. Une proie qu’il pouvait maîtriser, certes, mais qui tentait sans cesse de lui échapper, alors même qu’elle ignorait être en son pouvoir. Bientôt, elle deviendrait inutile, par bonheur, et il lui resterait simplement à décider s’il devait la laisser repartir ou s’en débarrasser d’une manière permanente. Le danger rôdait partout. Rien qui puisse vraiment lui nuire, bien entendu, mais il était depuis toujours un homme prudent et méticuleux. Les petits dangers grandissaient quand on n’y faisait pas attention, et il avait l’art de prendre des risques calculés au centième de pouce près. Alors, devait-il tuer cette proie ou lui rendre la liberté ?

S’avisant que la femme s’était tue, Rahvin émergea de sa méditation.

— Une fois partie d’ici, dit-il, tu oublieras tout de cette visite, et tu reprendras comme si de rien n’était ta promenade matinale.

La femme acquiesça, avide de lui plaire. Afin qu’ils disparaissent dès qu’elle serait dans la rue, Rahvin dénoua un peu les flux d’Esprit. Le recours fréquent à la Coercition facilitait l’obéissance, même quand on ne se servait pas du lien mental d’asservissement. Hélas, celui-ci devenait un peu plus facile à détecter lorsqu’on l’activait.

Rahvin relâcha aussi la pression sur l’esprit d’Elegar. Un noble mineur, certes, mais fidèle à ses engagements. Regardant la femme, il se passa nerveusement la langue sur les lèvres, puis mit un genou en terre devant Rahvin. Depuis que Rahvin et les autres s’étaient libérés, les Suppôts des Ténèbres avaient appris qu’on ne leur permettrait pas la moindre manifestation de déloyauté.

— Conduis-la dans la rue par la porte de derrière, ordonna le Rejeté, afin que personne ne la voie, puis laisse-la partir.

— À vos ordres, grand maître, souffla Elegar en s’inclinant, toujours en appui sur un genou.

Puis il se leva, prit la femme par le bras et la tira vers la sortie tout en multipliant les courbettes à l’intention de Rahvin. Le regard toujours voilé, la docile proie ne résista pas. Avant de l’abandonner, Elegar ne lui poserait aucune question. Avec le temps, il avait compris qu’il valait mieux, pour son propre bien, ne pas en savoir trop long sur certaines choses.

— Une de tes jolies poupées ? demanda une voix de femme derrière Rahvin lorsque la porte se fut refermée. Les habiller comme ça est une de tes fantaisies ?

S’unissant au saidin, la moitié masculine de la Source Authentique, Rahvin en tira un flot de Pouvoir. Protégé par ses liens et ses serments – des attaches qui le reliaient à une puissance de loin supérieure à celle de la Lumière, voire du Créateur –, il ne sentit pas le goût atroce de la souillure.

Au milieu de la pièce, un portail lévitait au-dessus du tapis rouge et or – une ouverture donnant sur un ailleurs indéfini. Avant que cette issue disparaisse, Rahvin eut le temps d’apercevoir une pièce tendue de soieries immaculées. Puis son regard se posa sur l’intruse vêtue de blanc, à l’exception de sa ceinture argentée, qui venait de sortir du mystérieux passage.

Seul un léger picotement, tel un frisson fugitif, permit à Rahvin de deviner que la femme avait canalisé le Pouvoir. Grande et mince, ses yeux noirs insondables et ses longs cheveux ornés d’étoiles et de croissants d’argent, cette visiteuse n’avait rien à envier à Rahvin en matière de beauté. Face à elle, la plupart des hommes auraient eu la bouche sèche de désir.