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Camille décroche. Louis évoque l’explosion du dix-huitième arrondissement, le bilan pourrait être lourd, le Ministère est sens dessus dessous, tout le monde parle d’un attentat terroriste, la Préfecture a…

— Bon, accouche, dit Camille, impatient.

— Un homme demande à vous parler, répond Louis.

— C’est pour ça que tu m’appelles ? Reçois-le !

— Il ne veut parler qu’à vous. Il dit que c’est lui qui a posé la bombe. Et comme il a commencé à filmer les lieux près d’une minute avant l’explosion, il y a peu de doute.

ÉPISODE 4

20 h 55

Il s’appelle Marsan.

— Pourquoi, me parler à moi ? demande Camille.

— Il dit qu’il vous a vu à la télé.

— Ça donne une idée de son niveau…

Louis ne relève pas et poursuit :

— Son nom ne figure pas au Fichier mais on trouve celui de sa mère, Rosie. Elle est en préventive pour meurtre, depuis huit mois.

— Ça donne une idée de la famille.

21 h 05

Il doit avoir une trentaine d’années.

— Vingt-sept. En juin, précise-t-il comme si ça avait de l’importance.

Il est brun avec des sourcils très fournis, les yeux ne savent pas où se poser. Il se frotte lentement les mains à plat l’une contre l’autre, entre ses genoux. Ça ne veut rien dire. Quand on voit Camille pour la première fois, avec son mètre quarante-cinq, qu’il faut baisser les yeux pour le regarder en face, ou qu’il s’assoit devant vous avec ses pieds à vingt centimètres du sol, beaucoup de gens sont embarrassés. Mais pas cette fois. Le jeune homme connaît Verhœven qui, pour lui, porte le label « vu à la télé ». Seulement c’est un timide.

— Marsan, John, dit Camille.

— Jean !

Il a sursauté. L’air d’y tenir, à cette précision. Camille, sceptique, plisse les yeux sur la carte d’identité, comme s’il déchiffrait une langue étrangère :

— Moi, dit-il, je lis « John ».

Le garçon le regarde en face.

— Bon, d’accord, concède Camille, ça s’écrit John mais ça se prononce Jean. Et donc, Jean (Camille appuie bien sur la syllabe), c’est vous qui avez posé une bombe rue Fréret.

Puis il croise les bras. Expliquez-moi ça.

— Pendant les travaux, dit Jean. J’ai mis l’obus avant qu’ils referment.

Si on ne sait rien, on n’y comprend rien. Mais Camille comprend très bien parce que dans le couloir, juste avant l’interrogatoire, Basin, le type du labo, lui a expliqué.

— La bombe est sans doute un obus de 140 mm.

— Mais… c’est énorme, ces trucs-là ! s’est écrié Camille.

Basin a écarté les mains comme s’il montrait la taille d’un brochet.

— 50 sur… 14. Non, c’est pas énorme.

Le mois dernier, on a changé des conduites d’eau, rue Fréret. Il pense que le type a profité des tranchées ouvertes.

— L’obus, je l’ai posé de nuit, confirme Jean (avec lui, pas de mystère, au contraire, il veut s’expliquer).

J’ai posé une bâche sur le trou et après j’ai travaillé en dessous. J’ai creusé dans la terre, en dessous du trottoir, j’ai posé l’obus, j’ai mis un détonateur, un réveil, après j’ai rebouché.

— Et… pourquoi vous avez fait ça ? demande Camille. Qu’est-ce que vous voulez ?

Mais Jean ne répond pas aux questions. Il dit ce qu’il a prévu de dire, dans l’ordre, il faut que les choses se déroulent comme il les a imaginées. Il est très appliqué.

— Des obus… J’en ai mis huit. Il en reste sept. Une explosion tous les deux jours. C’est prévu comme ça.

— Mais… répète Camille abasourdi, vous voulez quoi ?

Jean veut qu’on les libère, sa mère (qui est en préventive) et lui (qui est en garde à vue).

— Je veux qu’on bénéficie d’une procédure genre « protection des témoins ».

C’est idiot mais la première réaction de Camille est d’éclater de rire. Jean, lui, reste imperturbable.

— Vous nous donnez une nouvelle identité, poursuit-il, vous nous faites passer en Australie avec de l’argent, de quoi s’installer, j’ai pensé à cinq millions. Dès qu’on passe la frontière, je vous donne l’endroit des sept obus qui restent.

— Mais… ce truc-là, ça se pratique aux États-Unis, explique Camille. Pas ici ! Vous avez regardé trop de séries TV, mon vieux ! On est en France et…

— Oui, je sais (Jean balaye de la main devant lui, vraiment agacé), je sais ! Mais s’ils peuvent le faire là-bas, on peut le faire ici. D’ailleurs, je suis certain qu’on l’a déjà fait. Pour des espions, des mafieux, ce genre de trucs, renseignez-vous. De toute manière, c’est ça ou rien, alors…

Le garçon est assez rustique, évidemment immature (cette idée de l’Australie est stupide comme un rêve d’adolescent), mais il est loin d’être bête. Et sa capacité de nuisance est prodigieuse. Camille lui explique qu’on va devoir reprendre depuis le début, lui-même tâche de mettre de l’ordre dans ses pensées. « Sept bombes planquées un peu partout, se répète-t-il. Une explosion tous les deux jours. »

Jean est d’accord pour s’expliquer, plus les choses seront claires, plus vite on en finira. Il n’a pas l’air d’avoir le moindre doute.

ÉPISODE 5

21 h 45

On reprend tout depuis le début.

— Les obus, explique Jean, je les ai ramassés sur la route de Souain-Perthes, en direction de Sommepy.

Et à Monthois.

C’est dans l’Est, du côté de Châlons, dans la Marne, il paraît qu’on y déterre chaque année des dizaines d’obus de 14–18, les agriculteurs les stockent le long des routes en attendant le passage des services de déminage. On a confisqué le sac de sport que Jean portait lorsqu’il s’est constitué prisonnier. Le contenu est étalé sur le bureau de Camille. Marsan montre un appareil numérique qui fait réveil et calendrier.

— C’est avec ça que j’ai programmé toutes les bombes. 3,99 euros sur le web.

Pour preuve, il montre la facture puis désigne une boîte remplie de détonateurs, des petits tubes qui tiennent dans la main.

— Volés dans un dépôt de matériel de travaux publics en Haute-Savoie. (Il donne l’adresse, trouvée sur le net). Il y a juste un gardien à mi-temps. C’était vraiment pas difficile.

On va vérifier bien sûr, mais Camille est certain que ça n’est pas la peine. Pour le reste, relais électriques, câbles…

— J’ai tout acheté chez Leroy-Merlin, dit Jean.

Il ajoute :

— Chez moi, vous ne trouverez pas d’ordinateur, je l’ai jeté. Je sais que vous pouvez fouiller dedans même si les données ont été effacées, alors…

Pas de téléphone non plus, il a résilié son abonnement depuis plusieurs mois. Camille a du mal à réaliser.

— Merde alors, dit-il en sortant du bureau. On peut terroriser une ville en ramassant des obus le long des routes, en achetant des réveils sur le net et des relais chez Leroy-Merlin ?

Basin a levé les épaules.

— Oui, très facilement. En 14–18, un obus sur quatre n’a pas explosé, il n’y a qu’à se baisser. Et pour le système de déclenchement, il a utilisé un radio-réveil mais tout ce qui produit une impulsion peut servir : une sonnette de porte, un téléphone portable… On pense toujours que le terrorisme, c’est très sophistiqué mais en fait, pas vraiment.