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Mrs Linton était assise, comme à l’accoutumée, dans l’encoignure de la fenêtre ouverte, vêtue d’une robe blanche flottante, un léger châle sur les épaules. Sa longue et épaisse chevelure avait été en partie coupée au début de sa maladie et elle la portait à présent relevée en simples tresses sur le front et sur la nuque. Elle était très changée, comme je l’avais dit à Heathcliff; mais, quand elle était calme, ce changement donnait à sa beauté une apparence surnaturelle. L’éclat de ses yeux avait fait place à une douceur rêveuse et mélancolique; ils ne semblaient plus s’attacher aux objets qui l’environnaient; ils paraissaient toujours fixés au loin, très loin, au delà de ce monde, aurait-on dit. Puis la pâleur de son visage – dont l’aspect hagard avait disparu quand elle avait repris des chairs – et l’expression particulière que lui donnait son état mental, tout en rappelant douloureusement ce qui en était cause, ajoutaient au touchant intérêt qu’elle éveillait: ces signes contredisaient – pour moi, certainement, et pour tous ceux qui la voyaient, je pense – les preuves plus palpables de sa convalescence et lui imprimaient la marque d’un dépérissement fatal.

Un livre était ouvert devant elle, sur le rebord de la fenêtre, et par moments une brise à peine perceptible en agitait les feuillets. Je pensai que c’était Linton qui l’avait posé là; car jamais elle ne cherchait de divertissement dans la lecture, non plus que dans aucune autre occupation, et il arrivait à son mari de passer des heures à essayer d’attirer son attention sur quelque sujet qui, autrefois, avait été une de ses distractions. Elle comprenait son dessein et quand elle était dans ses meilleures humeurs, supportait paisiblement ses efforts; seulement elle laissait paraître leur inutilité en réprimant de temps à autre un soupir de lassitude, et elle finissait par l’arrêter avec le plus triste des sourires et des baisers. D’autres fois, elle se détournait brusquement, se cachait la figure dans les mains, ou même elle le repoussait avec colère; alors il avait soin de la laisser seule, car il était certain de ne lui faire aucun bien.

Les cloches de la chapelle de Gimmerton retentissaient encore; le bruit du ruisseau qui coulait moelleusement à pleins bords dans la vallée venait caresser l’oreille, et remplaçait agréablement le murmure encore absent du feuillage estival qui, autour de la Grange, étouffe la musique de l’eau quand les arbres ont revêtu leur parure. À Hurle-Vent, on entendait toujours cette musique dans les jours calmes qui suivaient un grand dégel ou une période de pluie continue. Et c’est à Hurle-Vent que Catherine pensait en écoutant: si tant est qu’elle pensât ou qu’elle écoutât, car elle avait ce vague et lointain regard dont j’ai déjà parlé, qui n’exprimait aucune perception des choses matérielles ni par l’oreille ni par les yeux.

– Voici une lettre pour vous, Mrs Linton, dis-je en lui plaçant doucement la lettre dans la main qui était appuyée sur son genou. Il faut la lire tout à l’heure, car elle demande une réponse. Dois-je rompre le cachet?

– Oui, répondit-elle sans détourner les yeux.

Je l’ouvris. C’était un très court billet.

– Maintenant, continuai-je, lisez.

Elle retira la main et laissa tomber le papier. Je le replaçai sur ses genoux et attendis qu’il lui plût d’y jeter les yeux; mais à la fin, comme elle ne bougeait pas, je repris:

– Dois-je le lire moi-même, madame? C’est de Mr Heathcliff.

Elle tressaillit; il semblait que la mémoire lui revînt confusément et qu’elle luttât pour ressaisir ses idées. Elle souleva la lettre et parut la parcourir; quand elle arriva à la signature, elle soupira. Pourtant je vis qu’elle n’en avait pas saisi le sens, car, lorsque je manifestai le désir de connaître sa réponse, elle me montra simplement du doigt le nom et tourna vers moi des yeux ardents, désolés et interrogateurs.

– Eh bien! il voudrait vous voir, dis-je, devinant qu’elle avait besoin d’un interprète. Il est dans le jardin en ce moment, impatient de savoir quelle réponse je lui apporterai.

Tout en parlant, j’observais un grand chien couché au soleil sur l’herbe. L’animal dressa les oreilles comme s’il allait aboyer, puis les laissa retomber et indiqua, en remuant la queue, l’approche de quelqu’un qu’il ne considérait pas comme un étranger. Mrs Linton se pencha et écouta en retenant sa respiration. Une minute après, un pas traversa le vestibule. La maison ouverte était pour Heathcliff une tentation trop forte pour qu’il y résistât; vraisemblablement, il avait supposé que j’étais tentée d’éluder ma promesse et s’était résolu à se fier à son audace. Le regard de Catherine était ardemment tendu vers l’entrée de la chambre. Comme il ne trouvait pas aussitôt la pièce où nous nous tenions, elle me fit signe de le faire entrer. Mais, avant que j’eusse gagné la porte, il franchissait le seuiclass="underline" en une ou deux enjambées il était près d’elle et la tenait dans ses bras.

Il ne dit rien et ne relâcha pas son étreinte durant près de cinq minutes; pendant ce temps il lui prodigua plus de baisers qu’il n’en avait donné de toute sa vie, je crois bien. Mais c’était ma maîtresse qui lui avait donné le premier, et je vis clairement qu’une véritable angoisse l’empêchait presque de la regarder en face. Dès l’instant qu’il l’avait aperçue, il avait été saisi, comme je l’étais moi-même, de la conviction qu’il n’y avait plus pour elle d’espoir de jamais se rétablir… que sûrement elle était condamnée.

– Oh! Cathy! Oh! ma vie: comment pourrai-je supporter cette épreuve?

Tels furent ses premiers mots, prononcés sur un ton qui ne cherchait pas à déguiser son désespoir. Puis il la regarda avec une ardeur telle que je crus que l’intensité même de ce regard amènerait des larmes dans ses yeux; mais ils brûlaient d’angoisse et restaient secs.

– Eh! quoi? dit Catherine en retombant dans son fauteuil et lui opposant tout à coup un front assombri: son humeur tournait au vent de ses caprices constamment changeants. Edgar et vous m’avez brisé le cœur, Heathcliff! Et tous deux vous venez vous lamenter auprès de moi, comme si c’était vous qui étiez à plaindre! Je ne vous plaindrai pas, certes non. Vous m’avez tuée… et cela vous a réussi, il me semble. Que vous êtes robuste! Combien d’années comptez-vous vivre encore après que je serai partie?

Heathcliff avait mis un genou en terre pour l’embrasser. Il voulut se lever, mais elle le saisit par les cheveux et le maintint.

– Je voudrais pouvoir vous retenir, continua-t-elle avec amertume, jusqu’à ce que nous soyons morts tous les deux! Que m’importerait ce que vous souffririez? Vos souffrances me sont indifférentes. Pourquoi ne souffririez-vous pas? Je souffre bien, moi? M’oublierez-vous? Serez-vous heureux quand je serai sous terre? Direz-vous, dans vingt ans d’ici: «Voilà la tombe de Catherine Earnshaw. Je l’ai aimée, il y a longtemps, et j’ai été bien misérable quand je l’ai perdue; mais c’est fini. J’en ai aimé bien d’autres depuis; mes enfants me sont plus chers qu’elle ne m’était chère et, quand je mourrai, je ne me réjouirai pas d’aller la retrouver, je m’affligerai de les quitter.» Est-ce là ce que vous direz, Heathcliff?