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Bientôt j’aperçus un groupe de domestiques passant sur la route et se dirigeant vers l’aile où était la cuisine. Mr Linton n’était pas loin derrière. Il ouvrit la barrière lui-même et approcha lentement, s’attardant sans doute à jouir de cette délicieuse fin de journée et de la brise aussi douce qu’une brise d’été.

– Le voilà! m’écriai-je. Pour l’amour du ciel, partez vite! Vous ne rencontrerez personne dans le grand escalier. Hâtez-vous, et restez caché dans les arbres jusqu’à ce qu’il soit bien sûrement rentré.

– Il faut que je parte, Cathy, dit Heathcliff en cherchant à se dégager des bras de ma maîtresse. Mais si je vis, je vous reverrai avant que vous soyez endormie. Je ne m’éloignerai pas de votre fenêtre de plus de cinq mètres.

– Il ne faut pas que vous partiez! répondit-elle en le retenant aussi fermement que ses forces le lui permettaient. Vous ne partirez pas, vous dis-je.

– Pour une heure, implora-t-il instamment.

– Pas pour une minute.

– Il le faut… Linton va être en haut dans le moment, insista l’intrus alarmé.

Il voulait se lever et se libérer des doigts qui s’accrochaient à lui. Elle tenait bon, haletante; une folle résolution était peinte sur son visage.

– Non! cria-t-elle. Oh! ne partez pas, ne partez pas! C’est la dernière fois. Edgar ne nous fera rien. Heathcliff, je mourrai, je mourrai!

– Le diable emporte l’imbécile! le voilà! s’écria Heathcliff en retombant sur son siège. Chut! chut! Catherine, je resterai. S’il me tuait maintenant, j’expirerais avec une bénédiction sur les lèvres.

Ils étaient de nouveaux embrassés. J’entendais mon maître qui montait l’escalier; une sueur froide coulait de mon front, j’étais frappée de terreur.

– Allez-vous écouter ses divagations? demandai-je avec emportement. Elle ne sait ce qu’elle dit. Serez-vous cause de sa perte, parce qu’elle n’a pas la présence d’esprit de se sauver elle-même? Levez-vous! Vous pouvez recouvrer votre liberté sur-le-champ. Vous n’avez jamais rien fait d’aussi diabolique. Nous sommes tous perdus… maître, maîtresse et servante.

Je me tordais les mains, je vociférais; Mr Linton hâta le pas en entendant le bruit. Au milieu de mon trouble, j’eus une vraie joie de voir que les bras de Catherine s’étaient relâchés et que sa tête pendait sur son épaule.

– Elle est évanouie ou morte, pensai-je. Tant mieux! Mieux vaut pour elle la mort que de languir comme un fardeau et une source de misère pour ceux qui l’entourent.

Edgar bondit vers son hôte inattendu, blême d’étonnement et de rage. Quelle était son intention, je ne saurais le dire; quoi qu’il en soit, l’autre arrêta aussitôt toute démonstration de sa part en plaçant dans ses bras la forme en apparence inanimée de sa femme.

– Regardez! dit-il. Si vous n’êtes pas un démon, soignez-là d’abord… vous me parlerez après.

Il passa dans le petit salon et s’assit. Mr Linton m’appela. Avec beaucoup de difficulté et après avoir eu recours aux moyens les plus variés, nous parvînmes à la faire revenir à elle. Mais elle était tout égarée; elle soupirait, gémissait et ne reconnaissait personne… Edgar, dans son anxiété pour elle, oublia l’odieux ami de sa femme. Moi, je ne l’oubliai pas. À la première occasion, j’allai le supplier de partir, lui affirmant que Catherine était mieux et que je lui ferais savoir dans la matinée comment elle avait passé la nuit.

– Je ne refuse pas de sortir de la maison, répondit-il, mais je resterai dans le jardin; et ayez soin, Nelly, de tenir votre promesse demain. Je serai sous ces mélèzes. N’oubliez pas, ou je renouvellerai ma visite, que Linton soit là où non.

Il lança un coup d’œil par la porte entr’ouverte de la chambre et, s’étant assuré que mes dires semblaient exacts, il délivra la maison de sa funeste présence.

CHAPITRE XVI

Cette nuit-là, vers minuit, naquit la Catherine que vous avez vue à Hurle-Vent: enfant chétive, venue à sept mois. Deux heures après, la mère mourut, sans jamais avoir repris suffisamment connaissance pour s’apercevoir de l’absence de Heathcliff ou de la présence d’Edgar. Le désespoir de ce dernier est un sujet trop pénible pour que j’y insiste; ses effets ultérieurs montrèrent combien ce coup l’avait atteint profondément. Sa douleur s’accrut encore, selon moi, du fait qu’il restait sans héritier. Je m’en affligeais, quand je regardais la faible orpheline; et je reprochais en moi-même au vieux Linton (ce qui n’était pourtant que l’effet d’une partialité bien naturelle) d’avoir en pareille occurrence assuré ses biens à sa fille et non à la fille de son fils. Elle fut bien mal reçue, la pauvre petite! Elle aurait pu crier jusqu’à en perdre la vie sans que personne s’en souciât, pendant ces premières heures après sa venue au monde. Nous rachetâmes cette négligence par la suite; mais les débuts de son existence furent aussi privés d’affection qu’en sera probablement la fin.

Le matin suivant – clair et gai au dehors – le jour se glissa tamisé à travers les jalousies de la chambre silencieuse, parant la couche et celle qui l’occupait d’une lumière adoucie et délicate. Edgar Linton avait la tête appuyée sur l’oreiller et les yeux fermés. Les jeunes et belles lignes de son visage offraient l’aspect de la mort presque autant que celles de la forme étendue près de lui, et elles étaient presque aussi rigides; mais son immobilité était celle de l’angoisse épuisée, l’immobilité de Catherine était celle de la paix parfaite. Le front uni, les paupières closes, les lèvres sur lesquelles semblait voltiger un sourire: un ange céleste n’aurait pu être plus beau qu’elle. Je subissais l’influence du calme infini où elle reposait; jamais je n’avais été dans une disposition d’esprit plus sainte qu’en ce moment, devant cette paisible image de la paix divine. Je répétais instinctivement les mots qu’elle avait prononcés quelques heures plus tôt: «Incomparablement au delà et au-dessus de nous tous! Qu’elle soit encore sur la terre ou déjà au ciel, son âme habite maintenant en Dieu!»

Je ne sais si c’est une disposition qui m’est particulière, mais il est rare que je ne me sente pas presque heureuse quand je veille dans une chambre mortuaire, pourvu qu’il n’y ait pour partager ce devoir avec moi personne qui gémisse ou se désespère. J’y vois un repos que ni la terre ni l’enfer ne peuvent troubler; j’y trouve l’assurance d’un au-delà sans bornes et sans ombres – l’Éternité enfin conquise – où la vie est illimitée dans sa durée, l’amour dans son désintéressement, la joie dans sa plénitude. Je remarquai à cette occasion combien il y a d’égoïsme même dans un amour comme celui de Mr Linton, qui s’affligeait si vivement de la délivrance bénie de Catherine. Sans doute pouvait-on douter, après l’existence agitée et impatiente qu’elle avait menée, qu’elle eût mérité de trouver enfin le havre de la paix. On en pouvait douter dans les moments de froide réflexion, mais non pas alors, en présence de son cadavre, qui proclamait sa propre tranquillité et semblait ainsi donner l’assurance que l’âme qui avait habité là jouissait de la même quiétude.

– Croyez-vous que des personnes comme elle soient heureuses dans l’autre monde, monsieur? Je donnerais beaucoup pour le savoir.

J’éludai la réponse à la question de Mrs Dean, qui me parut quelque peu hétérodoxe. Elle reprit:

Si nous repassons l’existence de Catherine Linton, je crains que nous ne soyons pas fondés à le croire; mais nous la laisserons avec son Créateur.