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– Ce n’est pas… ce n’est pas mon cousin, Hélène, continua-t-elle avec un chagrin accru par la réflexion, et en se jetant dans mes bras pour y chercher refuge contre cette idée.

J’étais furieuse contre elle et contre la servante à cause de leurs mutuelles révélations. Je ne doutais pas que la nouvelle de l’arrivée prochaine de Linton, annoncée par Cathy, ne fût communiquée à Heathcliff; et j’étais sûre également que la première pensée de la jeune fille, dès le retour de son père, serait de chercher à se faire expliquer l’assertion de la servante au sujet de son grossier parent. Hareton, remis de l’indignation qu’il avait ressentie à être pris pour un domestique, parut ému de son désespoir. Il alla chercher le poney, l’amena près de la porte, puis, pour amadouer Cathy, prit dans le chenil un joli petit terrier à jambes torses et, le lui mettant dans les mains, lui dit de ne plus pleurer, car il n’avait pas voulu lui faire de peine. Elle s’arrêta dans ses lamentations, examina le jeune homme d’un regard de crainte et d’horreur, puis recommença de plus belle.

J’eus peine à m’empêcher de sourire à la vue de cette antipathie pour le pauvre garçon, qui était bien et solidement bâti, de traits agréables, vigoureux et plein de santé, mais affublé de vêtements appropriés à ses occupations journalières, et celles-ci consistaient à travailler à la ferme et à flâner dans la lande à la recherche de lapins et de gibier de toute sorte. Pourtant, il me semblait que sa physionomie reflétait un esprit doué de qualités meilleures que n’en avait jamais possédé son père. De bonnes graines, dont la croissance négligée était étouffée, certes, par une abondance de mauvaises herbes bien plus vigoureuses; néanmoins, il y avait évidemment là un sol riche, capable de produire de luxuriantes moissons dans des circonstances différentes et favorables. Je crois que Mr Heathcliff ne lui avait pas infligé de souffrances physiques, grâce à son intrépidité naturelle, qui n’offrait guère de prise à ce genre d’oppression; il n’avait rien de cette susceptibilité timide qui, au jugement de Heathcliff, aurait donné du charme aux mauvais traitements. Celui-ci semblait avoir exercé sa malveillance – en faisant de lui une brute. Jamais on ne lui avait appris à lire ni à écrire; jamais on ne l’avait réprimandé pour une mauvaise habitude, pourvu que son gardien n’en fût pas gêné; jamais on ne l’avait fait avancer d’un pas vers la vertu, ni défendu du vice par un seul précepte. D’après ce que j’ai entendu dire, Joseph avait beaucoup contribué à le gâter par une indulgence mal comprise qui l’incitait à flatter et à cajoler ce garçon, parce qu’il était le chef de la vieille famille. De même qu’il accusait Catherine Earnshaw et Heathcliff, dans leur enfance, de mettre à bout la patience de son maître et de le pousser, par ce qu’il appelait leurs «offreuses manières», à chercher une consolation dans la boisson, de même à présent il rejetait tout le poids des fautes de Hareton sur les épaules de celui qui avait usurpé son bien. Hareton pouvait jurer, avoir la conduite la plus répréhensible, Joseph se gardait de le réprimander. Il semblait qu’il eût plaisir à le voir s’enfoncer dans le mal. Il reconnaissait que Hareton était irrémédiablement corrompu, que son âme était vouée à la perdition; mais il se disait qu’après tout c’était Heathcliff qui en était responsable. C’est à lui que serait demandé compte de la ruine de cette âme; et il y avait une immense consolation dans cette pensée. Joseph avait infusé à Hareton l’orgueil de son nom et de ses ancêtres. Il aurait, s’il eût osé, soufflé la haine entre lui et le possesseur actuel des Hauts; mais la crainte qu’il avait de ce dernier allait jusqu’à la superstition et il ne manifestait ses sentiments envers lui qu’en marmottant des insinuations et en le dénonçant en son for intérieur à la vengeance divine. Je ne prétends pas être parfaitement au courant de la manière dont on vivait à cette époque-là à Hurle-Vent; je n’en parle que par ouï-dire, car je n’ai pas vu grand’chose. Les villageois affirmaient que Mr Heathcliff était «serré» et se montrait dur et cruel envers ses fermiers. Mais la maison, à l’intérieur, avait repris sous une direction féminine l’aspect confortable qu’elle avait autrefois, et les scènes de désordres du temps de Hindley ne s’y reproduisaient plus. Le maître était d’humeur trop sombre pour chercher des relations, quelles qu’elles fussent, bonnes ou mauvaises; et il n’a pas changé.

Mais tout cela ne fait pas avancer mon histoire. Miss Cathy repoussa l’offre de paix du terrier et réclama ses chiens à elle, Charlie et Phénix. Ils arrivèrent en boitant, la tête basse, et nous nous mîmes en route pour la maison, de fort méchante humeur l’une et l’autre. Je n’arrivais pas à faire dire à ma jeune maîtresse comment elle avait passé sa journée. Je sus seulement que le but de son pèlerinage avait été, comme je le supposais, les rochers de Penistone. Elle était parvenue sans aventure à la barrière de la ferme, quand Hareton vint à sortir avec quelques compagnons de la race canine, qui attaquèrent la suite de Cathy. Il y eut entre les uns et les autres une chaude bataille avant que leurs maîtres pussent les séparer: cela servit de présentation. Catherine dit à Hareton qui elle était et où elle allait; elle le pria de lui indiquer son chemin; finalement elle l’ensorcela si bien qu’il l’accompagna. Il lui révéla les mystères de la grotte des Fées et de vingt autres endroits curieux. Mais, comme j’étais en disgrâce, je ne fus pas favorisée d’une description de toutes les choses qu’elle avait vues. Je pus deviner, cependant, qu’elle avait regardé son guide d’un œil favorable jusqu’au moment où elle avait blessé ses sentiments en s’adressant à lui comme à un domestique, et où la femme de charge avait blessé les siens en appelant Hareton son cousin. Le langage qu’il avait alors tenu lui était resté sur le cœur. Elle qui était toujours «mon amour», «ma chérie», «ma petite reine», «mon ange», pour tout le monde à la Grange, se voir si outrageusement insultée par un étranger! Elle n’y comprenait rien; et j’eus beaucoup de mal à obtenir d’elle la promesse qu’elle n’exposerait pas ses griefs à son père. Je lui expliquai qu’il était très prévenu contre tous les habitants des Hauts et qu’il serait extrêmement peiné d’apprendre qu’elle était allée là. Mais j’insistai surtout sur ce fait que, si elle révélait mon infraction aux ordres que j’avais reçus, il serait peut-être si irrité qu’il faudrait que je m’en allasse. C’était une perspective insupportable pour Cathy: elle me donna sa parole, et la tint, par égard pour moi. Après tout, c’était une bonne petite fille.

CHAPITRE XIX

Une lettre bordée de noir annonça le retour de mon maître. Isabelle était morte. Il m’écrivait pour me dire de me procurer des effets de deuil pour sa fille et de préparer une chambre ainsi que tout ce qui serait nécessaire pour son jeune neveu. Catherine sauta de joie à l’idée de revoir son père et s’abandonna aux plus confiantes prévisions sur les innombrables qualités de son «vrai cousin». Le soir de leur arrivée tant attendue vint enfin. Dès la première heure, elle s’était occupée de mettre en ordre ses petites affaires; maintenant, vêtue de sa nouvelle robe noire – pauvre enfant! la mort de sa tante ne lui causait pas de chagrin bien précis – elle avait fini, à force d’insistance, par m’obliger d’aller avec elle à leur rencontre à l’entrée de la propriété.

– Linton a juste six mois de moins que moi, bavardait-elle, tandis que nous traversions lentement les ondulations de terrain couvertes de mousse, à l’ombre des arbres. Comme je serai contente de l’avoir pour compagnon de jeu! Tante Isabelle avait envoyé à papa une belle boucle de ses cheveux; ils étaient plus clairs que les miens… plus blonds, et tout aussi fins. Je l’ai soigneusement gardée dans une petite boîte de verre; et j’ai souvent pensé au plaisir que j’aurais à voir celui sur la tête de qui elle avait été prise. Oh! je suis heureuse… et papa, mon cher papa! Allons! Hélène, courons! Allons! courons!