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– Non! Non! ce n’est pas moi! sanglota Catherine au désespoir. Je n’ai jamais pensé à l’aimer avant que…

– À l’aimer! m’écriai-je en mettant dans ce mot tout le mépris dont j’étais capable. À l’aimer! A-t-on jamais entendu chose pareille? C’est comme si je parlais d’aimer le meunier qui vient une fois l’an chercher notre grain. Bel amour, en vérité! En deux fois, vous avez vu Linton à peine quatre heures en tout dans votre vie! Bon. Voici ces niaiseries puériles. Je vais les porter dans la bibliothèque et nous verrons ce que votre père dira de cet amour.

Elle bondit pour attraper ses précieuses épîtres, mais je les tenais au-dessus de ma tête. Alors elle se répandit en supplications frénétiques pour que je les brûlasse, que je fisse n’importe quoi plutôt que de les montrer. Comme, en réalité, j’étais tout aussi disposée à rire qu’à gronder, car je considérais tout cela comme un enfantillage de petite fille, je finis par me laisser fléchir jusqu’à un certain point et je lui demandai:

– Si je consens à les brûler, me promettez-vous loyalement de ne plus envoyer ni recevoir de lettres, ni de livres (car je m’aperçois que vous lui avez envoyé des livres), ni de boucles de cheveux, ni de bagues, ni de jouets?

– Nous ne nous envoyons pas de jouets! s’écria Catherine, dont l’orgueil surmonta la confusion.

– Ni rien du tout, alors, mademoiselle. Si vous ne me promettez pas, je vais trouver votre père.

– Je promets, Hélène! dit-elle en s’accrochant à ma robe. Oh! jetez-les au feu, vite, vite!

Mais comme j’écartais les charbons avec le tisonnier pour faire de la place, elle s’aperçut que le sacrifice était au-dessus de ses forces. Elle me supplia instamment d’en épargner une ou deux.

– Une ou deux, Hélène, pour garder en souvenir de Linton!

Je dénouai le mouchoir et commençai à laisser tomber les lettres par un des angles; la flamme s’éleva en tourbillons dans la cheminée.

– J’en aurai une, cruelle créature! cria-t-elle.

Elle plongea la main dans le feu et en retira, aux dépens de ses doigts, quelques fragments à demi-calcinés.

– Très bien… et j’en aurai aussi quelques-unes à montrer à papa! répliquai-je en repoussant le reste dans le paquet, et je me dirigeai vers la porte.

Elle jeta les morceaux noircis dans les flammes et me fit signe d’achever le sacrifice, ce qui eut lieu. Je secouai ensuite les cendres et les enfouis sous une pelletée de charbons. Quant à elle, sans dire un mot, et avec le sentiment d’avoir été profondément offensée, elle se retira dans sa chambre. Je descendis pour annoncer à mon maître que le malaise de ma jeune maîtresse était presque dissipé, mais que je jugeais qu’il valait mieux qu’elle restât allongée un moment. Elle ne voulut pas dîner, mais elle reparut pour le thé, pâle, les yeux rouges, et parfaitement résignée en apparence. Le lendemain matin, je répondis à la lettre par un bout de papier où j’avais écrit: «Master Heathcliff est prié de ne plus adresser de billets à Miss Linton, car elle ne les recevra pas». Et désormais le petit garçon arriva les poches vides.

CHAPITRE XXII

À l’été qui tirait à sa fin allait succéder un automne précoce. La Saint-Michel était passée, mais la moisson était tardive cette année-là et dans quelques-uns de nos champs la récolte n’était pas encore faite. Mr Linton et sa fille allaient fréquemment se promener au milieu des moissonneurs. Le jour qu’on enleva les dernières gerbes, ils restèrent jusqu’à la tombée de la nuit et le temps, vers le soir, étant devenu frais et humide, mon maître prit un mauvais rhume qui se fixa obstinément sur ses poumons et le tint enfermé tout l’hiver, presque sans interruption.

La pauvre Cathy, encore bouleversée de son petit roman, était devenue beaucoup plus triste et plus sombre depuis qu’elle avait dû y renoncer. Son père insista pour qu’elle lût moins et prît plus d’exercice. Elle était privée de sa compagnie; je crus de mon devoir de le suppléer, autant que possible, auprès d’elle. Mais mon intervention se montra inefficace, car c’est à peine si je pouvais distraire de mes nombreuses occupations journalières deux ou trois heures pour l’accompagner; et ma société était évidemment moins appréciée que celle de son père.

Une après-midi d’octobre ou du début de novembre, par un temps frais et menaçant, où les feuilles mortes humides bruissaient sur l’herbe et dans les sentiers, où le ciel froid et bleu était à moitié caché par les nuages – sombres bandes noires qui montaient rapidement de l’ouest et présageaient une pluie abondante – je priai ma jeune maîtresse de renoncer à sa promenade, parce que j’étais certaine qu’il y aurait des averses. Elle refusa; à contre-cœur, je mis mon manteau et pris mon parapluie pour aller avec elle jusqu’au bout du parc. C’était la promenade qu’elle préférait en général quand elle se sentait abattue, ce qui lui arrivait invariablement quand Mr Edgar allait plus mal qu’à l’ordinaire; il ne l’avouait pas, mais nous le devinions, elle et moi, à son silence et à son air mélancolique. Elle marchait tristement: plus de courses ni de bonds maintenant, bien que le vent froid eût pu l’y inciter. Souvent, du coin de l’œil, je la voyais lever la main et essuyer quelque chose sur sa joue. Je cherchais autour de moi un moyen de donner un autre cours à ses idées. Sur un des côtés du chemin s’élevait un talus haut et raide, où des noisetiers et des chênes rabougris, leurs racines à moitié à nu, se cramponnaient péniblement; le sol était trop meuble pour les chênes et la force du vent en avait couché quelques-uns presque horizontalement. En été, Miss Catherine aimait beaucoup à grimper sur ces troncs d’arbres, à s’asseoir sur les branches et à se balancer à vingt pieds au-dessus du sol. Tout en prenant plaisir à son agilité et à son humeur joyeuse et enfantine, je jugeais bon néanmoins de la gronder chaque fois que je la surprenais ainsi en l’air, mais de telle façon qu’elle savait bien n’être pas forcée de descendre. Depuis le dîner jusqu’au thé elle restait étendue dans son berceau balancé par la brise, ne faisant rien que se chanter à elle-même de vieilles chansons – celles que je lui avais apprises quand elle était tout enfant – ou regarder les oiseaux, ses voisins, nourrir leurs petits et les entraîner à voler, ou encore se pelotonner, les paupières closes, moitié pensant, moitié rêvant, plus heureuse que les mots ne sauraient l’exprimer.

– Regardez! Miss! m’écriai-je en montrant un renfoncement sous les racines d’un des arbres tordus. L’hiver n’est pas encore arrivé ici. Il y a là-haut une petite fleur, le dernier bouton de cette multitude de campanules qui en juillet couvraient d’un brouillard lilas ces degrés gazonnés. Voulez-vous grimper et la cueillir pour la montrer à papa?

Cathy regarda longtemps la fleur solitaire tremblant dans son abri de terre et finit par répondre:

– Non, je n’y toucherai pas; mais elle a l’air mélancolique, n’est-ce pas, Hélène?

– Oui, à peu près aussi engourdie et inerte que vous. Vos joues sont décolorées; donnez-moi la main et courons. Vous êtes si peu en train que je suis sûre que j’irai aussi vite que vous.

– Non, répéta-t-elle.

Et elle continua de marcher lentement, s’arrêtant pour rêver sur un paquet de mousse, une touffe d’herbe fanée, ou un champignon qui jetait sa tache d’un orange clair au milieu des feuillages sombres. De temps à autre, elle détournait le visage et y portait la main.