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– Et si elle avait été réduite en poussière, ou pis encore, de quoi auriez-vous donc rêvé?

– Que je me réduisais en poussière avec elle et que j’étais encore plus heureux! Supposez-vous que je redoute un changement de cette nature? Je m’attendais, en soulevant le couvercle, à une pareille transformation; mais je préfère qu’elle ne commence pas avant que je la partage. En outre, si je n’avais pas reçu l’impression nette de ses traits reposés, je n’aurais guère pu me débarrasser de cette étrange sensation. Elle est née d’une façon singulière. Vous savez que j’ai été comme fou après sa mort; éternellement, de l’aube jusqu’à l’aube, je la suppliais de m’envoyer son fantôme! Je crois fermement aux revenants: j’ai la conviction qu’ils peuvent exister, et qu’ils existent, au milieu de nous. Le jour de son enterrement, il y eut une chute de neige. Le soir, j’allai au cimetière. Le vent était glacial comme en hiver; tout, autour de moi, était solitude. Je ne craignais pas que son imbécile de mari vînt errer de ce côté à pareille heure; et nul autre n’avait affaire là. Étant seul, et sachant que deux mètres de terre meuble étaient l’unique obstacle qui nous séparât, je me dis: «Il faut que je la tienne une fois encore dans mes bras! Si elle est froide, je penserai que c’est le vent du nord qui me glace, moi; si elle est immobile, c’est qu’elle dormira.» Je pris une bêche dans ce hangar aux outils et me mis à creuser de toutes mes forces. La bêche racla le cercueil; je continuai à travailler avec mes mains. Le bois commença de craquer près des vis. J’étais sur le point d’arriver à mon but, quand il me sembla entendre au-dessus de moi, près de l’angle de la tombe, le soupir de quelqu’un qui se penchait. «Si je puis seulement soulever le couvercle», murmurai-je, «je souhaite qu’on nous recouvre de terre tous deux!» Et je m’appliquai à ma tâche avec plus de fureur encore. Il y eut un autre soupir, tout près de mon oreille. Il me semblait sentir un souffle chaud qui déplaçait l’air chargé de grésil. Je savais qu’il n’y avait là aucun être vivant, en chair et en os; mais, aussi certainement que l’on perçoit dans l’obscurité l’approche d’un corps matériel, bien qu’on ne puisse le discerner, je sentis que Catherine était là: non pas au-dessous de moi, mais sur la terre. Une soudaine sensation de soulagement jaillit de mon cœur et pénétra tous mes membres. Je cessai mon travail désespéré; j’étais consolé tout d’un coup, indiciblement consolé. Elle était présente à côté de moi; elle resta pendant que je remplissais la fosse et m’accompagna jusqu’à la maison. Vous pouvez rire si vous voulez, mais j’étais sûr que, là, je la verrais. J’étais sûr qu’elle était avec moi et je ne pouvais m’empêcher de lui parler. Ayant atteint les Hauts, je courus vivement à la porte. Elle était fermée; et, il m’en souvient, ce maudit Earnshaw et ma femme voulurent m’empêcher d’entrer. Je me rappelle m’être arrêté pour couper d’un coup de pied la respiration à Earnshaw, puis avoir couru en haut dans ma chambre et ensuite dans celle de Catherine. Je regardai impatiemment autour de moi… je la sentais près de moi… je pouvais presque la voir, et pourtant je ne la voyais pas. J’ai dû alors avoir une sueur de sang, tant était vive l’angoisse de mon désir, tant était ardente la ferveur de mes supplications pour l’apercevoir un instant seulement! Je ne l’ai pas aperçue. Elle s’est montrée pour moi ce qu’elle avait été souvent pendant sa vie, un démon! Et depuis lors, tantôt plus, tantôt moins, je n’ai cessé d’être le jouet de cette torture intolérable, infernale! qui tient mes nerfs tellement tendus que, s’ils n’eussent pas ressemblé à de la corde à boyau, il y a longtemps qu’ils seraient aussi flasques que ceux de Linton. Quand j’étais assis dans la salle avec Hareton, il me semblait que, si je sortais, je la rencontrerais; quand je me promenais dans la lande, que je la rencontrerais si je rentrais. Quand je quittais la maison, je me hâtais de revenir: elle devait être quelque part à Hurle-Vent, j’en étais certain! Quand je voulais dormir dans sa chambre, j’en étais chassé. Je ne pouvais pas rester couché; dès que je fermais les yeux, ou bien elle était dehors à la fenêtre, ou bien elle ouvrait les panneaux du lit, ou bien elle entrait dans la chambre, ou bien même elle appuyait sa tête chérie sur le même oreiller que quand elle était enfant! Et je me sentais forcé d’ouvrir les yeux pour regarder. Cent fois dans la nuit je les ouvrais et je les refermais ainsi… pour être toujours déçu! C’était une torture atroce. J’ai souvent gémi tout haut, au point que ce vieux coquin de Joseph a certainement cru que ma conscience était possédée du démon. Maintenant, depuis que je l’ai vue, je suis calmé… un peu calmé. C’est une étrange façon de tuer: non pas pouce par pouce, mais par fraction d’épaisseur de cheveu, en se jouant de moi, pendant dix-huit ans, avec le fantôme d’une espérance!

Mr Heathcliff s’arrêta et s’essuya le front, où ses cheveux étaient collés, mouillés de sueur. Ses yeux étaient fixés sur les cendres rouges du feu, ses sourcils n’étaient pas contractés, mais relevés près des tempes, ce qui atténuait la dureté de son visage, mais lui donnait un aspect particulier de trouble, l’air d’avoir l’esprit péniblement tendu vers un sujet absorbant. Il ne s’était qu’à moitié adressé à moi, et je gardai le silence. Je n’aimais pas à l’entendre parler. Après un court répit, il reprit sa méditation sur le portrait, le décrocha et l’appuya contre le sofa pour mieux le contempler. Pendant qu’il était ainsi occupé, Catherine entra, annonçant qu’elle serait prête dès que son poney serait sellé.

– Envoyez cela là-bas demain, me dit Heathcliff.

Puis, se tournant vers elle, il ajouta:

– Vous vous passerez de votre poney. Il fait une belle soirée et vous n’aurez pas besoin de poney à Hurle-Vent; pour les courses que vous aurez à y faire, vos jambes suffiront. Venez!

– Au revoir, Hélène! murmura ma chère petite maîtresse.

Comme elle m’embrassait, je sentis que ses lèvres étaient froides comme la glace.

– Venez me voir, Hélène; n’oubliez pas.

– Ayez soin de n’en rien faire, Mrs Dean, dit son nouveau père. Quand je désirerai vous parler, je viendrai ici. Je n’ai pas besoin que vous veniez fureter chez moi.

Il lui fit signe de passer devant. Jetant derrière elle un regard qui me déchira le cœur, elle obéit. Je les observai par la fenêtre pendant qu’ils traversaient le jardin. Heathcliff mit le bras de Catherine sous le sien, bien qu’elle lui eût opposé d’abord une résistance manifeste; et il l’entraîna à grands pas dans l’allée, où bientôt les arbres les cachèrent.

CHAPITRE XXX

J’ai fait une visite à Hurle-Vent, mais je ne l’ai pas revue depuis son départ d’ici. Joseph n’a pas lâché la porte pendant que je parlementais et n’a pas voulu me laisser passer. Il m’a dit que Mrs Linton était occupée et que le maître n’était pas là. Zillah m’a donné quelques nouvelles de l’existence qu’ils mènent, sans quoi je saurais à peine s’ils sont morts ou vivants. Elle trouve Catherine hautaine et ne l’aime pas, cela se devine à la façon dont elle en parle. Ma jeune dame lui a demandé quelques services, lors de son arrivée, mais Mr Heathcliff lui a prescrit de s’occuper de ses affaires et de laisser sa belle-fille se débrouiller toute seule. Zillah s’est volontiers conformée à ces instructions, car c’est une femme égoïste et à l’esprit étroit. Catherine a manifesté une contrariété enfantine d’être ainsi négligée; en retour, elle n’a pas caché son dédain pour Zillah et l’a rangée de la sorte dans le camp de ses ennemis, aussi infailliblement que si elle lui avait causé un grand tort. J’ai eu une longue conversation avec Zillah, il y a environ six semaines, un peu avant votre arrivée, un jour que nous nous étions rencontrées dans la lande. Voici ce qu’elle m’a raconté: