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La première chose qu’a faite Mrs Linton en arrivant à Hurle-Vent, a été de courir en haut, sans même nous souhaiter le bonsoir à Joseph et à moi; elle s’est enfermée dans la chambre de Linton et y est restée jusqu’au matin. Puis, pendant que le maître et Earnshaw étaient à déjeuner, elle est entrée dans la salle et a demandé, toute tremblante, si l’on ne pourrait pas envoyer chercher le docteur; son cousin était très malade.

– Nous connaissons cela, a répondu Heathcliff; mais sa vie ne vaut pas un liard et je ne dépenserai pas un liard pour lui.

– Mais je ne sais que faire. Si personne ne veut m’aider, il va mourir!

– Sortez de cette pièce, a crié le maître, et que je n’entende plus jamais un mot à son sujet! Personne ici ne s’inquiète de ce qui peut lui arriver. Si vous vous en souciez, faites la garde-malade; sinon, enfermez-le et laissez-le tranquille.

Alors elle s’est mise à me tarabuster et je lui ai répondu que j’avais eu assez de tracas avec cet être insupportable. À chacune sa tâche: la sienne était de soigner Linton, et Mr Heathcliff m’avait prescrit de la lui laisser.

Comment se sont-ils arrangés ensemble? c’est ce que je ne saurais dire. J’imagine qu’il s’est beaucoup tracassé, qu’il a gémi nuit et jour, et qu’elle a eu bien peu de repos: cela se voyait à sa pâleur et à ses yeux lourds. Elle venait parfois dans la cuisine, l’air tout égaré, et elle paraissait avoir envie de demander assistance. Mais je n’allais pas désobéir au maître; je n’ose jamais lui désobéir, Mrs Dean. Bien qu’à mon avis on eût tort de ne pas envoyer chercher Kenneth, ce n’était pas mon affaire de donner des conseils ou de faire entendre des plaintes, et j’ai toujours refusé de m’en mêler. Une ou deux fois, après que nous étions allés nous coucher, il m’est arrivé de rouvrir ma porte et de trouver Mrs Linton en pleurs, assise en haut de l’escalier: je suis vite rentrée chez moi, craignant de me laisser entraîner à intervenir. J’avais pitié d’elle, à ces moments-là, bien sûr; pourtant, je ne tenais pas à perdre ma place, vous comprenez.

Enfin, une nuit, elle est entrée hardiment dans ma chambre et m’a épouvantée en disant:

– Avertissez Mr Heathcliff que son fils est mourant… j’en suis sûre, cette fois-ci. Levez-vous à l’instant, et allez l’avertir.

Puis elle disparut. Je restai un quart d’heure à écouter en tremblant. Rien ne bougeait. La maison était calme.

«Elle s’est trompée», pensai-je. «Il s’en est tiré. Ce n’est pas la peine de les déranger.» Et je m’assoupis. Mais mon sommeil fut une seconde fois troublé par un violent coup de sonnette… la seule sonnette que nous ayons, qui a été installée exprès pour Linton. Le maître m’appela pour me prescrire d’aller voir ce qui se passait et leur signifier qu’il ne voulait pas que ce bruit se renouvelât.

Je lui fis la commission de Catherine. Il poussa un juron, sortit au bout de quelques minutes avec une chandelle allumée et se dirigea vers leur chambre. Je le suivis. Mrs Heathcliff était assise à côté du lit, les mains croisées sur ses genoux. Son beau-père s’avança, dirigea la lumière sur la figure de Linton, le regarda et le tâta; puis il se tourna vers elle.

– Eh bien! Catherine, dit-il, comment vous sentez-vous?

Elle resta muette.

– Comment vous sentez-vous, Catherine? répéta-t-il.

– Il ne souffre plus, et je suis libre, répondit-elle. Je devrais me sentir bien… mais, continua-t-elle avec une amertume qu’elle ne pouvait cacher, vous m’avez laissée si longtemps lutter seule contre la mort, que je ne sens plus et ne vois plus que la mort! Je me sens comme morte!

Et elle en avait l’air aussi! Je lui donnai un peu de vin. Hareton et Joseph entrèrent; ils avaient été réveillés par le coup de sonnette et le bruit des pas, et ils nous avaient entendus du dehors. Joseph n’était pas fâché, je crois, de la disparition du jeune homme; Hareton paraissait un peu troublé, quoiqu’il fût plus occupé à regarder Catherine avec de grands yeux qu’à penser à Linton. Mais le maître l’invita à retourner se coucher: on n’avait pas besoin de lui. Il fit ensuite porter le corps dans sa chambre par Joseph, me dit de rentrer dans la mienne, et Mrs Heathcliff resta seule.

Le matin, il m’envoya lui faire savoir qu’elle devait descendre pour déjeuner. Elle s’était déshabillée, semblait vouloir dormir, et répondit qu’elle était souffrante, ce qui ne me surprit guère. J’en informai Mr Heathcliff, qui répliqua:

– Bon, laissez-là tranquille jusqu’après les obsèques; montez de temps à autre voir si elle a besoin de quelque chose et, dès qu’elle paraîtra aller mieux, dites-le moi.

Catherine resta en haut pendant une quinzaine, d’après Zillah, qui allait la voir deux fois par jour et qui se serait volontiers montrée un peu plus affectueuse, si ses tentatives d’amabilité n’eussent aussitôt été repoussées avec hauteur.

Heathcliff monta une fois pour lui montrer le testament de Linton. Celui-ci avait légué à son père tout ce qu’il avait et tout ce qu’elle-même avait eu de biens meubles: le pauvre malheureux avait été déterminé, par la menace ou la cajolerie, à signer cet acte pendant l’absence d’une semaine qu’avait faite Catherine lors de la mort de son père. Quant aux terres, comme il était mineur, il ne pouvait pas en disposer. Quoi qu’il en soit, Mr Heathcliff les avait réclamées et les gardait en vertu des droits de sa femme et des siens propres aussi: je suppose que c’est légal. En tout cas, Catherine, sans argent et sans amis, ne peut lui en disputer la possession.

Personne que moi, dit Zillah, n’a jamais approché de sa porte, sauf en cette seule occasion; et personne ne s’est jamais inquiété d’elle. La première fois qu’elle est descendue dans la salle, c’était un dimanche après-midi. Elle s’était écriée, quand je lui avais apporté son dîner, qu’elle ne pouvait plus endurer le froid. Je lui dis que le maître allait à Thrushcross Grange, et que ni Earnshaw ni moi ne l’empêcherions de descendre. Aussi, dès qu’elle eut entendu s’éloigner le trot du cheval de Heathcliff, fit-elle son apparition, vêtue de noir et coiffée avec une simplicité de Quaker, ses boucles blondes plaquées derrière les oreilles; elle ne pouvait pas les faire bouffer.

Joseph et moi, nous allons en général à la chapelle le dimanche. (L’église, vous le savez, n’a pas de ministre en ce moment, expliqua Mrs Dean; et on donne le nom de chapelle au temple méthodiste, ou baptiste – je ne sais pas lequel des deux c’est – de Gimmerton). Joseph était parti, mais j’avais jugé bon de rester à la maison. Il vaut mieux que les jeunes gens soient sous la surveillance d’une personne plus âgée, et Hareton, avec toute sa timidité, n’est pas un modèle de bonnes manières. Je l’avertis que sa cousine allait très probablement descendre avec nous et qu’elle avait toujours été habituée à voir respecter le jour du Seigneur; je lui conseillai donc de laisser ses fusils et toutes ses bricoles pendant qu’elle serait là. À cette annonce, il rougit et jeta les yeux sur ses mains et sur ses vêtements. L’huile et la poudre de chasse disparurent en une minute. Je vis qu’il avait l’intention de lui tenir compagnie et je devinai, à ses façons, qu’il désirait être présentable. Aussi, riant comme je n’oserais quand le maître est là, je lui offris de l’aider, s’il voulait, et plaisantai sur sa confusion. Il devint sombre et se mit à jurer.