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Zoup faisait mine de s’y intéresser, repérait tous les bonbons mais se contentait de les rendre immangeables d’un coup de langue. Puis il retournait dans son panier sur le lit d’Astrid.

— Il est plus raisonnable que toi, se moquait Manuel, il a parfaitement compris qu’il n’avait plus les muscles d’autrefois, ni même le désir de battre des records. Il est comme tous les vieux sportifs, il a pris sa retraite. Comme il n’a que sept ans, ça lui fera cinq ou six ans pépère en compagnie de maman.

— C’est faux, il faut insister, il ne faut pas qu’il s’encroûte et devienne gâteux. Ça vous plairait qu’il bave partout et fasse ses besoins sans plus jamais demander à sortir ?

— Cinq ans à partager avec toi le lit de maman ! s’était moqué Manuel. À moins d’une crise cardiaque fatale.

Julia découvrit un jour que restant seul avec Zoup, son frère continuait d’organiser le jeu au-dehors, comme avant. Par hasard elle trouva un Smarties non loin du grillage. Le chien l’avait négligé, peut-être à bout de fatigue avec sa patte en moins, fatigue et indifférence, et s’il mettait quelque bonne volonté à faire plaisir à Julien, il préférait sa vie douillette. Elle n’osa en faire reproche à son jumeau, essaya de ne plus le laisser seul avec l’animal au coeur trop fragile.

Depuis l’amputation du chien, le lit d’Astrid était plus que complet avec elle sur le côté gauche, Zoup et, le plus souvent possible, Julien à sa droite. Manuel ne supportait pas que son cadet ennuie sa mère presque chaque nuit.

— C’est malsain, avait-il fini par dire un jour, passe encore pour ce pauvre Zoup mais je crains que ton sevrage ne soit pas encore terminé et c’est anormal.

Astrid avait acheté un confortable et luxueux panier pour le chien, à cause des poils, sur la demande insistante de Monique. La nuit, en silence, Julien le déposait au sol pour occuper toute la place disponible la plus proche de sa mère mais Zoup, malgré son handicap, remontait sur le lit et venait se fourrer entre lui et leur mère.

Et puis, un jour, Zoup disparut alors qu’il n’y avait personne à la maison. Monique, son travail terminé, était partie vers les trois heures, Astrid était chez son coiffeur, Manuel en stage de voile — il était moniteur —, Julien avait rendez-vous avec une copine et Julia se trouvait au cinéma d’art et d’essai avec des amies aussi cinéphiles qu’elle.

Ce fut Astrid, revenue la première, qui se rendit compte de l’absence du chien et commença de fouiller la maison. Julia, qui l’avait rejointe, découvrit que la fenêtre au-dessus de l’évier était entrouverte.

— Je la laisse pour aérer mais je pensais que Zoup ne pourrait jamais sauter sur l’évier, se défendit Monique le lendemain.

Il y avait aussi une chaise à proximité, mais avec une seule patte arrière comment le chien aurait-il pu sauter plus d’un mètre ? Monique affirmait avoir soigneusement tiré la porte derrière elle et, connaissant ses qualités d’ordre, nul n’avait de raison de douter de ses affirmations.

Plus tard, Manuel découvrit qu’on avait découpé le grillage dans le coin droit du jardin. De l’extérieur, on avait rabattu le rectangle cisaillé vers l’intérieur. Zoup avait le poil ras et dru et s’il s’était enfui par là, n’avait laissé aucune trace de poils. Manuel referma le passage, le fixa avec du fil de fer.

— Peut-être devrions-nous aller fouiller dans les ruines des ateliers, proposa-t-il à sa mère.

Astrid frissonna. Julia se souvenait que malgré la chaleur de ce début d’été sa mère gardait les bras étroitement serrés autour de son corps.

— Non il ne faut pas, c’est trop dangereux.

Pendant plusieurs jours ils appelèrent Zoup régulièrement mais le petit chien ne répondit jamais à son nom. Durant un temps, Astrid installa tout de même le panier sur son lit pendant la nuit, et lorsqu’il venait s’allonger auprès d’elle Julien ne cherchait pas à le déposer sur le sol.

Ce fut cet été-là que, recherchant dans le grenier de vieux albums de Mickey, Julia crut comprendre pourquoi sa mère avait une telle horreur des ruines de l’ancienne entreprise Mounitier. Mais elle en garda le secret pour elle.

Chapitre 4

Il fallait un jeune garçon réfléchi pour lier cette découverte à la disparition de Manuel. Un garçon de huit ans, l’air triste, chétif, aux grosses lunettes de myope qui nuisaient au pétillant de ses yeux. Il avait découvert la miniature dans un terrain vague, juste un recoin broussailleux au propriétaire inconnu, sous des ronces rébarbatives. Et au lieu de la garder pour lui, parce qu’il lisait le journal, se faisant moquer par des copains avec lesquels il n’aimait pas jouer, il expliqua à sa mère ce que représentait sa trouvaille. Elle ne lisait pas le journal, son fils lui en résumait l’essentiel, mais savait qu’un jeune homme handicapé mental, descendu d’un train à la gare proche, avait disparu par ici. Elle accompagna son fils, Serge, à la gendarmerie, mais le laissa expliquer en quoi sa découverte pouvait concerner l’enquête en cours…

— Je ne peux pas aller la reconnaître, avoua Astrid. Je les ai vues, celles de sa chambre, celles de son sac, mais je ne peux pas dire si celle-là lui appartient. C’est une partie de lui, son comportement qu’on évoquera chez les gendarmes et je ne pourrai le supporter.

— On ira ensemble, Julia et moi, proposa Julien.

C’était un des modèles les plus ordinaires, grise, banale et dans le bureau de l’adjudant Julien la retourna et montra l’esquisse d’un M.

— Il essayait de les marquer toutes mais ne se souvenait jamais comment on écrivait le M de son prénom. Il se contentait, comme ici, de la première barre verticale et ensuite de la première oblique. Après quoi, il était complètement perdu. Je lui avais proposé de les marquer à sa place mais il ne voulait pas.

— Sont-elles toutes marquées alors ? demanda l’adjudant de police.

— Non pas toutes, mais celles du sac peut-être. Qu’en penses-tu Julia ?

— Je ne sais pas.

— Donc vous croyez que c’est l’une des siennes.

Une fois sortis du commissariat central, Julia s’étonna de ce que Manuel marquât ainsi ses miniatures.

— Je l’avais oublié moi-même, dit Julien, c’est en la retournant machinalement que je m’en suis souvenu.

— C’est vraiment une chance que celle-là ait été marquée et que Manuel l’ait perdue. Il a dû être catastrophé et je m’étonne qu’on ne l’ait pas surpris, du moins aperçu, en train de la chercher partout dans ce coin-là. Nous le connaissons assez pour savoir qu’il n’aurait jamais renoncé, jamais abandonné cet endroit et qu’on aurait fini par le remarquer.

— Il faisait nuit. Pendant des heures il aurait pu s’attarder là sans que personne ne passe.

— Ayant perdu une de ses voitures, il n’aurait pas bougé d’un pouce.

— Ou alors il ne s’est pas rendu compte qu’il en avait perdu une. Peut-être a-t-il laissé tomber son sac, l’a ramassé sans faire le compte.

— Effectivement, il lui arrivait de le laisser tomber car ses mains ne répondaient pas toujours à sa volonté, et chaque fois il les sortait toutes pour vérifier si les dix-sept étaient bien au complet.

Manuel refaisait inlassablement ses comptes, aussi bien des voitures du sac que de celles exposées sur la commode de sa chambre. Julia avait souvent eu la certitude qu’au-delà de dix-sept ou d’un multiple, il n’aurait pas su compter. Qu’il ait refusé son cadeau de modèle réduit supplémentaire s’expliquait donc. Sa méthode de calcul en aurait été bouleversée et cela aurait pu le conduire à une crise de désespoir.