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— … et tellement dévastatrices pour la sérénité ambiante ! fit la vieille dame.

— Qui donc peut souhaiter la tranquillité quand il s’agit…

— Moi par exemple ! gémit Lisa. Quand j’attendais les jumeaux j’ai failli me faire tuer une demi-douzaine de fois pendant qu’Aldo et le cher Adalbert galopaient dans tous les sens à la recherche de deux cailloux verts échappés de Jérusalem ! Cela n’avait rien d’exaltant !

— Oh, je n’ai pas oublié ! soupira Marie-Angéline. J’aurais tellement voulu que nous restions là-bas nous aussi ! Mais il a fallu repartir ! ajouta-t-elle avec un regard douloureux à l’adresse de la marquise.

Celle-ci saisit sa canne à pommeau de cristal et, du bout, tapota l’épaule de sa lectrice :

— Cessez de délirer, Plan-Crépin ! Même Aldo est capable de se calmer. Surtout sachant notre Lisa dans ce qu’on appelait jadis une situation intéressante !

— C’est vous qui rêvez, Tante Amélie ! Je parierais qu’il va la trouver beaucoup moins passionnante que les breloques de Bianca Capello ?

— Sûrement pas ! fit celle-ci en riant. Et je ne parie pas avec vous, j’aurais beaucoup trop peur de perdre. Pourtant cet homme-là vous adore sans le moindre doute !

— Si j’en doutais un seul instant, je ne serais pas en train de lui fabriquer un héritier de plus, conclut Lisa en se servant une deuxième tasse de café. Mais j’ai bien peur de ne pas faire le poids ! Pendant un moment ! Même avec des kilos en plus ! conclut-elle avec mélancolie.

CHAPITRE II

UNE DRÔLE D’HISTOIRE

La visite au notaire n’apprit rien à Morosini qu’il ne sût déjà. Maître Bernardeau le reçut avec toute l’urbanité des tabellions de vieille souche habitués de longue date à une catégorisation quasi infaillible de leurs visiteurs et, même sans son titre princier, il n’eût pas commis l’erreur de prendre Aldo pour ce qu’il n’était pas. D’autant que son nom lui disait quelque chose.

Après les politesses de la porte, il confirma n’avoir jamais eu accès à la fameuse parure et ne l’avoir jamais vue.

— Ce n’est pas faute d’avoir essayé pourtant, soupira-t-il en écartant ses mains soignées dans un geste désabusé mais lorsque je lui en parlais, Madame d’Ostel se contentait de dire que des bijoux de cette importance avaient tout intérêt à rester cachés, qu’elle me les montrerait en temps utile, que rien ne pressait… et toujours avec un sourire bizarre, un peu moqueur que… que je n’aimais pas beaucoup à dire vrai, mais je n’ai jamais pu en tirer davantage. À présent, elle est morte et nul ne sait plus où ils sont !

— Les domestiques-héritiers ?

— Oh non ! Je les ai « cuisinés », comme on dit dans la police. Ce sont de braves gens, simples et plutôt désolés du drame que fait Monsieur Dostel. « Qu’est-ce qu’on pourrait faire d’objets pareils ? » m’a dit Prosper, le mari. « C’est des coups à se faire assassiner si on les avait chez nous ! »

— Il n’a pas tort mais en les remettant à Madame Violaine Dostel, le danger changerait de camp.

— La baronne me les aurait remis à moi d’abord. Non, croyez-moi Prosper et Mathurine jurent ne les avoir jamais vus et je suis persuadé qu’ils disent vrai.

— Ça c’est encore plus étonnant ! La baronne devait bien les mettre pour aller poser chez Boldini ?

— Elle les emportait sans doute dans leur écrin. On ne se promène pas en plein jour avec des pièces pareilles. Même dans sa voiture.

— Bon ! Laissons cela pour le moment ! En sortant d’ici je vais aller interroger le peintre. C’est un ami de longue date, mais j’ai encore une question. Sauriez-vous d’où ou de qui Madame d’Ostel tenait cette parure ?

— Oui. Elle me l’a dit : d’un admirateur au temps où elle chantait sur les scènes d’opéras européens.

— Singulièrement généreux alors !… Elle ne s’est jamais produite en Amérique ?

— Non. Elle redoutait la mer après avoir failli périr d’une tempête en traversant seulement le Pas-de-Calais. Alors l’Atlantique !…

— Elle était italienne, m’a-t-on dit ?

— Oui. De Ferrare.

— Comme Boldini ! C’est curieux… eh bien maître j’ai assez abusé de votre temps !

— Absolument pas ! C’est un plaisir de parler avec vous ! Si je vous ai compris, vous souhaitez faire quelques recherches ?

— Que feriez-vous à ma place ? C’est une énigme comme je les aime… sourit Morosini.

— En ce cas je vous souhaite sincèrement de la résoudre… et si j’osais…

— Il faut toujours oser !

— Non, c’est inutile ! Pardonnez-moi ! Si vous les trouvez les journaux ne manqueraient pas d’en emplir leurs colonnes…

— … à moins qu’ils ignorent tout ! Mais rassurez-vous ! Si la chance me sourit, je vous le ferai savoir. En échange, essayez de surveiller un peu Evrard Dostel ! Il a promis de ne rien vendre du petit héritage de sa femme tant qu’il n’aura pas de mes nouvelles mais je n’ai aucune confiance en lui !

— Moi non plus ! En revanche, elle est touchante. Je ferai de mon mieux…

Le grand peintre habitait, au 41 boulevard Berthier, une maison rose dont l’atelier tenait l’étage supérieur. Comme chez ses voisins, ce quartier repris sur les anciennes fortifications de Paris réunissait une colonie d’artistes variés allant d’autres peintres à la chanteuse Yvette Guilbert. Morosini ne venait pas pour la première fois mais pensa qu’il était voué ce jour-là aux lignes du chemin de fer, celle de Paris-Saint-Lazare crachant ses escarbilles à proximité. Boldini y habitait depuis des dizaines d’années et les plus jolies femmes du monde étaient venues poser derrière ses grandes verrières qui ne laissaient passer que la lumière du ciel.

En habitué, Morosini grimpa les marches menant à la porte, sonna et attendit. Au bout d’un moment, une fenêtre s’ouvrit livrant une tête d’homme coiffée d’une casquette, le nez chaussé de lunettes rondes. Une tête qui grogna :

— Qui est-ce ?

Puis, comme Aldo ôtait son chapeau en s’écartant de la maison :

— Oh !… Mais quelle bonne surprise !… Morosini ?

— Oui, Maître. C’est bien moi !

— Attendez ! Je descends vous ouvrir ! Ma domestique est en courses.

Un instant plus tard, la porte révélait un petit homme trapu, âgé, qui au premier regard ressemblait assez à un bouledogue mais on découvrait vite, en dépit des rides et de la moustache clairsemée, le profil resté fier, la bouche dédaigneuse et bien dessinée, le nez droit, l’œil… l’œil seul avait perdu de sa chaude couleur brune et se ternissait mais à cet instant le visage rayonnait. Le peintre embrassa son visiteur avec sa fougue italienne et s’écria :

— C’est mon cœur, je crois, qui vous a reconnu, parce que ma vue, elle, n’est plus fameuse. Cela tient peut-être à ce que je pensais à vous…

— En voilà un honneur inattendu ! Auriez-vous aussi le don de double vue ?

— Une bonne vue simple me suffirait ! Je vous espérais un peu, je crois… mais je vous dirai pourquoi plus tard. Il y a longtemps que vous n’êtes venu me voir !

— Cela doit bien faire trois ou quatre ans. J’aurais aimé venir l’an passé mais…

— Vous étiez fort occupé. Les journaux m’ont appris vos démêlés avec les Russes, la perle de Napoléon, etc.

L’appartement du rez-de-chaussée où vivait le peintre comportait peu de pièces : une salle à manger, sa chambre mais l’ensemble respirait la gaieté. Outre les toiles et les dessins qui décoraient les murs un peu partout, il y avait beaucoup de fleurs. Des roses surtout dont le parfum emplissait l’air mais le léger désordre dont Aldo conservait le souvenir avait considérablement régressé.

— On dirait que votre domestique est parfaite ! fit Aldo.

— Elle n’est pas mal mais ces fleurs, c’est Emilia qui les arrange. Elle enchante mes derniers jours… Et comme vous ne savez pas qui est Emilia, je vais vous le dire : il y aura bientôt trois ans, j’ai reçu une jeune journaliste envoyée par la Gazzetta del Popolode Turin… et je l’ai gardée. Oh, en tout bien tout honneur. Nous avons seulement lié très vite des liens affectifs forts…