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« Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ? Que ce soit aux rives prochaines… »
La Fontaine,
Les Deux Pigeons

Valery Larbaud a repris ces Amants, heureux amants… pour en faire le titre d’un recueil de trois nouvelles qui peignent l’amour sous un jour mélancolique, sans illusions. L’Amant de lady Chatterley, de David Herbert Lawrence, et L’Amant, de Marguerite Duras, racontent la découverte du plaisir sexuel par des femmes que la passion oblige à affronter les interdits sociaux et le scandale.

Conclusion : amant est un mot magnifique, mais dangereux, moralement suspect, à cause de sa charge spermatique, de sa finalité jouissive, des désordres familiaux et sociaux qu’il provoque.

Il est logique qu’amant ait un féminin. Hélas ! amante est un mot qui n’est pas employé. On le rencontre sous la plume de Racine, de Proust, dans les Mémoires des XVIIe et XVIIIe siècles. En dépit de L’Amante anglaise, de Marguerite Duras, de Michel Houellebecq qui l’utilise plusieurs fois dans son dernier roman, La Carte et le Territoire, amante n’a pas réussi à s’imposer dans le langage populaire, sauf chez les lesbiennes. On lui a préféré maîtresse, qui sent la férule et qui est dépourvu de grâce et d’amour. Ou compagne, qui est banal, qui fait routarde. Amante n’est même pas utilisé pour désigner une femme tout simplement amoureuse. Pourquoi ce dédain, ce rejet d’un joli mot qui a une évidente légitimité, même si l’amante en est civilement dépourvue ?

À propos…

Sur la différence entre mari et amant, Balzac, comme souvent, d’une phrase est allé au vrai : « Il est plus facile d’être amant que mari par la raison qu’il est plus difficile d’avoir de l’esprit tous les jours que de dire de jolies choses de temps en temps » (Physiologie du mariage).

Ambition

En dehors de rêveries d’adolescent où je m’imaginais écrivain ou joueur de football, je n’avais aucun désir assez fort qui ressemblât à de l’ambition. De mes médiocres résultats scolaires je ne pouvais nourrir grand-chose. C’est un lointain parent par alliance qui, me voyant souvent le nez dans des quotidiens ou des revues, me suggéra de devenir journaliste. Je me présentai au concours d’entrée du Centre de formation des journalistes. À ma surprise, je fus admis. Cela me paraissait tellement miraculeux que je me demandai, en arrivant à Paris pour suivre les cours de la première année, si l’école n’allait pas s’apercevoir très vite qu’elle s’était méprise sur mes capacités.

Aussi, remontant à pied, avec ma valise, la rue de Lyon, je décidai de ne pas m’éloigner de la gare. Je louai une chambre mansardée, peu chère, au City Hôtel, d’où je pourrais rejoindre sans tarder la gare de Lyon si l’affaire tournait mal. Ce n’est qu’en deuxième année du CFJ, enfin sûr de moi, que je m’enfonçai dans Paris pour prendre une chambre à proximité de la rue du Louvre.

Devenu un étudiant brillant, je sortis deuxième de ma promotion. Ce classement m’autorisait à briguer un stage dans un journal parisien. Je n’en eus même pas l’idée. Lyonnais, je retournerais à Lyon. C’était mon destin. J’entrai au Progrès où, si je fis quelques articles, pour l’essentiel je mettais en pages les papiers et les photos des correspondants du département de Saône-et-Loire. Quatre mois après, je me brouillai avec la direction du journal, celle-ci refusant de me libérer pour un stage rémunéré dans les institutions économiques et financières du pays. Car j’eus l’ambition de devenir un journaliste spécialisé dans l’économie. Quelle idée saugrenue ! Alors que Michel Tardieu, mon camarade de promotion, campait avec bonheur à la Caisse des dépôts et consignations, à la Banque de France ou à l’Insee, je m’y ennuyais à mourir.

Grillé à Lyon, il me fallait bien envisager de faire carrière à Paris. On sait que par une chance réellement extraordinaire j’entrai au Figaro littéraire. La chance n’a cessé ensuite de m’accompagner. Elle m’a tenu lieu d’ambition. Mes articles du Figaro littéraire et du Figaro m’ont valu d’être appelé à France Culture par Roger Vrigny, puis à Europe 1, après quoi mes chroniques de radio, associées à mes activités de journaliste spécialisé dans le livre, ont déclenché chez Jacqueline Baudrier, directrice de la première chaîne, conseillée par Yves Berger et Pierre-Jean Rémy, le désir de me confier une émission littéraire à la télévision. Tout cela s’est enchaîné sur quinze ans sans que j’eusse jamais à tirer des sonnettes. C’est à n’y pas croire !

Ce portrait d’un homme sans ambition, qui ne doit sa réussite qu’à sa bonne étoile, est cependant en partie faux. Car si je n’ai jamais manifesté d’ambition à long terme, avec plan de carrière et postes à conquérir, chaque fois qu’une nouvelle responsabilité m’était proposée, j’y déployais une telle ardeur, tant de combativité, que cette volonté de réussir relevait évidemment de l’ambition. Par le travail je voulais justifier la confiance qui m’avait été accordée et me prouver que j’étais capable de relever le défi. Une idée fixe, une énergie implacable : je devais être irréprochable, efficace, talentueux. Le meilleur.

Mon ambition n’a jamais été tournée vers l’avenir. Elle s’est toujours concentrée, de semaine en semaine, sur le présent.

Âme (1)

À notre mort, c’est l’accent circonflexe, le chapeau de l’âme, qui s’envole, aspiré par de puissants courants d’air métaphysiques. Après quelques jours, semaines ou mois — comme les météorologues, les théologiens ne sont pas d’accord sur le temps à long terme —, le chapeau parvient à un vestiaire immense aux murs couverts d’innombrables portemanteaux. Tout naturellement il s’accroche à l’un d’eux. C’est là, dans les patères noster, qu’il attend le Jugement dernier.

Âme (2)

L’âme ? L’âme de qui ? de quoi ? Notre conscience, notre esprit, notre énergie qui s’éteindront avec nous ? Ou notre bagage virtuel que nous ouvrirons après notre mort au jugement de Dieu ? Une glande dans le cerveau, selon Descartes ? Une annexe du cœur ? Un miroir le long du chemin ? Le disque dur de notre moi ?

L’âme est une bonne fille. On lui colle toutes les métaphores : l’âme d’une équipe de foot, d’une révolte populaire, d’un orchestre, d’un paysage champêtre, d’une ONG, d’un complot, d’une maison, d’une ville, d’une nation…, l’âme latine, l’âme slave, l’âme des geishas, l’âme des guérilleros… Plus l’âme se répand, moins on y croit. Sauver son âme n’est plus comme jadis l’ambition de la vie. On préférait alors perdre la vie plutôt que perdre son âme. Aujourd’hui, s’il y a péril en la demeure, partout où la mort rôde et menace, on pense d’abord à sauver sa peau. L’âme, en cas de malheur, ce ne sera que du bonus.

Là-dessus, Malaparte a écrit des pages très fortes dans La Peau. Le récit, à vous faire dresser d’horreur les cheveux sur la tête, se situe à Naples, en 1943, pendant et après la libération de la ville par les Alliés. « C’est la civilisation moderne, cette civilisation sans Dieu, qui oblige les hommes à donner une telle importance à leur peau. Seule la peau compte désormais. Il n’y a que la peau de sûr, de tangible, d’impossible à nier. C’est la seule chose que nous possédions, qui soit à nous. La chose la plus mortelle qui soit au monde. Seule l’âme est immortelle, hélas ! Mais qu’importe l’âme, désormais ? Il n’y a que la peau qui compte. »