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L’Épave, 1949, de Willy Rozier. Film interdit aux moins de seize ans. Parce que la jeune Françoise Arnoul y montrait ses seins. J’avais quatorze ans. J’ai vu le film trois fois. Une seule fois du début à la fin ; les autres fois les garçons se levaient et partaient après la scène de déshabillage située au début. Plus de trente ans après, Françoise Arnoul m’a dit que ce n’était pas ses seins qui nous avaient mis en transe, mais ceux d’une doublure. Étant encore mineure, elle n’avait pas eu le droit de se dénuder à l’écran.

Qu’importe le balcon, pourvu qu’on ait l’ivresse !

Interdite à la vente aux moins de seize ans, Paris-Hollywood était une revue chère, dite pornographique, que nous achetions à trois ou quatre, l’acquéreur étant celui qui était le plus audacieux ou qui faisait le moins jeunot. On y voyait des femmes avec de gros seins dont les tétons étaient cachés par des étoiles de papier fluorescent. Leur entrecuisse, gommé, était comme peau de bébé, sans sexe ni poils. C’était quand même mieux que rien.

Enfin, plus tard, Playboy vint…

Des hommes s’embrouillent, se marient, s’égarent, se perdent, divorcent, deviennent fous, juste pour prendre possession d’une fastueuse poitrine cachée sous un pull.

Avec leurs décolletés les femmes nous invitent à lire les premiers chapitres d’un roman dont elles ont la malice ou la cruauté de nous cacher la suite, le déroulement en pente douce, le dénouement et la double apothéose finale.

« Les veuves savent quel était le sein préféré du défunt ; le nouvel amant en a le soupçon et veille à ne pas tomber dans la préférence du mort, et change de favori » (Ramón Gómez de la Serna, Seins).

Sous un voile transparent ou sous un tee-shirt mouillé, les seins restent de troublantes énigmes. Mais les vrais amateurs et mateurs préfèrent le sec à l’humide.

Sous le Directoire, j’aurais laissé la merveilleuse se pencher pour ramasser le mouchoir qu’elle aurait fait négligemment tomber. Mais, plus vif qu’un lutin, je me serais alors baissé pour mettre le premier la main sur le mouchoir, l’œil et le nez dans le décolleté béant.

« Les petits pois de son corsage S’éparpillèrent sous les doigts D’un amant cueilli au passage À Clamart, l’été dans les bois. »
Raymond Radiguet,
Jeux innocents

Sa poitrine était si menue qu’un de ses amis disait de cette jeune femme qu’elle ressemblait à une chapelle : les saints sont à l’intérieur.

L’avantage avec les femmes aux tout petits seins qui n’ont nul besoin d’être soutenus, c’est que, glissée sous le tee-shirt ou sous le pull, la main accède librement à leur juvénile intumescence.

Au fil des années, bien des écrivains font évoluer leur style de l’arborescence à la simplicité, de la profusion à la rectitude. Ainsi en est-il aussi de certains hommes dont la préférence pour les seins va de l’abondance au déficit, de la grosse pivoine au bouton de rose.

L’Époux :

« Tes seins tout petits et serrés, Sais-tu à qui je les compare ? À deux tout petits faons jumeaux Que leur maman a cajolés.
Et ta silhouette ressemble À un palmier de ce coteau, Et tes seins ressemblent à deux grappes De belle allure et beau volume. »

L’Épouse :

« La vigne nous visiterons Demain matin, tout doucement ; Nous verrons si dans le jardin Les grenadiers sont bien en fleur ; Là je te donnerai mes seins, Car c’est pour toi que je les garde… » Cantique des cantiques
À propos…

Dans les tableaux représentant la Vierge donnant le sein à l’enfant Jésus, c’est très souvent le droit qui est dénudé. Pourquoi ? Il existe une spectaculaire exception : le tableau de Jean Fouquet, Marie et Jésus entourés de séraphins et de chérubins (Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers). Marie aurait été peinte d’après le portrait d’Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII. Elle exhibe, yeux baissés, un opulent sein gauche. Le préféré du roi ?

Sensualité

On m’a fait remarquer que j’emploie souvent le mot sensualité dans ma conversation. Non pour parler de sexe ou d’érotisme, mais pour raconter des choses banales de la vie dans lesquelles mes sens, en particulier le toucher, prennent du plaisir.

Ainsi, l’ouverture des paquets de livres apportés par des coursiers ou par des facteurs. Qu’ils soient retirés de leurs enveloppes de gros papier avec lenteur ou après que mes doigts les en ont arrachés, les volumes, même encore aujourd’hui, me sont comme des surprises, des cadeaux. En saisir un, en lire le titre, le nom de l’auteur, de l’éditeur, le retourner, en lire la quatrième de couverture, le palper, l’ouvrir, le casser, le caresser, le retourner, le soupeser, le rouvrir au hasard, en lire quelques lignes, le refermer, le classer, tout un rituel dont je ne me lasse pas et qui chaque fois excite mes mains et mes yeux.

Je décris ailleurs (> Main) la sensualité de la main qui tient le stylo et qui glisse sur le papier, et, dans le Dictionnaire amoureux du vin, l’ensorcelante sensualité des vendanges.

Quand mes mains se posent sur le volant de la voiture, puis le caressent, le serrent, le tournent, je ressens, transmise du bout des doigts au cerveau, une très légère jouissance. Les belles voitures dégagent une certaine sensualité que les publicitaires utilisent d’abondance dans des films dont l’ambition est de séduire l’œil du téléspectateur.

Préservé de la cigarette parce que je ne supportais pas le contact du papier sur mes lèvres, vers la trentaine j’ai été conquis par la beauté des havanes bien rangés dans leur boîte, par leurs bagues colorées, par leurs noms espagnols, par leurs odorantes fumées bleuâtres. Ah ! humer un cigare avant de l’allumer, respirer longuement ses lourds parfums de cape et de tripe ! Ses fragrances d’humus, de corruption, de merde excitent le nez qui transmet à toute la machinerie des sens.

Petit garçon, je passais quelques après-midi dans l’atelier de deux tailleurs proches de l’épicerie familiale. J’aimais tâter les étoffes, les palper, les lisser, les frotter contre ma joue ou contre mes cuisses. « On en fera un tailleur », lançaient les deux frères. Mais leurs immenses ciseaux me faisaient peur. Si j’étais riche, je ne pisserais pas tout le temps, comme le disait Alphonse Allais, mais je me coucherais chaque soir dans des draps propres, de préférence en métis blanc. Le corps nu s’y glisse avec volupté.