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Rodolphe s’adresse au Maître d’école:

– Échappé du bagne de Rochefort où vous aviez été condamné à perpétuité… pour crime de faux, de vol et de meurtre… vous êtes Anselme Duresnel.

– C’est faux; qu’on me le prouve! dit le Maître d’école d’une voix altérée, en jetant autour de lui son regard fauve et inquiet.

– Comment! s’écria le Chourineur, nous n’étions pas ensemble à Rochefort?

Rodolphe fit un signe au Chourineur, qui se tut.

Rodolphe continua:

– Vous êtes Anselme Duresnel… vous en conviendrez plus tard… vous avez assassiné et volé un marchand de bestiaux sur la route de Poissy.

– C’est faux!

– Vous en conviendrez plus tard.

Le brigand regarda Rodolphe avec surprise.

– Cette nuit, vous vous êtes introduit ici pour voler; vous avez poignardé le maître de cette maison…

– C’est vous qui m’avez proposé ce vol, dit le Maître d’école en reprenant un peu d’assurance; on m’a attaqué… je me suis défendu.

– L’homme que vous avez frappé ne vous a pas attaqué… il était sans armes! Je vous ai proposé ce vol… c’est vrai… je vous dirai tout à l’heure dans quel but. La veille, après avoir dévalisé un homme et une femme dans la Cité, après leur avoir volé le portefeuille que voici, vous leur avez offert de me tuer, pour mille francs!…

– Je l’ai entendu! s’écria le Chourineur.

Le Maître d’école lui lança un regard de haine féroce.

Rodolphe reprit:

– Vous le voyez, vous n’aviez pas besoin d’être tenté par moi pour faire le mal!…

– Vous n’êtes pas juge d’instruction, je ne vous répondrai plus…

– Voici pourquoi je vous ai proposé ce vol. Je vous savais évadé du bagne… Vous connaissiez les parents d’une infortunée dont la Chouette, votre complice, a presque causé tous les malheurs… Je voulais vous attirer ici par l’appât d’un vol, seul appât capable de vous séduire. Une fois en mon pouvoir, je vous laissais le choix ou d’être mis entre les mains de la justice, qui vous faisait payer de votre tête l’assassinat du marchand de bestiaux…

– C’est faux! ce n’est pas moi.

– Ou d’être conduit hors de France, par mes soins, et dans un lieu de réclusion perpétuelle, mais à la condition que vous me donneriez les renseignements que je voulais avoir. Vous étiez condamné à perpétuité, vous aviez rompu votre ban. En m’emparant de vous, en vous mettant désormais dans l’impossibilité de nuire, je servais la société, et par vos aveux je trouvais moyen de rendre peut-être une famille à une pauvre créature plus malheureuse encore que coupable. Tel était d’abord mon projet; il n’était pas légal; mais, par votre évasion et par vos nouveaux crimes, vous êtes hors la loi… Hier, une révélation providentielle m’a appris votre véritable nom.

– C’est faux! je ne m’appelle pas Duresnel.

Rodolphe prit sur la table la chaîne de la Chouette, et, montrant au Maître d’école le petit saint-esprit de lapis-lazuli:

– Sacrilège! s’écria Rodolphe d’une voix menaçante. Vous avez prostitué à une créature infâme cette relique sainte… trois fois sainte… car votre enfant tenait ce don pieux de sa mère et de son aïeule!

Le Maître d’école, stupéfait de cette découverte, baissa la tête sans répondre.

– Hier j’ai appris que vous aviez enlevé votre fils à sa mère il y a quinze ans, et que vous seul possédiez le secret de son existence; ce nouveau méfait m’a été un motif de plus de m’assurer de vous; sans parler de ce qui m’est personnel… ce n’est pas cela que je venge… Cette nuit vous avez encore une fois versé le sang sans provocation. L’homme que vous avez assassiné est venu à vous avec confiance, ne soupçonnant pas votre rage sanguinaire. Il vous a demandé ce que vous vouliez. «Ton argent et ta vie!…» et vous l’avez frappé d’un coup de poignard.

– Tel a été le récit de M. Murph lorsque je lui ai donné les premiers secours, dit le docteur.

– C’est faux, il a menti.

– Murph ne ment jamais, dit froidement Rodolphe. Vos crimes demandent une réparation éclatante. Vous vous êtes introduit à main armée dans ce jardin, vous avez poignardé un homme pour le voler. Vous avez commis un autre meurtre… Vous allez mourir ici… Par pitié pour votre femme et pour votre fils, on vous sauvera la honte de l’échafaud… On dira que vous avez été tué dans une attaque à main armée… Préparez-vous… les armes sont chargées.

La physionomie de Rodolphe était implacable…

Le Maître d’école avait remarqué dans une pièce précédente deux hommes armés de carabines… Son nom était connu: il pensa en effet qu’on allait se débarrasser de lui pour ensevelir dans l’ombre ses derniers crimes et sauver ce nouvel opprobre à sa famille.

Comme ses pareils, cet homme était aussi lâche que féroce. Croyant son heure arrivée, il trembla convulsivement; ses lèvres blanchirent; d’une voix strangulée il cria:

– Grâce!

– Il n’y a pas de grâce pour vous, dit Rodolphe. Si l’on ne vous brûle pas la cervelle ici, l’échafaud vous attend…

– J’aime mieux l’échafaud… Je vivrai au moins deux ou trois mois encore… Qu’est-ce que cela vous fait, puisque je serai puni ensuite!… Grâce!… grâce!…

– Mais votre femme… mais votre fils… ils portent votre nom…

– Mon nom est déjà déshonoré… Quand je ne devrais vivre que huit jours, grâce!…

– Pas même ce mépris de la vie qu’on trouve quelquefois chez les grands criminels! dit Rodolphe avec dégoût.

– D’ailleurs la loi défend de se faire justice soi-même, reprit le Maître d’école avec assurance.

– La loi! s’écria Rodolphe, la loi!… Vous osez invoquer la loi, vous qui depuis vingt ans vivez en révolte ouverte et armée contre la société?

Le brigand baissa la tête sans répondre, puis il dit d’un ton humble:

– Au moins laissez-moi vivre, par pitié!

– Me direz-vous où est votre fils?

– Oui, oui… Je vous dirai tout ce que j’en sais.

– Me direz-vous quels sont les parents de cette jeune fille dont l’enfance a été torturée par la Chouette?

– Il y a là, dans mon portefeuille, des papiers qui vous mettront sur leur trace. Il paraît que sa mère est une grande dame.

– Où est votre fils?

– Vous me laisserez vivre?

– Confessez tout d’abord…

– C’est que quand vous saurez…, dit le Maître d’école avec hésitation.

– Tu l’as tué!

– Non, non, je l’ai confié à un de mes complices qui, lorsque j’ai été arrêté, a pu s’évader.

– Qu’en a-t-il fait?

– Il l’a élevé; il lui a donné les connaissances nécessaires pour entrer dans le commerce, afin de nous servir et… Mais je ne dirai pas le reste, à moins que vous ne me promettiez de ne pas me tuer.

– Des conditions, misérable!

– Eh bien! non, non; mais pitié; faites-moi seulement arrêter comme coupable du crime d’aujourd’hui; ne parlez pas de l’autre. Laissez-moi la chance de sauver ma tête.